Entrevues

Un juriste entre les bombes

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Emeline Magnier

2014-08-20 15:00:00

Droit-inc s’est entretenu avec l'ex-directeur du département des sciences juridiques de l'UQAM qui présidera la commission d’enquête sur le conflit dans la bande de Gaza...

William A. Schabas a été nommé président de la commission d'enquête des Nations Unies
William A. Schabas a été nommé président de la commission d'enquête des Nations Unies
Le 11 août dernier, William A. Schabas a été nommé président de la commission d'enquête des Nations Unies chargée de faire la lumière sur les allégations de crime de guerre dans la bande de Gaza.

Professeur de droit international à la Faculté de droit de la Middlesex University à Londres, il a enseigné le droit de la personne et le droit criminel à l'UQAM de 1991 à 2000 et a été directeur du Département des sciences juridiques de l'université pendant quatre ans.

Spécialiste du droit international, de la peine de mort, de la torture et des droits de la personne, il a travaillé en tant que consultant au ministère de la justice du Rwanda et à l’OSCE.

La commission d'enquête a été mise en place par une résolution du Conseil des droit de l'homme du 23 juillet dernier. Ont également été nommés le Sénégalais Doudou Diène, ancien rapporteur spécial de l'ONU, et Amal Alamuddin, une juriste britannico-libanaise, fiancée de l'acteur américain George Clooney, qui a décliné l'offre et doit être remplacée.

Certains organismes et le ministre canadien des Affaires étrangères ont critiqué la nomination du professeur Schabas en raison de déclarations passées lors desquelles il aurait indiqué que le premier ministre israélien devrait être traduit devant la Cour pénale internationale.

Depuis la capitale du Royaume-Uni, il a répondu aux questions de Droit-inc.

Droit-inc : Quelle a été votre réaction quand vous avez appris votre nomination ?

William A. Schabas croit qu'il est encore trop tôt pour savoir si les deux parties vont collaborer
William A. Schabas croit qu'il est encore trop tôt pour savoir si les deux parties vont collaborer
William A. Schabas : J'ai souvent travaillé avec l'Organisation des Nations Unies (ONU) et je n'ai pas été surpris par l'annonce de ma nomination. C'est le mandat le plus important qui ne m'a jamais été confié. J'ai un grand sentiment de devoir envers l'organisation: si le président du Conseil des droits de l'homme(CDH) me demande de faire quelque chose, je me rends disponible et je m'exécute. C'est un honneur pour moi d'intervenir dans un dossier d'une telle ampleur. Ça implique une grande responsabilité, on attend beaucoup de cette commission. Il y a une possibilité de contribuer à la paix et à la justice; si je peux le faire, je serais satisfait.

En quoi consiste votre mission ?

La commission a un mandat assez large et général, et agit de manière indépendante du CDH. Nous devons enquêter sur les violations des droits de l'homme et des droits humanitaires et les crimes qui auraient été commis lors du dernier conflit. Nous ne sommes pas un tribunal, nous devons faire des recommandations et vérifier si des événements peuvent donner lieu à des poursuites mais nous n'avons pas à juger de la responsabilité des différents acteurs. C'est un conflit où il y a eu environ 2000 morts et beaucoup de dégâts matériels. Les faits et les allégations sont discutables de part et d'autre. Il faut mener une enquête impartiale pour infirmer ou confirmer à la communauté internationale les faits qui ont été rapportés. Notre rapport devra être déposé en mars 2015.

Comment allez-vous procéder ?

Actuellement, la composition de la commission n'est pas encore arrêtée, nous attendons la nomination d'un ou deux autres commissaires dans les prochains jours. Je vais ensuite rencontrer mes homologues pour décider du déroulement des travaux. Mais nous fonctionnerons comme les autres commissions qui ont pu être nommées pour la Syrie, la Lybie ou la Corée du Nord. Nous disposons de différentes options: nous pouvons recourir à des enquêteurs professionnels, organiser des audiences publiques et des entrevues, et analyser différents documents. Quant aux recommandations, ça dépasse la cueillette d'informations : c'est une analyse des faits auxquels nous devrons donner une qualification juridique.

Pensez-vous que les deux parties vont collaborer ?

C'est encore trop tôt pour le dire. Ce n'est pas la première fois qu'une telle commission est nommée dans cette région du monde : c'est la quatrième en six ans et la dernière est la commission présidée par le juge Richard J. Goldstone, mise sur pied suite au conflit entre Israël et la Palestine en 2009. Israël n'avait pas participé à ses travaux. Quelques mois après que le rapport a été déposé, le président a obtenu des informations supplémentaires et a indiqué que ces recommandations auraient été différentes s'il les avait eues avant. Il est donc important pour Israël de changer de position et de collaborer.

Le bombardement des écoles de l'ONU constitue-t-il un crime de guerre ?

Nous allons enquêter. Le fait que des gens soient tués pendant un conflit armé ne crée pas de présomption de crime de guerre. Il faut vérifier si les attaques étaient ciblées, si elles avaient un objectif militaire, si elles tiennent comptent des dommages collatéraux et si elles sont proportionnelles aux attaques. C'est l'ensemble du conflit qui doit être étudié. En allant au contact direct avec les combattants, nous pourrons savoir si des crimes de guerre ont été commis.

Que se passera-t-il après le dépôt du rapport de la commission ?

Le rapport sera remis au CDH qui peut adopter des résolutions mais pas légiférer. Le rapport Goldstone avait été transmis au Conseil de sécurité de l'ONU qui a plus de pouvoirs, mais il y avait ensuite eu blocage. Dans notre cas, les choses sont différentes: il est probable que la Palestine donne compétence à la Cour pénale internationale (CPI) sur les événements récents. Les recommandations de la commission seront alors transmises au procureur de la CPI. Le procureur n'est pas lié par les recommandations mais un tel rapport sera pris au sérieux. Il peut ensuite décider de poursuivre devant la CPI.

Que répondez-vous à ceux qui considèrent que vous n’êtes pas impartial ?

Je suis comme tout le monde, j'ai des opinions sur l'histoire du pays, du conflit et la situation des Palestiniens. Mais comme n'importe quel autre juge, je les mets de côté. Je n'ai pas été recruté pour ce travail à cause de mes opinions mais parce que j'ai été reconnu comme un expert en droit international et droit humanitaire. Ceux qui critiquent ne veulent pas que je sois impartial: ils veulent que je partage leur point de vue. Je vais tenter d'être impartial et objectif; je crois que je suis sur la bonne piste.
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