Un avocat-maire défend un client contre sa propre ville!
Jean-francois Parent
2018-02-15 15:00:00
C'est le quotidien La Presse qui a révélé l'affaire, mardi.
Le conseiller a été élu sous la bannière Vision Châteauguay, dont Me Routhier est le chef.
Ce dernier, de Routhier Goulet, à Châteauguay, avait défendu M. Gendron devant la Commission des affaires municipales en 2014 pour des infractions alléguées à l'éthique municipale.
Les honoraires d'avocat de Michel Gendron sont couverts par Châteauguay, permettant à Me Routhier de recevoir deux rémunérations de la Ville, son salaire et des honoraires..
Déclaration pécuniaires
Michel Gendron, entrepreneur de son état refusait alors –et refuse toujours— de divulguer les actifs immobiliers détenus par son entreprise. Il avait par ailleurs omis de déclarer, dans sa déclaration d’intérêts pécuniaires, qu'il était toujours administrateur au sein de la société Gestion Mike Gendron Inc. « ainsi que les immeubles dont la société est propriétaire dans la Ville », alléguait la poursuite.
Débouté par la CMQ, qui a jugé imprécises les dispositions déontologiques invoquées contre M. Gendron, voilà que Châteauguay a poursuivi sa bataille contre son conseiller.
Une poursuite en Cour supérieure s'en est suivie : la Ville persiste et veut savoir si des transactions immobilières faites par Châteauguay peuvent favoriser l'un de ses élus. D'où l'importance de la divulgation. La Cour supérieure lui a donné raison, en 2016.
La Cour d'appel se penchera sur le dossier, puisque Me Routhier a interjeté appel pour Michel Gendron.
Un client depuis longtemps
Me Routhier représente M. Gendron depuis plusieurs années, et continue de le faire depuis son élection à la mairie, en novembre dernier.
« Dans la jurisprudence, un conflit d'intérêts est le fait, pour un élu, de se placer dans une situation où il doit choisir entre son intérêt personnel et celui de sa fonction », explique Rino Soucy, associé chez Dufresne Hébert Comeau et co-auteur du traité jurisprudentiel et doctrinal Éthique et déontologie des élus et fonctionnaires municipaux, publié chez Wilson Lafleur en 2013.
« J'ai de la difficulté à voir comment il peut négocier le dossier avec son contentieux en étant maire, alors qu'il plaide contre son administration. Je pense qu'il y a là un conflit d'intérêts flagrant. Il est dans les deux souliers en même temps », poursuit Me Soucy.
Éthique municipale
Une révision du Code sera présentée au prochain conseil municipal de Châteauguay le lundi 19 février prochain.
L'article 5 du nouveau règlement G-023-18, exposant les règles de conduite que les élus doivent suivre, « ont notamment pour objectifs de prévenir : i. toute situation où l’intérêt personnel (...) peut influencer son indépendance de jugement dans l’exercice de ses fonctions (…) iii. le favoritisme, la malversation, les abus de confiance ou autres inconduites ».
Quant aux conflits d'intérêts, le règlement interdit « d’agir, (…) ou d’omettre d’agir de façon à favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels », et « de se prévaloir de sa fonction pour influencer ou tenter d’influencer la décision d’une autre personne de façon à favoriser ses intérêts personnels ».
Selon la directrice des communications de la Ville, Marie-Claude Tremblay, « aucune plainte concernant le maire Routhier n'a été reçue » par l'administration châteauguoise. Nos appels logés tant au cabinet du maire qu'à l'étude Routhier Goulet, pour tenter de savoir si Pierre-Paul Routhier détenait un avis éthique lui permettant de plaider contre la ville dont il est maire, sont restés sans réponse.
Au cabinet du maire, on nous a d’abord répondu que « le maire étant absent pour la semaine, il retournera votre appel à son retour » et, lors d'un appel subséquent, que « puisque la situation concerne le statut d'avocat se déroulant en marge de la fonction du maire, « il faut s'adresser à son cabinet ».
François Le Borgne, seul conseiller indépendant de Châteauguay, par ailleurs professeur de droit à l'Université de Montréal et ex-membre du comité sur les conflits d'intérêts de l'Université de Montréal, a dit « réserver » ses commentaires sur la situation. Invoquant la nouveauté du poste qu'il occupe et les examens de mi-session qu'il doit administrer à la fac de droit, il concède ne « pas avoir eu le temps » de se faire une opinion.
Problèmes multiples
Le problème comporte plusieurs angles, observe pour sa part l'avocat retraité François D. Samson, qui a présidé plusieurs conseils de discipline, dont celui du Barreau et plus récemment celui du Collège des médecins, dans les 27 dernières années.
« Un avocat doit obtenir le meilleur pour son client, tandis qu'un maire doit obtenir le meilleur pour sa municipalité. Déjà ici, ça pose la question de quel côté l'avocat va se positionner. »
Il y a plus : le contentieux de la ville, qui est au cœur de la stratégie du litige, risque aussi de se trouver dans une situation intenable. « Le contentieux doit travailler contre son maire et patron, lequel se retrouve avec un employé qui travaille contre lui. Ça ne fonctionne pas, » poursuit Me Samson.
Au quotidien La Presse, le maire Routhier a expliqué que les plaidoiries seront faites par un autre avocat de son cabinet. « C'est une de mes consoeurs qui va faire les représentations. Si elle a besoin d'aide, je vais l'alimenter puisque c'est moi qui ai représenté M. Gendron en première instance », a-t-il déclaré.
« Mais ça aussi ça pose problème », rétorque Me Samson. D'une part, parce que le cabinet qui porte le nom de Me Routhier continue d'être impliqué, et d'autre part, parce que Me Routhier continue d'être impliqué dans une cause contre son administration.
Sans compter qu'il y a une inéquité procédurale possible: l'avocat en défense a aussi accès, en théorie du moins, au dossier de la poursuite. Pis encore, c'est lui qui doit approuver la stratégie du contentieux de sa ville, stratégie contre laquelle il devra ensuite défendre son client.
Manque de jugement?
Mes Soucy et Samson abondent dans le même sens : même au chapitre des apparences, la situation est problématique. « Je ne serais pas étonné que le dossier se retrouve en déontologie », conclut Rino Soucy.
Questionné sur l'apparence de conflit par La Presse, Pierre-Paul Routhier a déclaré ne voir « aucune entorse déontologique sa situation».
Toujours dans le quotidien, il explique que la question au centre du litige « lui tient à coeur et que son travail permettra d'éclaircir un point de droit qui bénéficiera à l'ensemble des élus municipaux au Québec ».
Il s'agit en effet de trancher si la non-divulgation des actifs des entreprises de Michel Gendron est contraire à la déontologie municipale, dans le contexte où il y a « absence d’une disposition précisant les obligations déontologiques de monsieur Gendron en regard de la déclaration de ses intérêts pécuniaires », statuait la CMQ en 2014.
L'ex-mairesse Nathalie Simon, qui avait initié les premières procédures contre Michel Gendron et qui a dû céder son siège à Pierre-Paul Routhier en novembre dernier, n'arrive pas à comprendre comment le nouveau maire peut manquer de jugement à ce point.
« Même s'il avait la cause (Gendron) avant son élection, il ne peut juste pas être payé par la ville dont il est maire, pour aller en cour contre la Ville. S'il était déneigeur, ce serait la même chose. Il est où le jugement du premier magistrat de la ville? » demande-t-elle.
Intérêt commercial?
L'avocat-maire n'ayant répondu à aucune de nos quatre demandes de précisions, il n'a pas été possible de confirmer s'il détient lui-même des intérêts commerciaux dans la cause qu'il plaide pour le compte de M. Gendron.
Lors des débats électoraux de l'automne, Me Routhier affirmait que « ses entreprises ont payé 94 000 $ de taxes municipales en 2017 ».
Dans la déclaration d'intérêts pécuniaires du maire Routhier, dont Droit-Inc a obtenu copie, seule sa résidence est déclarée comme actif immobilier. Le rôle foncier établi les taxes résidentielles du maire-avocat à 3 849,75 $.
Quant à l'immeuble abritant le cabinet Routhier Goulet, au 168 boulevard St-Jean-Baptiste à Châteauguay, les propriétaires principaux sont Daniel Moquin et Gestion Mike Gendron. Les taxes sont de 14 588,31 $ pour l'année en cours.
Cependant, dans la déclaration d'intérêts du maire Routhier, datée du 5 novembre dernier, on dénombre six entreprises et une fondation dont le premier magistrat se dit administrateur. Outre le cabinet Routhier Goulet, Me Routhier déclare des intérêts dans la Société de placements immobiliers 9215-8880 Québec Inc., hébergée au 168 St-Jean-Baptiste. Il en est le secrétaire-trésorier. Le président de 9215-8880 Québec Inc. est Daniel Moquin, propriétaire conjoint, avec le conseiller Gendron, du 168 St-Jean-Baptiste. M. Moquin, qui a été vérificateur de Châteauguay, est également deuxième actionnaire de 9215-8880 par l'entremise de la Fiducie Familiale DC/CAM, détenue par M. Moquin.
Le maire Routhier dit être également impliqué dans Déménagements Transcanada, Lignes de transports Le Gardien, 3000788 Canada Inc. et le Holding Sherobec. Il est premier actionnaire et président de chacune de ces quatre sociétés, qui sont locataires de leurs espaces des rues Albert-Einstein et Ford, et non propriétaires, selon le rôle foncier de Châteauguay.
Pendant ce temps, à Saint-Constant...
Par ailleurs, le Reflet de Delson révélait quant à lui le 6 février dernier que le maire-avocat défendait également le maire déchu de la municipalité voisine de Saint-Constant.
Arrêté par l'UPAC en 2013, Gilles Pepin exige de la ville le remboursement de 100 000$ en frais juridiques, nécessaires à sa défense. Le DPCP ayant retiré ses accusations en 2015, l'ex-maire Pepin veut recouvrer ses frais d'avocats.
Le procureur qui agit pour Saint-Constant, Me Marc-André LeChasseur, a demandé au maire Routhier de se retirer du dossier. D'une part, le maire Routhier siège au conseil de la MRC Roussillon avec l'actuel maire de Saint-Constant, Jean-Claude Boyer. Les deux hommes ont des dossiers communs, et Me Lechasseur, de Bélanger Sauvé, estime que les apparences militent pour que Me Routhier se désiste.
« Sans pouvoir établir qu’il y a conflit avec le code d’éthique des avocats, il y a lieu de se questionner. Les intérêts apparaissent contradictoires à mon avis, mais Me Routhier a le droit d’être d’un avis contraire. On verra la suite », dit-il à Droit-Inc.
Avocat
il y a 6 ansEt les avocats se demandent pourquoi ils ont une sale réputation.
Colbert
il y a 6 ans"Questionné sur l'apparence de conflit par La Presse, Pierre-Paul Routhier a déclaré ne voir « aucune entorse déontologique sa situation"...
Un redneck vous dira qu'il ne voit aucun problème à ce que la mère se ses enfants soit aussi sa propre mère et que ses enfants soient ainsi ses demi-frères et soeurs.
Pas d'entorse déontologique? Une entorse au cerveau tout au moins...
Anonyme
il y a 6 anspeut etre un appel a la ligne Info Deonto serait-il de mise?
Anonyme
il y a 6 ansJ'ai contacté une fois ce service, exposé la situation et demandé si à leur avis il y aurait contravention avec la disposition décrivant le domaine réservé de l'avocat.
La réponse (en substance): on ne peut affirmer qu'il y aurait contravention, mais la personne concernée devrait quand même s'abstenir pour éviter toute poursuite pénale pour pratique illégale.