Données personnelles et pub : les avocats appelés en renfort
Delphine Jung
2017-04-10 10:15:00
Eloïse Gratton, avocate chez Borden Ladner Gervais, spécialiste du droit des technologies de l’information réfléchit à cette question depuis longtemps. « En 2000, alors que je pratiquais en droit commercial, je m’étais faite approcher par une start-up qui avait développé une technologie pour offrir de la publicité ciblée sur la localisation », raconte-t-elle.
Depuis, elle a écrit plusieurs rapports et à récemment donné une conférence sur le sujet.
Pour Me Antoine Guilmain du cabinet Fasken, il s’agit en fait d’un « nouveau modèle d’affaires dans lequel l’avocat a un rôle à jouer pour évaluer de nouveaux problèmes ».
Ce modèle d’affaires est apparu notamment avec les données massives (big data). « Aujourd’hui, les compagnies ont la capacité de les analyser et de déterminer certaines tendances, certaines statistiques sur leurs clients. Elles veulent les utiliser pour développer de nouveaux produits, de nouveaux services et parfois pour les vendre à d’autres entreprises qui en auraient l’utilité », détaille Me Gratton.
Plusieurs questions se posent avec ce marché en pleine expansion. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’un cours à la maîtrise de la faculté de droit (UdM) intitulé « droit des technologies de l’information avancé » a été mis en place depuis 2014. Il est donné par Eloïse Gratton elle-même.
Le sujet a d’autant plus d’importance que Me Guilmain estime même qu’ «il ne s’agit pas là d’un effet de mode. La publicité comportementale est un marché lucratif et en pleine expansion qui devrait encore se diversifier ».
De quoi susciter chez leurs clients de nombreuses interrogations,comme en témoigne Me Guilemain et Me Rémi Bourget, avocat chez Mitchell Gattuso. Chacun y va de sa petite anecdote : « Nos clients naviguent un peu à vue et souvent se demandent simplement s’ils ont le droit de faire telle ou telle chose », explique par exemple Me Bourget.
Le problème, c’est que la législation peine à suivre les évolutions technologiques et accuse toujours un train de retard. « C’est un grand défi pour le droit d’être à jour », estime Me Bourget.
« La loi n’est pas claire, il y a des zones grises. En plus, c’est compliqué de donner un conseil simplement en lisant les lois, il faut comprendre les normes sociales actuelles », dit Me Gratton.
Ce flou juridique entraîne soit une frilosité à l’innovation dans certaines compagnies d’après elle, ou à l’inverse, des ratés. Bell par exemple, dont les pratiques ont été observées à la loupe dans le cadre d’une enquête sur le Programme de publicité pertinente, ou encore le géant des pharmacies Jean Coutu, qui a été épinglé pour avoir transmis une liste de ses clients diabétiques.
Rémi Bourget estime même qu’au-delà son statut d’avocat, en tant que consommateur lui-même, tout le monde aurait intérêt à s’intéresser à la question.