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Les services à la carte donnent-ils un meilleur accès à la justice?

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Jean-francois Parent

2017-03-01 11:15:00

Les gens sont prêts à payer pour des services qu'ils ne peuvent assurer eux-mêmes… mais pas pour tout. Un nouveau modèle d’affaires?
Julie MacFarlane
Julie MacFarlane
La prestation de services juridiques à la carte prend du galon.

Un répertoire regroupant plus d'une centaine d'avocats offrant leurs services à la carte vient de voir le jour en Ontario. Basé à la faculté de droit de l'Université Windsor, la Base de données des plaideurs non représentés propose aux justiciables qui souhaitent se représenter eux-mêmes un registre d'avocats offrant leurs services à la pièce.

Le « dégroupage » de services, connu comme « unbundling » en anglais, permet à un particulier de sélectionner un seul service : rédaction de requête, mise en demeure, mentorat pour plaider devant un juge, recherche, etc. Il s'agit pour l'essentiel de mandats à portée limitée.

Au répertoire s'ajoute un blogue, où la chercheure Julie MacFarlane, professeure titulaire à la Faculté de droit de Windsor propose des guides pratiques : recherche de la jurisprudence, préparation à la médiation, un abécédaire des relations avec les avocats de la partie adverse, etc.

La justice inaccessible

L'initiative est issue d'une recherche effectuée par Julie MacFarlane. « Mes recherches ont démontré que rares sont les personnes qui peuvent se payer un avocat. En droit de la famille par exemple, 80 % des gens se représentent seuls. Dans les causes civiles en général, 40 % des justiciables se passent des services d'un avocat », explique l'universitaire.

Elle soutient qu'il y a également un essor de la culture du « fais-le toi-même », incitant les gens à davantage chercher d'abord les solutions pour eux-mêmes. Surtout lorsqu'ils ont l'impression qu'un avocat, c'est cher payé : l'étude de MacFarlane relève que les gens qui se représentent eux-mêmes ont tous vécu la frustration d'avoir vu leur dossier s'embourber et ne pas progresser, malgré les dizaines de milliers de dollars investis.

Robert Bauman, juge en chef de la Colombie-Britannique
Robert Bauman, juge en chef de la Colombie-Britannique
Il y a donc un besoin, chez les justiciables, pour un service permettant d'avoir accès à des conseils et des services qu'ils ne peuvent assurer eux-mêmes : « Plaider devant un juge est une expérience très intimidante, signale Julie MacFarlane. Plusieurs avocats inscrits à notre service proposent d'ailleurs du coaching à ce sujet. »

Les avocats répondent

Outre les besoins des plaideurs non-représentés, les recherches de la prof MacFarlane ont débusqué plusieurs avocats partout au pays proposant des services précis, hors du cadre d'un mandat complet. « Ils travaillaient par contre sous le radar, faisant peu ou pas de publicité. »

L'idée de regrouper les deux parties en une communauté est ainsi née, il y a deux ans.

Trois juges de l'Alberta, de l'Ontario et de la Nouvelle-Écosse ont même fait une vidéo promotionnelle en soutien au projet : « Sans accès aux services à la carte, l'alternative est que les justiciables sont laissés à eux-mêmes d'un bout à l'autre des procédures. J'encourage les avocats à offrir des services à la carte », plaide le juge en chef de la Colombie-Britannique, Robert Bauman.

Le Québec est dans les cartons

Me Jérémie John Martin
Me Jérémie John Martin
Le registre, appelé en anglais National Self-Represented Litigants Database, couvre seulement le ROC pour l'instant, le Québec est dans les cartons. Le projet, balbutiant, n'a pas encore traduit complètement son offre, et focalise pour l'instant sur les juridictions de common law, précarité des ressources oblige.

Il reste que la prestation de services à la carte est relativement commune au Québec.

En fait, les portails Avocatservice.ca et Avocatalacarte.com, deux initiatives du plaideur Jérémie John Martin, proposent justement des services dégroupés.

« Nous comptons sur une vingtaine d'avocats indépendants présents partout au Québec », explique le fondateur du projet.

Si les juristes qui participent à l'initiative travaillent surtout dans le cadre de mandats complets, « environ un client sur cinq ne sollicitera qu'un ou deux services, comme la demi-journée en cour ».

À l'instar de Julie MacFarlane, Me Martin juge que la plaidoirie est un métier qu'il convient de confier à des professionnels. « Dans une cause, l'audience est extrêmement importante, il faut donc aussi bien performer au procès – il ne suffit pas seulement d'avoir la bonne procédure », explique Me Martin.

Selon lui, la plupart des gens qui utilisent les services à la carte—qui sont en fait des mandats à portée limitée—ont eu des problème avec les taux horaires. « Ils veulent avoir accès à des services dont les coûts seront prévisibles. On ne fait pas ça pour changer le monde, mais il y a un impact sur les heures facturables », croit-il.

La profession hésite

Larry Richard
Larry Richard
Plusieurs critiques de ces modèles se font souvent entendre : on reproche souvent aux avocats qui ont de telles initiatives de « casser les prix », de proposer des « services à rabais ».

Julie MacFarlane les a toutes entendues. « C'est une industrie très conformiste; sortir du rang est mal vu; les avocats qui offrent des services à la carte le font souvent en catimini, dans l'ombre.

C'est d'ailleurs pourquoi l'initiative du registre des plaideurs non-représentés émane du monde universitaire, concède Julie MacFarlane. « On a davantage de liberté pour proposer des projets un peu plus audacieux. »
L'idée même du service à la carte ne fait pas l'unanimité.

Dans son guide des meilleures pratiques en matière de mandat à portée limitée, le Barreau de Montréal « recommande aux membres du Barreau de ne plus utiliser l’appellation « Services à la carte » pour désigner le mandat à portée limitée. En effet, cette appellation peut donner lieu de croire que les avocats ont une « carte de prix », ce qui n’est généralement pas souhaitable », peut-on lire.

L'innovation n'est pas chose commune dans l'industrie juridique, note d'ailleurs le psychologue et avocat américain Larry Richard, qui dressait l'implacable constat à Droit-inc récemment : « Les avocats sont incapables de s’adapter au changement, au point d’avoir érigé leur immuabilité en art. »

Premiers pas

Me Magali Fournier, présidente du comité
Me Magali Fournier, présidente du comité
Il reste que le Barreau de Montréal, par exemple, a créé un comité sur la question. Pour l'instant, « nous en sommes à réviser le guide sur les mandats à portée limitée », explique la présidente du comité Me Magali Fournier.

Si les travaux font tout juste commencer, « on pense que c'est à l'avantage des avocats d'offrir des mandats à portée limitée », dit Me Fournier.

On remarque l'essor de ce type de services dans le litige, mais c'est plus large que ça, poursuit Me Fournier.

Des initiatives comme celle de Lex Start pour les entrepreneurs, qui proposent des services à forfait, personnalisés selon les besoins—et les moyens—des entreprises en démarrage. L’idée est surtout de rendre accessibles les services juridiques de base par l’entremise de forfaits. Pour 2000 $, LexStart offre l'incorporation, une convention entre actionnaires, trois contrats au choix et quatre heures de consultation avec un avocat.

Tant les jeunes avocats que les entrepreneurs y trouvent leur compte.
Julie MacFarlane conclut en faisant valoir que les initiatives de dégroupage de services, ou de services à la carte, peuvent servir de tête de pont dans un marché de l'emploi saturé pour les jeunes avocats. En plus de rehausser l'accessibilité de la justice.
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