PKP frôle-t-il la diffamation ?
Daphnée Hacker-B.
2014-12-03 15:00:00
Il y a un peu plus d’une semaine, il a envoyé un tweet exhortant le journaliste Denis Lessard du quotidien La Presse de cesser de le « harceler », puis à tenu un point de presse sur le sujet.
En octobre, il s’est tourné vers Facebook pour s’en prendre au chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, à l’origine de la « motion PKP », qui vise à empêcher un député de détenir la majorité des actions d’une entreprise médiatique. Il a aussi pointé du doigt le premier ministre Philippe Couillard, rappelant l’association de ce dernier avec Arthur Porter, ex-directeur général du Centre universitaire de santé McGill accusé de fraudes.
Libre de ses faits et clics
Au Parti québécois (PQ), tous les députés gèrent librement leurs comptes sur les réseaux sociaux. « Évidemment, on leur demande d’être prudents, mais nous leur faisons confiance », déclare à l’autre bout du fil Antonine Yaccarini, attachée de presse de l’aile parlementaire du parti.
Elle admet que les propos de celui qu’on prénomme PKP suscitent beaucoup de réactions. « C’est une personnalité publique au franc-parler, certes, mais nous n’avons jamais craint que ses déclarations puissent être jugées diffamatoires », poursuit-elle.
Les propos de PKP frôlent-ils la diffamation? Droit-inc a posé la question à près de quinze juristes experts dans ce domaine. Ils ont tous refusé de commenter, à l’exception de deux professeurs en droit.
L’avis du prof
Le droit de la diffamation au Québec est « très sévère », au point que certains propos de M. Péladeau pourraient être jugés diffamatoires par un tribunal. C’est du moins ce que croit Pierre Trudel, professeur titulaire du Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal et membre du Barreau, qui a analysé à la demande de Droit-inc les comptes Twitter et Facebook du député de Saint-Jérôme.
« Je pense qu’on aurait intérêt à rendre le droit de la diffamation moins sévère pour faciliter les débats. M. Péladeau a le droit de se sentir harcelé, ou encore de critiquer François Legault pour sa motion. Toutefois, selon les dispositions en vigueur, certaines de ses déclarations pourraient constituer de la diffamation », dit cet ardent défenseur de la liberté d’expression.
Autrement dit, selon les propos tenus par M. Péladeau, le journaliste Denis Lessard pourrait être considéré comme un « harceleur », estime Me Trudel, ce qui constituerait de la diffamation.
Le professeur de droit rappelle qu’un élu qui s’exprime à travers les médias sociaux ne bénéficie pas de l’immunité juridique de l’Assemblée nationale. Dans l’enceinte de cet établissement, les députés sont effectivement assurés de ne jamais, ou presque, être poursuivis pour leurs déclarations. « L’environnement du web ne garantit pas cette immunité, le débat ne se fait donc pas selon les mêmes modalités… Si on se met à critiquer, à être incisif, il y a un plus grand risque de poursuites », relate-t-il.
Toutefois, Pierre Karl Péladeau, actionnaire de contrôle de Québecor, ne doit pas particulièrement craindre les poursuites, analyse M. Trudel. « Bonne chance à celui ou à celle qui va vouloir le poursuivre en diffamation… Disons qu’une armée d’avocats sera prête à riposter ! » lance le juriste, qui détient d’ailleurs un blogue sur le site web du Journal de Montréal.
Il faudrait à son avis que tous les députés, fortunés ou non, puissent jouir d’une aussi grande liberté d’expression. « Une plateforme web qui se plie aux mêmes règles juridiques que l’Assemblée nationale pourrait être une solution intéressante », avance-t-il.
L’ABC de la diffamation
Si l’avènement des réseaux sociaux a modifié les façons de communiquer, les règles en matière de diffamation, elles, n’ont pas changé pour autant, soutient Me Nicolas Vermeys, avocat-conseil pour le cabinet Legault Joly Thiffault et professeur à la faculté de droit de l’Université de Montréal.
Contrairement à son collègue, Me Vermeys refuse de se prononcer sur les propos de Pierre Karl Péladeau, à savoir s’ils frôlent ou non la diffamation. Il conçoit tout de même que le député devrait faire preuve d’une grande prudence. « Quand notre opinion a plus de poids, qu’on est lu par des milliers de personnes, on a plus de chance d’être poursuivi », affirme-t-il.
Le professeur croit qu’il reste important, pour toute personnalité publique, de bien saisir les subtilités du droit de la diffamation. Il précise qu’il existe trois « scénarios » susceptibles d’engager la responsabilité de l’auteur de paroles diffamantes, soit :
1- Le fait de partager des propos désagréables à l’égard d’un tiers tout en les sachant faux.
2- Lorsqu’une personne diffuse des propos désagréables sur autrui alors qu’elle devrait les savoir fausses. Des affirmations non vérifiées, par exemple.
3- Le fait d’affirmer quelque chose de vrai, mais qui n’est pas dans l’intérêt public.
« La prudence est de mise… Car une accusation en diffamation risque souvent de «brûler» une personnalité publique », dit Me Vermeys. Il cite en exemple le cas opposant l’analyste politique de TVA Jean Lapierre à l’ex-directeur des émissions d’affaires publiques à Radio-Canada, Pierre Sormany.
Ce dernier avait déclaré sur Facebook que M. Lapierre offrait des services-conseils au controversé entrepreneur Antonio Accurso. Il a été condamné à payer 22 000 dollars pour le préjudice moral, en plus de perdre son poste. « Une simple déclaration sur un mur Facebook peut coûter une carrière, il faut toujours garder cela en tête », souligne-t-il.