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Comment négocier 460 M$ à 4 500 victimes en 2 ans !

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Jean-francois Parent

2017-03-31 13:30:00

Il y avait beaucoup d’avocats impliqués dans le dossier, médiatisé et politisé, de Lac-Mégantic. Contre toute attente, le dossier s’est réglé...
Me Sylvain Lussier d'Osler
Me Sylvain Lussier d'Osler
C'était une cause qui aurait pu tourner au « party d'avocats » pendant 20 ans, lance Me Sylvain Lussier, d'Osler. Et pourtant. Le recours de plus de 1 milliard $ visant 25 défendeurs s'est réglé en deux ans, dans un règlement accordant 460 millions $ à 4 500 victimes de la tragédie de Lac-Mégantic.

Avec Me André Ryan, de BCF et Me Jeff Orenstein, du Groupe de droit des consommateurs, le trio d'avocats répondait à l'invitation du Barreau d'épiloguer sur les tractations juridiques qui ont mené au dédommagement de 4 500 personnes.

Le 6 juillet 2013, 5,4 millions de litres de pétrole brut se sont déversés, enflammés et ont rasé le centre de la petite ville. Le brasier a fait 47 victimes et laissé une plaie béante qui continue de se cicatriser dans la municipalité de 6 000 personnes de l'Estrie.

Le Tout-Montréal en défense

Lorsque Me Daniel Larochelle commence à organiser la riposte juridique, dans les semaines suivant la tragédie, le juriste méganticois spécialisé en droit des assurances sait qu'il s'attaque à plus fort que lui : il a besoin de renforts, sachant qu'il devra affronter les grands bureaux montréalais.

« Me Larochelle savait que chacun des 25 défendeurs allait faire appel à un grand cabinet. Il nous a donc sollicités », explique le fondateur du cabinet montréalais spécialisé en actions collectives Jeff Ornstein. Ce dernier s'allie également avec Rochon Geneva, de Toronto.

Le recrutement juridique est d'ailleurs si intense à Montréal que les cabinets montréalais n’ont pas suffi, et que des avocats de Québec ont été appelées à la rescousse.

Le labyrinthe

Me André Ryan
Me André Ryan
Près de 30 défendeurs, des milliers de victimes, plusieurs recours au Québec et aux États-Unis... La table était mise pour un dossier qui s'enlise pendant des décennies, rappelant le sombre précédent de Castor Holding, une fraude comptable orchestrée à Montréal au début des années 1990, et qui a mis près de 30 ans à se régler.

Outre le recours en dommages auquel participent plusieurs milliers de méganticois, les familles des personnes décédées intentent des recours, aux États-Unis, pour « mort injustifiée », traduction libre de la notion, en droit américain, de « wrongful death ».

« La faillite de la Montreal, Maine & Atlantic constituait un autre recours », intenté dans l’État du Maine cette fois-ci, explique Sylvain Lussier, de Osler, qui plaide pour Pétroles Irving, acheteur du carburant qui a embrasé Lac-Mégantic. André Ryan représente quant à lui Marathon Oil, le producteur du pétrole qui allait rayer le centre-ville de Lac-Mégantic de la carte.

En outre, le gouvernement québécois intentait des recours pour payer la décontamination des lieux.

Beaucoup de monde, beaucoup de bruit et surtout... beaucoup d'avocats. « Nous étions 45, au palais de justice de Sherbrooke », pour l'ouverture des discussions présidée par le juge Gaétan Dumas », relate André Ryan, de BCF.

La faillite

Me Jeff Orenstein
Me Jeff Orenstein
Autre problème, épineux celui-là : incapable de faire face aux suites de la tragédie, la MM&A dépose son bilan. La cause de faillite vient donc obscurcir le portrait et les défendeurs deviennent également des créanciers du failli.
Une situation qui s’explique par le fait que tous les défendeurs cités dans le recours brassent des affaires avec la MM&A : certains fournissent les wagons, d'autres transportent le brut dans certains segments du voyage, d'autres encore ont servi d'intermédiaires pendant le transport du pétrole, qui a quitté le Dakota du Nord pour aller vers le Nouveau-Brunswick.

Il y a donc deux causes en parallèle, la faillite plaidée dans le Maine, et le recours civil plaidé au Québec.

Heureusement, ajoute-t-il, tant la Cour supérieure du Québec que la Cour de la faillite du Maine collaborent étroitement, dès le début, acceptant de tenir des audiences communes lorsque le dossier l'exigeait.

« Le juge américain a beaucoup insisté pour que les ententes qu'il autorisait soit acceptables pour les parties québécoises », selon Me Ryan.

Il reste que plusieurs défendeurs ne veulent pas prendre le risque de s'embourber dans de longues procédures légales. « Lorsqu'un client demande quel est le risque qu'une autre procédure soit déposée contre lui, et qu'on répond ''5 %'', il peut juger que c'est un risque trop important », relate Me Lussier.

Ainsi, le calcul incluant une probabilité de perdre un recours, multiplié par les sommes à verser à chacun des défendeurs d'un éventuel nouveau recours, auquel s'ajoute l'atteinte à la réputation causée par un procès qui s'éternise, « ça peut finir par devoir coûter très cher! », explique Me Lussier.

Sans compter que « la pression politique et publique pour régler était très grande » rappelle André Ryan, de BCF.

D'ailleurs, les défendeurs qui ont refusé de régler, tels le Canadien Pacifique, sont toujours devant les tribunaux.

Négociations

D'où l'impératif de négocier rapidement un règlement, satisfaisant pour toutes les parties. Et ce, « même si certains défendeurs estimaient n'avoir aucune responsabilité dans la catastrophe », poursuit André Ryan.

À cette affirmation, Me Ornstein rétorque avoir disposé d'un as dans son jeu. « Le pétrole de schiste du Dakota du Nord est réputé très volatile et ce, depuis les années 1990. Et cela tous les défendeurs le savaient. Et aucun n'a pris de précautions spéciales pour en tenir compte.» Il aurait donc été facile, soutient Me Ornstein, de plaider que chaque acteur de la ligne d'approvisionnement avait failli à sa responsabilité.

Commence alors un intense va-et-vient entre toutes les parties dans un ballet orchestré notamment par Me Pierre Legault, de Gowling WLG, qui représente MM&A.

Dès qu'un montant était proposé par l'un des défendeurs, il fallait s'entendre avec les plaignants, puis retourner auprès du client pour renégocier la somme si la poursuite n'était pas d'accord. « Dans l'ensemble, nous avons surtout négocié sur des points de détail. Il n'est arrivé qu'une seule fois que nous ayons tout simplement refusé une proposition parce qu'elle ne faisait aucun sens. L'offre a alors été doublée », relate Me Jeff Ornstein, du Groupe de droit des consommateurs.

« Et on peut dire qu'il y a eu beaucoup de tordage de bras pour que les défenseurs—et les plaignants—acceptent les règlements proposés », relate Sylvain Lussier, selon qui Pierre Legault, de Gowling, se serait ainsi assuré que tous acceptent les propositions les plus sensibles.

Car il y a eu une épine dans le pieds des négociateurs : tous les défendeurs, établis hors Québec, exigent l'immunité contre toutes poursuites ultérieures. Et veulent donc que le règlement final contienne une telle disposition.

Le hic? En vertu de l'article 513 du code de procédure civile, « une injonction ne peut en aucun cas être prononcée pour empêcher des procédures judiciaires ».

Pour leurs clients habitués à la common law, une telle disposition pouvait faire dérailler le processus. Une fois réglé, ces clients s’attendaient à ce que le dossier soit clos. Les avocats québécois ont donc dû négocier ferme pour les convaincre que la quittance obtenue après avoir réglé une procédure de faillite est l'équivalent du « bar order », soit l'interdiction de poursuivre, recherché.

« On aura réussi à prouver qu'on peut gérer, et mener à terme, des dossiers complexes, multi-juridictionnels et politiquement chargés », conclut Me Ryan. Et ce, dans des délais raisonnables et surtout, grâce à l'utilisation de la procédure de faillite pour traiter une action collective civile.

Les premiers chèques d'indemnisation ont été envoyés au début de 2016, soit deux ans et demi après la tragédie.

Jeff Ornstein, qui concède que la procédure a été bien menée, estime toutefois que « l'utilisation de la faillite pour régler le recours a permis aux défendeurs de s'en tirer à bon compte ».
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