Tirer son bord de la couverte, non merci!
Éric Martel
2018-11-22 14:30:00
« En droit, on est factuels. On a un travail à faire et on oublie les émotions, dit-il à Droit-inc. Le système ne nous laisse pas le faire… Participer à ces séances a changé ma manière de percevoir l’humanité. »
En cette semaine de la justice réparatrice, l’avocat de 29 ans rappelle à quel point celle-ci est sous-estimée.
« Notre système n’en tient pas assez compte. Ce n’est pas une solution alternative...ça devrait être un rouage important de notre mécanisme judiciaire. En tant que citoyen, je me sens davantage en sécurité si les détenus passent à travers d’un processus de justice réparatrice.»
Coup de foudre pour la médiation
Me Henriques travaillait au Centre communautaire juridique de Montréal avant de participer à des rencontres détenus-victimes organisées par le Centre de services de justice réparatrice.
À l’issue des dix séances, l’ancien du Centre communautaire juridique de Montréal (CCJM) abandonna son emploi. Il y était pourtant satisfait, convaincu d’avoir fait une différence : il a simplement réalisé qu’en médiation, il pourrait en faire plus pour les victimes et les criminels.
« Je ne veux plus être un avocat qui ne fait que tirer son bord de la couverte. Je veux me positionner au centre… être là où ça fait mal! J’ai envie de travailler sur le lien entre les victimes et les agresseurs. »
Celui dont la vie a été changée par son expérience en justice réparatrice ne croit pas que le système judiciaire actuel est complètement inefficace. Toutefois, il estime que le crime devrait être perçu d’un nouvel oeil lors des séances en tribunaux.
« On fait l’économie d’une réflexion face au crime en salle de cour en ne considérant que le côté factuel. On oublie une dimension émotionnelle dont le potentiel est tellement puissant, riche. Aborder ces enjeux-là, c’est ça notre vrai travail de fond. »
Aujourd’hui, l’homme est près d’obtenir sa maîtrise en prévention et règlement de différends à l’Université de Sherbrooke. Il souhaite faire de la méditation afin d’explorer une facette que ne touche pas le système de droit traditionnel.
« Un avocat peut défendre un criminel qui va encaisser 15 ans de prison et ne jamais savoir si la détention lui a apporté quelque chose de positif. Ce n’est pas qu’en discutant qu’on peut régler tout, mais je suis certain que le faire diminue les risques de récidives. »
Crime apparenté
Lors de ces séances détenus-victimes organisées par le Centre de service de justice réparatrice (CSJR), trois victimes ainsi que trois détenus sont rassemblés par deux animateurs. Ceux-ci ont été impliqués dans ce qu’on appelle un crime apparenté, dont la nature est similaire.
Le but de ces séances n’est pas de remplacer le système juridique actuel, cherchant plutôt à le complémenter.
« Les détenus ont rarement la chance d’entendre les victimes parler des difficultés qu’ils ont vécues et vice versa. C’est l’angle mort du système traditionnel. »
Lors d’une dizaine de séances répandues sur quelques mois, les six participants racontent leurs traumatismes, leur culpabilité ainsi que les difficultés que les crimes leur font vivre au quotidien.
« Même lorsque les agresseurs sont condamnés, les victimes ont rarement eu l’impression d’avoir été entendues, d’avoir pu exprimer ce qu’elles ont vécu. La justice réparatrice vient pallier à ce manque. »
Dans le cadre de ces séances, le CSJR fait appel à des citoyens issus de milieux divers. Ceux-ci assistent aux séances et y participent à leur guise, expliquant de quelle manière ils perçoivent les faits énoncés par les détenus et victimes.
C’est dans ce rôle de citoyen que Me Henriques a participé à aux séances détenus-victimes.
« Au départ, je ne comprenais pas pourquoi on faisait appel à des citoyens. Après quelques minutes, j’avais changé d’avis… »
Un choc
Le crime dont il était question lors des séances auxquelles Me Henriques a participé était l’agression sexuelle incestueuse.
Pour la première fois, des femmes s’ouvraient sur les viols et les abus qu’elles avaient vécus une cinquantaine d’années auparavant.
« Elles ressentaient toujours de la culpabilité. Personne ne leur avait dit qu’elles n’étaient pas coupables. Qu’elles n’étaient pas folles. Elles n’avaient jamais osé en parler, car elles croyaient qu’on ne les aurait pas crus...»
La pertinence de miser sur des citoyens ne s’arrête pas là : les détenus présents souhaitaient entendre leurs quatre vérités afin de se préparer à réintégrer la société.
« Ils voulaient être testés. Qu'on leur dise que commettre une agression,c'est dégueulasse. Ils savent qu’après 15 ans de prison, ils ne seront pas accueillis à bras ouverts une fois libérés. »
La transparence complète est au coeur de ces cercles dans lesquels il n’y a aucune retenue.
Conscients du mal qu’ils ont causé à autrui, plusieurs détenus susceptibles d’obtenir leur libération conditionnelle choisissent de demeurer derrière les barreaux.
« C’est quelque chose qu’ils n’auraient pu réaliser à la cour. Ce n’est pas devant un juge qu’on constate qu’on a pourri l’existence de quelqu’un : c’est en l’entendant décrire comment sa vie a été anéantie. »
Me Henrique n’arrive pas à trouver les mots pour décrire les atrocités vécues par les victimes réunies par la CSJR. Malgré tout, lors de la conclusion de ces séances, elles semblaient plus en paix.
« Les victimes disaient qu’elles auraient aimé que leurs agresseurs aient accès à de telles ressources. Et qu’ils parviennent à se pardonner, malgré les actes qu’ils avaient commis. »