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Journalisme, politique et conflit d’intérêts

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Frédéric Bérard

2012-07-11 14:15:00

Frédéric Bérard revient sur le cas du journaliste Pierre Duchesne, devenu candidat du Parti québécois. Y-a-t-il eu conflit d'intérêts comme l'invoque le Parti libéral du Québec ?
Dans toute société démocratique, nul doute que l’impact du traitement médiatique sur la dynamique politique se veut fondamental. Bien que ceci demeure une vue de l’esprit, l’objectivité du média constitue théoriquement une pierre d’assise du bon fonctionnement de l’appareil démocratique.

À même cette foulée, rien de trop surprenant dans le fait que la transition de journaliste à la vie politicienne pose, de façon ponctuelle, certaines questions d’ordre éthique : le traitement de l’information par ce même journaliste s’est-il effectué de manière neutre ? A-t-on assuré l’intérêt public ou plutôt la prise en compte de considérations partisanes ? Le journaliste devenu politicien s’est-il, par la force des choses, placé en situation de conflit d’intérêts ?

Au-delà des preuves réelles disponibles, deux critères devraient guider, d’un point de vue perception, l’appréciation de la conduite du journaliste : la nature de son rôle et le délai s’étant écoulé entre l’une et l’autre de ses deux vies professionnelles. Ceci ne peut suffire à quelconque condamnation côté conflit d’intérêts mais provoque, de toute évidence, un malaise certain quant aux apparences à cet effet.

Apparence de conflit d’intérêts : nature du rôle et délai

Bien sûr, le degré d’objectivité variera largement selon qu’il s’agit d’un journaliste dit classique ou d’un chroniqueur nouveau genre. Alors que le premier s’assure du traitement de l’information, le deuxième analyse cette dernière et, conséquemment, saupoudrera celle-ci de sa propre opinion.

Le degré de subjectivité augmente d’autant, il va s’en dire, lorsqu’il est question d’un éditorialiste. Pour preuve, nul n’a été surpris d’apprendre que la vie politique de Claude Ryan passerait par le PLQ. L’histoire serait fort probablement la même dans le cas d’un André Pratte, par exemple. Aucun tollé d’ordre éthique n’a ou ne serait ainsi soulevé, les positions éditorialistes des deux hommes étant pour le moins connues, ceux-ci étant d’ailleurs rémunérés pour étayer leur argumentaire fédéraliste respectif.

Le journaliste a-t-il tiré profit de sa position afin d’avantager sa future famille politique ? Évidemment, plus le délai écoulé entre les deux fonctions se veut court, plus les risques de conflits d’intérêts augmentent d’autant. Idem pour le degré de suspicion à cet effet.

Le cas Pierre Duchesne

Ancien journaliste de Radio-Canada, ce dernier était affecté depuis belle lurette à la couverture des activités de la colline parlementaire. Fraîchement retraité de la télévision d’État le 15 juin dernier, sa candidature dans le comté de Borduas, au profit du Parti québécois, était annoncée quelques deux semaines plus tard. Une candidature de prestige, de dire le Parti québécois et, ô pompeusement, le principal intéressé.

Il n’en fallait pas plus afin que le Parti libéral du Québec dépose une plainte officielle au Conseil de presse et à l’ombudsman de Radio-Canada, invoquant que : « (…) le Guide de déontologie des journalistes du Québec et les Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada ont été enfreints et que monsieur Duchesne s'est retrouvé dans une situation de conflit d'intérêts grave ».

Vrai que le rôle joué par Duchesne quant à la couverture des activités de la colline parlementaire se voulait objective. Vrai aussi que le délai écoulé entre les deux fonctions fort ridiculement court. Vrai qu’il est ainsi possible, par voie de conséquence, de s’interroger sur l’intégrité du journaliste alors que celui-ci était toujours en poste. Surtout lors des derniers mois.

Pour Frédéric Bérard, le conflit d'intérêt est loin d'être prouvé dans le cas Duchesne
Pour Frédéric Bérard, le conflit d'intérêt est loin d'être prouvé dans le cas Duchesne
Sauf que la plainte du PLQ se fonde exclusivement sur les deux critères précédemment soulevés. En d’autres termes, et au-delà des apparences, peu ou pas d’éléments probants en viennent à conclure irrémédiablement au conflit d’intérêt pur et simple.

Les mauvaises langues invoqueront bien sûr le fait que Duchesne ait antérieurement rédigé la biographie de Jacques Parizeau. Malheureusement, l’argument ne tient peu ou pas la route. Bien que partiellement teintée d’une évidente sympathie pour l’ancien chef péquiste, ladite biographie, plutôt ennuyeuse au demeurant, se fonde principalement sur les aspects factuels et historiques du parcours du sujet. Passons.

Deuxièmement, on clamera le fait que l’ex-journaliste ait fréquemment refusé en ondes l’expression « chicanes de famille au PQ », préférant à celle-ci les termes « débats démocratiques ». On peut ici légitimement se demander ce qu’il y a de très démocratique à la manie de poignarder et lapider systématiquement le quasi-ensemble de ses chefs en public (parlez-en à Lévesque, Johnson, Bouchard, Landry, Boisclair), mais bon. Avouons que comme preuve de conflit d’intérêts, on a vu mieux.

Troisièmement, le traitement de l’information Duchesne. Ici encore, et selon même la plainte logée contre lui, rien de concret ne vise à soutenir la preuve d’un complot anti-Charest. N’en déplaise à ce dernier.

En bref, peut-on conclure que les apparences sont contre Duchesne ? Absolument, du fait du court délai et de la nature de ses fonctions précédentes. Cela dit, même si l’apparence de conflits d’intérêts demeure, rien de très concret, sauf erreur, ne vient confirmer la justesse de cette perception.

À cet effet, le néo-candidat aurait-il pu ou dû étirer le délai écoulé entre ses deux fonctions ? Bien sûr. Peut-on ainsi penser à une nouvelle politique du Conseil de presse visant à établir un délai de carence, du style celui imposé aux lobbyistes ? L’idée est lancée. Car au-delà de l’éthique, existent aussi les apparences. Et celles-ci, on le sait, font fréquemment figures de réalité. Surtout en politique. Rien qu’un ex-journaliste couvrant le domaine depuis 35 ans ne pouvait ignorer a priori, par ailleurs.

L’intégrité selon Jean Charest

Plutôt ironique que toute cette histoire émane, à la base, d’accusations portées par le Parti libéral actuel. Celui-là même dont les agissements donnent aujourd’hui lieu à la Commission Charbonneau. Celui-là même dont le chef et premier ministre a encaissé quasi-clandestinement pendant nombre d’années un salaire versé par son parti, donc par diverses contributions souvent intéressées du secteur privé. Celui-là même dont certains organisateurs, ministre et autres contributeurs se retrouvent aujourd’hui accusés au pénal pour fraude, trafic d’influence et malversation. Ironie, disions-nous. En fait, se faire reprocher son manque d’intégrité par le PLQ en ces jours en vient un peu à se faire traiter d’obèse par quelconque pachyderme du Zoo de Granby.

Enfin, un dernier argument anti-candidature de Duchesne a attiré notre attention : celui du fait que celui-ci empochera une pension du fédéral alors même qu’il fera la promotion de l’indépendance du Québec. Faible argument s’il en est un. Aux dernières nouvelles, le Québec fait toujours partie du Canada. Ceci pose comme prémisse que le fédéral soit, sur le territoire de la province, un employeur prisé.

Alors quoi ? Doit-on exiger des fonctionnaires fédéraux une profession de foi fédéraliste ad vitam aeternam ? Criminaliser le délit d’opinion ? Sacraliser l’uniformité idéologique ? Un journaliste de Radio-Canada est en droit, il va sans dire, d’être autant indépendantiste que souhaité, même à l’embauche dudit employeur. Seule condition : qu’il respecte, au cours de ses fonctions, les règles les plus élémentaires en matière de neutralité journalistique. Le reste, franchement, ne regarde personne. Surtout pas les prétendus gardiens de moralité publique de type PLQ.


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