Police de la police
Frédéric Bérard
2012-01-11 14:15:00
Histoires vécues: bavures policières, présumées ou réelles. Ouverture d’une enquête, laquelle est menée par… des collègues policiers. Nul besoin d’être doctorant en éthique publique afin d’y déceler l’ironie, voire le conflit d’intérêts pur et simple. Difficile également de conclure à la simple anecdote. Les cas de Pierre Hamel, Patrick Limoges et Freddy Villanueva en constituent, à preuve, les plus récentes et malheureuses illustrations.
Solution absolue ? Inexistante, sauf erreur. La séparation des pouvoirs établie par Locke et Montesquieu comporte, par la force des choses, ses limites intrinsèques. Qui police la police ? La police. Qui juge le juge ? Le juge. Idem pour les corporations professionnelles, Barreau et Collège des médecins, pour seuls exemples. Sans présumer de la partialité assumée de ceux-ci, il est à tout le moins permis de convenir, un tant soi peu, à l’apparence de conflit d’intérêts. À l’apparence de traitement préférentiel.
Est-ce à convenir de l’imperfectibilité dudit système ? Se satisfaire bêtement de la formule éprouvée et ce, au nom d’un certain fatalisme ? Se vautrer davantage à même le cynisme supplémentaire provoqué par les exemples ci-haut mentionnés ?
Non, bien sûr. Le ministre québécois de la Sécurité publique, Robert Dutil, semble abonder dans le même sens. En déposant récemment le projet de loi 46, lequel prévoit la création d’un Bureau civil de surveillance des enquêtes indépendantes, le ministre admet à la fois le fléau visé et les moyens visant à enrayer ce dernier. La méthode ? Simple sans être simpliste : pour toute enquête de policiers sur leurs pairs, des civils auront pour mission de s’assurer que celle-ci a été conduite de manière juste et impartiale. Sans participer directement à celle-ci, les civils en question seront, en quelque sorte, les « yeux du public ». En plus d’accéder à la scène du crime, ils seront en droit d’assister aux interrogatoires et obtenir la preuve colligée à même l’enquête. Toutes irrégularités seront communiquées au ministre par le président du Bureau, celui-ci étant juge ou avocat.
Suffisant pour obliger les corps policiers à faire preuve de précautions supplémentaires quant aux procédures et traitements applicables ? Indubitable. Suffisant afin d’enrayer la problématique dans son ensemble ? On peut en douter, évidemment.
En fait, à cet égard, il aurait été peut-être préférable de s’en remettre aux recommandations de la protectrice du citoyen, laquelle proposait la création d’un bureau totalement indépendant formé de policiers retraités et de civils. Exit les confrères actuels. Exit le risque de contamination de témoignages. Exit la complaisance. Et pourquoi le ministre s’est-il refusé de poursuivre dans cette voie ? Peut-on présumer de cette même complaisance, cette fois à l’endroit de ses propres « employés »? La question est posée. À défaut toutefois d’un système de contrepoids bien établi et parfaitement étanche, saluons tout de même ce premier pas, lequel se dirige apparemment dans la bonne direction.
La police qui police la police ? Inévitable. Mais dorénavant avec une certaine interférence extérieure et ce, conformément à l’essence même de la séparation des pouvoirs. Au plus grand plaisir de Lord Acton, d’ailleurs.