Mort de George Floyd : que signifient les accusations contre Derek Chauvin?
Radio -canada
2020-06-04 11:15:00
Les accusations contre Derek Chauvin ont été déposées en un temps record à Minneapolis. L’ex-policier a d’abord fait face, vendredi dernier, à un chef d’homicide involontaire et à un autre de meurtre au 3e degré, une accusation qui n’existe pas en droit canadien. D’ailleurs, cette accusation n’existe que dans trois États américains, dont le Minnesota.
Puis, mercredi après-midi, le procureur général de l’État a annoncé qu’il ajoutait, contre Derek Chauvin, une troisième accusation aux deux autres : un chef de meurtre au 2e degré, soit un meurtre sans l’intention de causer la mort, mais en commettant un crime.
Il a aussi déposé des accusations de complicité de meurtre pour les trois autres agents de police qui se trouvaient avec lui.
Le 3e degré, proche de la négligence criminelle
L’accusation initiale de meurtre au 3e degré signifiait le fait de « causer la mort de façon non intentionnelle ni préméditée, mais en présentant une indifférence totale à l’égard de la vie d’autrui. »
Cette définition ressemble de façon frappante à la définition de la négligence criminelle dans notre système de droit. Ici, on parle d’insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie d’autrui.
Quant à l’homicide involontaire, il signifie, comme son nom l’indique, que la mort n’est pas voulue, mais qu'elle n’est pas le résultat d’un accident. La définition, en droit américain, est quasi identique à celle du meurtre au 3e degré.
Il est hasardeux d’essayer d’établir des parallèles entre le droit américain et le droit canadien. Bien que nous soyons voisins, notre héritage et nos pratiques se distinguent de plusieurs façons.
On y disait essentiellement que la Cour suprême des États-Unis fait en sorte que les policiers réussissent à s’en tirer même dans des cas de meurtre, en raison d’une immunité relative qui s’est élargie avec le temps.
Qu’en est-il de cette immunité? De quoi parle-t-on? Existe-t-elle ici?
Immunité relative
Cette immunité relative dont on parle aux États-Unis, explique Hugues Parent, professeur de droit à l’Université de Montréal, ne s’applique pas dans les procès criminels.
« Il s’agit bien davantage d’une doctrine qui est retenue en matière de violation des droits civils. Le demandeur devra prouver qu’il y a une violation délibérée ou un mépris flagrant des droits civils », dit-il.
Au fil des ans, la Cour suprême des États-Unis a précisé que cette immunité relative s’appliquait aux agents officiels du gouvernement qui transgressent une loi en toute bonne foi ou alors qui font une erreur d’interprétation de droit.
Au Canada, une telle immunité relative n’existe pas.
Me Alexandre Thériault-Marois, qui travaille au service des affaires juridiques de la Ville de Laval et étudie à la maîtrise en responsabilité policière, avait d’ailleurs invoqué cette doctrine en cour.
« On avait plaidé que la cour devrait accorder une telle immunité au policier qui avait erronément interprété une affiche dans le métro de Laval. En vertu de la formation qu’il avait reçue, c’était raisonnable qu’il se trompe, mais la cour n’a pas retenu cet argument », raconte Me Thériault-Marois.
L’affaire Kosoian a connu son aboutissement en novembre 2019 à la Cour suprême du Canada. Un policier qui avait arrêté Bela Kosoian, une usagère du métro à Laval, et qui lui avait remis une contravention parce qu’elle refusait de tenir la main courante de l’escalier mécanique a été condamné, ainsi que son employeur, à payer des dommages à la dame.
L’usage de la force
Au Canada, les policiers sont autorisés à employer la force lors de leurs interventions, par exemple pour procéder à l’arrestation d’un suspect.
C’est souvent dans ces situations que les choses dérapent et que l’interprétation de la force nécessaire diverge.
On a le souvenir de plusieurs arrestations malheureuses au Québec qui ont entraîné des blessures ou la mort de suspects. Certaines d’entre elles ont conduit à la mise en accusation et même à la condamnation de policiers. De l’affaire Barnabé en 1993 à Stéfanie Trudeau (matricule 728) en 2012, les exemples sont tout aussi nombreux que différents.
« En raison de la nature de leur travail, précise le professeur Hugues Parent, les policiers peuvent utiliser la force nécessaire pour arrêter quelqu’un. Si leur vie est menacée, ils peuvent augmenter le niveau de force employée. Mais selon les circonstances, si la force est excessive, ils s’exposent à des accusations de voies de fait, par exemple, ou même d’homicide involontaire. »
L’exemple qu’on donne dans tous les cours de droit est le suivant : deux personnes se battent dans la rue, l’une frappe l’autre au visage d’un coup de poing, la victime tombe au sol, se fracasse le crâne et meurt. Il s’agit du classique homicide involontaire.
Des personnes se font bousculer sur le quai du métro en raison du trop grand nombre de passagers, l’une d’elles tombe sur les rails et meurt… Il s’agit plutôt d’un accident, et personne ne sera accusé.
Le professeur Hugues Parent ne veut pas spéculer dans le cas du policier Derek Chauvin, n’étant pas un expert du droit criminel américain, mais il entrevoit déjà la question qui surgira.
« La question qui se posera est celle-ci : la technique utilisée pour maîtriser le suspect est-elle enseignée et autorisée? La maintenir aussi longtemps peut-elle la rendre illégale? Considérant que George Floyd était neutralisé, le policier peut-il invoquer qu’il craignait pour sa vie? », s'interroge Hugues Parent.
Le code de conduite de la police de Minneapolis indique dans quelles circonstances exactes les techniques d’étranglement (choke hold) et de pressions sur le cou (neck restraints) sont permises.
Le jury devra aussi étudier la question de l’intention de causer la mort ou de causer des blessures de nature telle que la mort pourrait survenir sans que le policier s’en soucie.
Acquitté au criminel, condamné au civil
Le professeur de droit de l’Université de Montréal et spécialiste de la responsabilité civile Patrice Deslauriers donne l’exemple du policier Allan Gosset, impliqué dans la mort d’un suspect en 1987.
» Le policier avait été acquitté d’homicide involontaire après avoir fait feu sur Anthony Griffin, mais condamné au civil pour avoir fait preuve de négligence dans l’utilisation de son arme à feu. L’immunité n’existe pas, souligne le professeur Deslauriers. En tout cas, elle n’est pas absolue. »
Comme le fait remarquer à juste titre Me Alexandre Thériault-Marois, la responsabilité des policiers ne s’évalue pas qu’à l'aune du droit criminel.
« Outre les accusations criminelles, un policier qui commet une faute peut faire face à un recours en déontologie, à la commission des droits de la personne ou encore à une poursuite civile, explique Me Thériault-Marois. En matière civile, le fardeau est moins lourd pour le demandeur, puisqu’il devra démontrer qu’une faute a été commise par prépondérance de preuve plutôt que hors de tout doute raisonnable, comme au criminel. »
Un acquittement au terme d’un procès criminel génère souvent beaucoup de frustration parce que l’acquittement ne signifie pas qu’aucune faute n’a été commise, mais bien que la preuve ne démontre pas, hors de tout doute raisonnable, qu’un acte criminel a été commis.