Lapointe

Foutre le bordel !

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Louis Lapointe

2012-05-24 11:15:00

La loi 78 n’avait pas pour but de calmer le jeu, mais bien d’antagoniser davantage le conflit. C'est en tout cas ce que croit fermement l'ex-directeur de l'École du Barreau, l'avocat Louis Lapointe.

Depuis l’élection du gouvernement libéral de Jean Charest en 2003, les étudiants qui sont aujourd’hui dans la rue ont tous vécu la commission Gomery, la crash de 2008 causé par la crise bancaire des PCAA, les pertes de 53 milliards $ de la CDPQ, la corruption et la collusion dans l’industrie de la construction et ses liens avec le financement du parti libéral, la contestation des gaz de schiste, la braderie de nos ressources naturelles, la mascarade que fût la commission Bastarache et l’élection d’un gouvernement conservateur majoritaire à Ottawa sans le Québec.

Si les étudiants sont encore dans la rue, c'est parce que Jean Charest leur a donné toutes les raisons de continuer à manifester, croit Louis Lapointe
Si les étudiants sont encore dans la rue, c'est parce que Jean Charest leur a donné toutes les raisons de continuer à manifester, croit Louis Lapointe
Je n’ai aucune difficulté à imaginer ce qui c’est passé dans la tête de ces étudiants au cours de toutes ces années, ayant moi-même vécu l’élection de l’Union nationale en 1966, l’adoption de la loi 63 permettant le libre choix de la langue d’enseignement, l’émeute de la St-Jean en 1969, les événements d’octobre 1970, l’emprisonnement des chefs syndicaux à la suite de la grève générale illimitée des employés de l’État en 1972, la commission Cliche sur le saccage de la Baie James, la commission CECO sur les liens de la mafia avec la vente de viande avariée et l’orgie olympique.

Si vous êtes né dans une famille où ça parle politique dans des périodes aussi troubles, ça forge un caractère.

Vous entendez tous les jours vos proches parler du Suroît, du Mont Orford, de la commission Gomery, des gaz de schiste, des banques et de leurs dirigeants qui ont provoqué une crise de toutes pièces pour ensuite s’en mettre plein les poches, en profitant pour voler toutes vos économies au passage.

Roulé par les dirigeants

Quand cela a pour conséquence qu’une population entière a l’intime conviction de s’être fait roulé par ses dirigeants sur fond d’une crise financière qui a permis aux plus riches de s’enrichir aux dépens de la classe moyenne et que votre gouvernement refuse d’enquêter sur les pertes de la CDPQ et l’octroi de contrats publics, vous finissez par imputer tout ce qui va mal dans la société aux gouvernements qui ont laissé faire, en particulier à celui qui a refusé pendant trois ans de déclencher une commission d’enquête sur la collusion et corruption dans l’octroi de contrats publics.

Alors que vous avez la certitude que les banques vous volent et que votre gouvernement gaspille votre argent et récompense grassement ses petits amis qui ont contribué à sa caisse électorale, au même moment, ce dernier augmente les droits de scolarité universitaires de 75% sous prétexte que les étudiants doivent faire leur « juste part » pour financer des universités qui n’ont jamais fait leur grand ménage.

On vous explique que c’est ici que les droits de scolarité sont les plus bas au nord de la frontière du Mexique et qu’il faut effectuer un rattrapage si nous voulons demeurer dans la course, alors que c’est aussi ici que les taxes et les impôts des familles sont les plus élevés, 6 600$ de plus qu’ailleurs au Canada, pendant que celles des entreprises sont les plus basses.

Déficit de crédibilité

Comment voulez-vous, dans un tel contexte, qu’un gouvernement déjà en déficit de crédibilité qui a tout fait pour étirer le conflit avec les étudiants, et qui, après avoir refusé de négocier de bonne foi et imposer une loi antidémocratique, puisse ramener l’ordre qu’il a lui-même contribué à saper depuis son élection en 2003 ?

Un premier ministre ne peut pas toucher un salaire secret payé par les amis de son parti pendant plus de 10 ans sans que cela frappe l’imaginaire collectif, surtout si parmi ces nombreux amis on en retrouve plusieurs qui ont obtenu des faveurs, des nominations ou des contrats.

Jean Charest a commencé à mettre le trouble dès son élection en 2003 avec les défusions municipales et il continue de le faire avec la grève étudiante.

Afin de retrouver sa majorité gouvernementale, il a même trouvé le moyen de baisser les impôts de 1 milliard$ en 2008 contre l’avis d’une majorité de Québécois, ce qui lui a permis d’imposer, dès qu’il est redevenu majoritaire, des mesures fiscales régressives aux « utilisateurs-payeurs » comme cette contribution santé de 200$ par citoyen et une hausse de 75% des droits de scolarité.

Des raisons pour continuer

Si les étudiants sont toujours dans la rue, même après l’adoption de la loi 78 et qu’ils ne se démobilisent pas, c’est parce que Jean Charest leur a donné toutes les raisons de continuer à manifester depuis le tout début de son premier mandat en 2003.

Peu importe leur camp, les observateurs en sont tous venus à se demander s’il refusait de régler le litige parce qu’il ne le pouvait pas ou parce qu’il ne le voulait pas.

Manifestement, l’adoption de la loi 78, une loi excessive et antidémocratique, n’avait pas pour but de calmer le jeu, mais bien d’antagoniser davantage le conflit.

Jean Charest est en quelque sorte un vampire politique qui a constitué tout son pouvoir en se nourrissant de la dissension qu’il a lui-même entretenue, un risque réel de désagrégation du tissu social.

La façon dont il a géré la crise étudiante en est une preuve flagrante, tout comme il l’avait fait auparavant avec la commission d’enquête sur l’octroi de contrats dans le secteur public.

Ce n’est donc pas un hasard s’il y a encore des milliers d’étudiants dans la rue, c’est parce que Jean Charest l’a voulu ainsi ! Cela correspond à son modus operandi.

Foutre le bordel !


Note
Ce billet de Louis Lapointe a initialement été publié sur Vigile.net hier. Il est reproduit ici avec l’autorisation de l’auteur.
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