Preuve électronique : danger !
Jean-francois Parent
2019-07-04 11:15:00
Parlez-en à Dennis Oland. Condamné pour le meurtre de son père Richard en 2015, le Néo-Brunswickois est dans l’attente d’un nouveau verdict, prévu pour la mi-juillet.
C’est que la preuve la plus accablante qui l’a fait condamner une première fois émane de la localisation du téléphone cellulaire de la victime… qui s’est avérée non concluante.
La triangulation permettant de localiser l’appareil de la victime, qui aurait démontré que celui-ci était en possession de l’assassin présumé peu après le meurtre, n’a donné aucun résultat. Ce qu’aucune des parties au procès n’a été en mesure de comprendre.
Par ailleurs, il s’avère que le logiciel d’extraction des messages textes utilisés par le fournisseur Rogers à la demande des enquêteurs était défectueux, ce qui n’a pas été dévoilé lors du premier procès.
Cela a miné l’intégrité de la preuve, et un nouveau procès a été ordonné.
Des craintes
« On présume trop souvent que la preuve électronique satisfait aux critères de la Loi sur la preuve », constate la criminaliste Annie Émond, du cabinet BFGJ à Montréal.
Or, c’est loin d’être le cas. Pourtant, « on a une preuve provenant d’un cellulaire, on considère que ça va de soi. Le piratage informatique, la fraude, tout ça démontre l’absence de fiabilité de la preuve », poursuit Me Émond.
Le manque de curiosité, d’intérêt, et de compétence des juristes inhibent le réflexe de valider la preuve électronique, selon elle. « On n’applique pas le standard de preuve ; soit c’est complètement ignoré, soit on n’a pas le temps ou les ressources pour le faire. » Car évaluer la fiabilité d’une preuve électronique coûte cher.
Et cela fait craindre le pire. « Les causes plus anodines, comme la fraude, passent sous le radar. Mais là, on a une affaire de meurtre. C’est grave. Combien de causes sont entendues chaque jour sur la base de preuves électroniques non validées ? »
La magie
Un constat d’autant plus troublant que la preuve électronique est tout sauf parfaite. « C’est très facile de trafiquer une preuve numérique, beaucoup plus que la papier », selon Vincent Gautrais, professeur de droit à l’Université de Montréal et spécialiste des technologies de l’information.
À cela s’ajoute la problématique de l’extraction de la preuve. Si on dépose en preuve des éléments extraits d’une base de données, il faudrait au moins s’assurer que les données aient été extraites correctement, par du personnel qualifié, et qu’elles soient correctement interprétées.
Un des problèmes de la preuve dans le dossier Oland est que personne, au procès, n’était en mesure d’évaluer la signification de ce que le technicien du fournisseur de téléphonie a déclaré aux policiers lorsque ceux-ci ont voulu localiser le cellulaire de la victime.
« Il faut pouvoir valider une preuve, mais également valider ce qu’elle peut dire—et ne pas dire », poursuit l’universitaire. Et cette validation n’est pas encore possible, ne serait-ce que parce que le droit entretient l’illusion que l’informatique est infaillible.
Il reste que les choses s’améliorent, poursuit Vincent Gautrais. « On a eu tendance à considérer le côté magique de la preuve technologique. Maintenant, on remarque que de plus en plus de juges qui retournent les procureurs à la planche à dessin » pour justement mieux préparer leur preuve.
Un problème à régler
L’un dans l’autre, tout cela signifie que ce problème doit être pris à bras-le-corps, et vite, conclut le criminaliste ontarien Ken Chasse dans une récente chronique du magazine Slaw, où il attache le grelot du problème soulevé par l’affaire Oland.
« La fiabilité des logiciels et des outils utilisés pour colliger de la preuve électronique doit toujours être remise en question », écrit-il. Cependant, la formation des juristes comporte une grave lacune à cet égard, et ces derniers ne peuvent tout simplement pas évaluer les preuves déposées quotidiennement lors de procès.
La résultante, c’est que « seuls les clients qui en ont les moyens pourront engager des experts pour soutenir leurs avocats » poursuit Ken Casse. Il exhorte donc les ordres professionnels à créer une catégorie spéciale de juristes rompus à ces questions, qui pourront soutenir les efforts de leurs collègues.