Elles ont pour clients… des animaux!
Jean-Francois Parent
2016-11-22 15:00:00
Sa collègue ontarienne, l’avocate Lesli Bisgould, qui enseigne le droit des animaux à l’Université de Toronto, insiste : elle prend le parti des animaux parce qu’elle n’a tout simplement pas le choix.
« Une fois qu’on constate les horreurs subies par les animaux, on ne s’en défait plus. Nous avons institutionnalisé la torture des animaux au quotidien : l’agriculture industrielle élève des animaux malades, blessés, apeurés dans des enclaves; en recherche, on fait des trucs horribles aux animaux… », déplore celle qui fût l’une des premières plaideuses en droit animal au pays, dans les années 1990.
Ceci expliquant cela, il est difficile pour les deux juristes de ne pas prendre fait et cause pour leurs « clients ». « Scientifiquement, on a établi que les animaux souffrent », renchérit Alanna Devine.
Batailler dans les coins
Parce qu’il est impossible de représenter légalement un animal, les juristes prennent des moyens détournés pour le faire. Par exemple, la SPCA Montréal, qui bataille présentement contre l’interdiction des pitbulls dans la métropole, a plaidé en cour l’inapplicabilité du règlement proposé par l’administration Coderre, qui veut bannir les races de chiens jugées dangereuses.
« D’abord, le règlement est trop vague quant à ce qu’est un chien dangereux, affirme Me Devine. Ensuite, scientifiquement, il est impossible de déterminer la composition génétique d’un chien. » En clair, même s’il existait un consensus pour définir ce qu’est un chien dangereux, il serait impossible de le vérifier sur le terrain.
La SPCA a gagné la première manche contre Montréal. « Bannir les pitbulls est controversé parce que c’est une solution simpliste, poursuit Lesli Bisgould. Il faut aller aux sources du problème, et voir ce que le propriétaire du chien a fait pour le rendre dangereux. »
Prendre la défense du droit des animaux, dans ce cas, c’est de ne pas faire de généralisation outrancière, dit en substance la spécialiste ontarienne du droit animal.
En pratique, devant les tribunaux, les chemins de travers accessibles aux juristes sont nombreux. « Dans le cas de la chasse aux phoques, on a plaidé pour le compte de gens qui voulaient témoigner de la chasse, ce que les chasseurs ne voulaient pas. J’ai également représenté des étudiants qui s’opposaient à la vivisection », en plaidant qu’en vertu des droits de la personne, on ne pouvait obliger personne à disséquer un animal vivant.
Un pas en avant…
Alanna Devine dresse un bilan mi-figue mi-raisin de l’état du droit relativement à la prévention de la cruauté envers les animaux. Un récent amendement au Code civil du Québec, qui par le truchement de l’article 898.1 dispose désormais que « les animaux ne sont pas des biens », est une bonne avancée, croit Me Devine.
Considérés jusqu’à tout récemment comme des biens meubles, les animaux avaient donc les mêmes droits qu’une chaise.
Alors qu’une majorité de provinces canadiennes ont conféré un statut particulier aux animaux bien avant le Québec, l’article 898.1 contient toutefois une affirmation intéressante pour les droits des animaux, qui sont ainsi des « êtres doués de sensibilité et (qui) ont des impératifs biologiques ».
« Cela peut être utile pour faire avancer la cause animale dans d’autres domaines », estime Alanna Devine, qui est de la promotion 2006 à la Fac de droit de McGill.
Le Canada, loin derrière l’Europe
Le transport des animaux n’est pas réglementé au Québec, selon Me Devine. On peut imaginer que cette disposition du code civil pourrait être invoquée pour faire corriger une situation où des animaux seraient privés de leurs impératifs biologiques, par exemple.
« Mais nous n’en sommes pas là. Pour l’instant, nous tentons surtout de faire en sorte que les choses n’empirent pas pour les animaux », explique Alanna Devine.
Citant l’exemple de ce qui se fait aux États-Unis ou en Europe, « où l’on a fait beaucoup d’avancées sur le transport et l’abattage des animaux, on est encore très loin, au Canada », il faudrait se doter d’un cadre juridique protégeant vraiment les animaux, soutient Me Devine.
Au Canada, l’essentiel de la protection légale ne s’appliquerait qu’aux animaux domestiques. « Il y a donc plus de 700 millions d’animaux –de ferme, d’élevage, etc.— qui ne sont aucunement protégés. On n’a aucun standards légaux sur la façon dont les animaux sont traités sur les fermes », déplore Lesli Bisgould.
Reece c. Edmonton
Si les avancées sont modestes, il reste que la cause animale est de plus en plus prise au sérieux dans l’univers juridique.
Lesli Bisgould cite l’exemple de l’arrêt Reece c. Edmonton, en 2011. Des militants, soutenant que le zoo municipal maltraitait un éléphant, ont tenté de forcer la ville d’Edmonton à respecter les lois provinciales relatives au traitement des animaux. Les militants ont perdu en cour, le juge de première instance ayant statué que la plainte constituait un abus de procédure.
Après que la cause fut portée en appel, les militants ont essuyé un second revers et n’ont pu forcer la ville à bien traiter Lucy, l’éléphante dont ils prenaient la défense.
« Mais tant dans la décision du juge de première instance que dans l’opinion dissidente d’un des juges d’appel, on reconnaissait que la ville avait des obligations envers l’éléphant, et que celui-ci avait le droit d’être traité de la façon la plus humaine possible. Le juge dissident Fraser, a même écrit que les lois étaient mal faites (pour protéger les animaux) », relate celle qui enseigne l’une des rares classes portant exclusivement sur le droit animal au pays.
Harvard College c. Canada
Au moins une autre cause a fait œuvre utile pour la défense des droits des animaux : l’arrêt Harvard College c. Canada, rendu par la Cour suprême. « La cour a permis à des défenseurs des animaux de soutenir qu’on ne pouvait faire breveter un être vivant, et leur a donné raison », signale Lesli Bisgould.
Les deux juristes concèdent ainsi que beaucoup de chemin a été parcouru dans les deux dernières décennies pour protéger juridiquement les animaux.
« Mais la loi arrive en dernier, a pu constater Lesli Bisgould pendant ses décennies de pratique. Ce sont d’abord les mentalités qui doivent évoluer », dit-elle.
« Militer pour les droits des animaux, c’est faire avancer le débat avec des individus, les amener à se poser des questions sur les souffrances que leur mode de vie—nutrition, mode, cosmétiques, médicaments—inflige aux animaux. »
Ce n’est qu’après qu’on peut plaider pour de meilleurs outils juridiques.
Colbert
il y a 8 ans« Bannir les pitbulls est controversé parce que c’est une solution simpliste, poursuit Lesli Bis Gould. Il faut aller aux sources du problème, et voir ce que le propriétaire du chien a fait pour le rendre dangereux. »
S'il est vrai que certains propriétaires de chiens sont à blâmer pour le comportement de leur animal, ça n'est pas toujours le cas. Certains chiens naissent agressifs et imprévisibles, malgré tout le soin et l'attention que leur prodigue leur environnement. Tout comme les parents ne sont pas obligatoirement responsable du comportement déviant ou agressif de certains enfants.
Anonyme
il y a 8 ans"Certains chiens naissent agressifs et imprévisibles". C'est exactement ça. Ce sont ces chiens, peu importe la race, qui devraient être bannis. Un pitbull qui n'est ni agressif, ni imprévisible ne devrait pas être banni et un chien d'une autre race qui est agressif et imprévisible devrait l'être.
Anonyme
il y a 8 ansFélicitations à ces deux femmes qui font un travail remarquable et qui donnent une voix à ceux qui n'en ont pas. Il en faudrait plus comme vous!
Anonyme
il y a 8 ansD'une part, des bouquins entier sont consacrés au tempérament de certaines races de chiens. Certains ont même des comportements innés comme certains chiens bergers qui savent regrouper les animaux sans avoir été entrainé à cette fin. Tous s'accordent pour dire que l'accouplement sélectif dont ont fait l'objet certaines races sont responsables de ce fait.
D'autre part, tous savent que les pitbulls et d'autres races ont été accouplés en raison de l'aggressivité de certains individus de cette race. Pourtant, pour ces bêtes, tout le reste concernant la part de l'innée issue de l'accouplement sélectif est rejeté du revers de la main et on retient la responsabilité exclusive du maître (ex: poursuit Lesli Bis Gould. "Il faut aller aux sources du problème, et voir ce que le propriétaire du chien a fait pour le rendre dangereux").
Toutes les races de chiens mordent, mais les homicides et blessures graves sont le fait d'une poigné de race avec en tête, et de loin, le pitbull (plus de 80% selon certaines sources). Si la 'mauvaise éducation' était le seul facteur, d'autres races que l'on ne voit pratiquement jamais dans ces stats s'y retrouveraient compte tenu de leurs nombres: Lab, Golden, Airedale etc. Mais non, on voit toujours les pitbulls. Je connais même une dame qui avait fait dresser le pitbull qu'elle avait adopté de la SPCA. La seconde fois qu'il a attaqué un humain, heureusement sans trop de conséquences, elle l'a fait euthanasier.
Passez un règlement où l'on interdira l'accès au territoire pour de nouvelles bêtes. Ce refus obstiné de la SPCA à toute forme de contrôle équivaut à nier la part de l'innée et démontre un refus d'accepter la réalité. Agir en fonction de ce refus en dépit des stats démontre une insouciance phénoménale et une hierarchie des valeurs où l'humain passe en second.