25 ans après, continuons le combat…
Lu Chan Khuong
2014-12-06 10:00:00
Je suis née au Cambodge en 1970. L'éducation y était essentiellement réservée aux garçons, les filles étant destinées à travailler dans les rizières, dans les manufactures ou encore devenaient femme au foyer. Mes parents ont fui la guerre mais surtout, ils rêvaient plus grand pour les enfants, incluant leurs deux aînées, deux filles.
Mon père m'a notamment enseignée que tout est possible dans la vie, que nous sommes tous égaux et qu'il ne faut rien craindre. Seule la peur nous empêche d'avancer. Partant de ces principes, j'ai choisi le domaine des affaires plus précisément les finances et la comptabilité. Je me suis sentie d'attaque. J'y croyais à ce monde où tous sont égaux et ont les mêmes droits.
Ce 6 décembre 1989, rien n'annonçait le drame de la Polytechnique. Ce tueur a remis en question tout l'enseignement reçu. Par ce geste immonde, il a bouleversé l'univers apparemment stable et confortable dans lequel la société québécoise s'était installée. Ce jour-là, plusieurs concepts ont été attaqués: le droit à l'éducation, le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes, le droit à la sécurité.
Le droit à l'éducation
Les connaissances acquises et les expériences de la vie ne peuvent être oubliées. Nous avons quitté un pays en guerre, laissant tout derrière nous. Tout sauf notre vécu. Très jeune, j'ai été sensibilisée à l'importance d'étudier, d'apprendre, de m'instruire. Mes parents se sont privés et se sont endettés pour nous permettre d'acquérir cette richesse. Selon eux, celle-ci nous permettrait de prendre notre place dans la société et aussi de contribuer à son évolution. Ce 6 décembre 1989, en s'attaquant à l'éducation des filles, ce sinistre individu ébranle cette certitude.
Le droit à l'égalité
Tous les êtres humains sont égaux. Peu importe le genre, la race, l'âge ou l'orientation sexuelle, chaque être a le droit d'être considéré et traité également et avec respect. Ce drame de la Polytechnique a remis en question la place des femmes dans la société. Certes, nous avons évolué depuis 25 ans. On compte un nombre grandissant d'étudiantes dans les établissements scolaires et surtout universitaires. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Ce travail constant doit être l'affaire de tous. Cette valeur doit être inculquée très jeune à nos filles et à nos garçons. Cet exercice doit être étendu à toutes les différences précédemment énoncées. Nous ne devons pas attendre pour prêcher que la diversité a pleinement sa place en société.
Le droit à la sécurité
Chaque citoyen a le droit de s'attendre à vivre en sécurité en tout temps et en tout lieu. Nous avons choisi de nous doter de règles claires et strictes en matière de sécurité. Nous avons un système de justice, profondément sous financé, pour trancher les différends et décider des gestes répréhensibles.
Le 6 décembre 1989, je me suis posé de sérieuses questions sur cette protection. Ce doute m'habite toujours. Je l'ai vécu lors des débats entourant le projet de loi sur le port d'armes. Je suis persuadée que la sécurité de tous serait grandement assurée par le maintien d'un registre et un contrôle accru des armes à feu.
Je suis contre le projet de loi C-42 en ce qu'il facilite l'accès aux armes mettant ainsi en danger la vie des citoyens. Cependant, je suis en accord avec les dispositions qui protègent mieux la population dont celles qui restreignent la possession pour ceux qui ont été condamnés pour violence conjugale. Les lois existent pour garantir une meilleure sécurité.
25 années se sont écoulées depuis ce malheureux événement. Celui-ci nous a obligés à nous remettre en question. Il faut se souvenir de ces vies volées. Il faut en tirer des leçons. Il faut continuer d'évoluer pour le mieux... en souvenir et pour ces 14 femmes… Il faut continuer le combat.
Bâtonnière de Québec en 2010-2011, elle est l'actuelle vice-présidente du Barreau du Québec et a déposé sa candidature aux élections à la présidence du Barreau qui auront lieu au printemps prochain.