Faut-il réformer le système judiciaire pour les cas d’agressions sexuelles?
Radio -canada
2020-12-21 11:15:00
D’après le Comité transpartisan sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale, qui a remis son rapport le jour même du verdict de Gilbert Rozon, il est plus que jamais nécessaire de réformer le système judiciaire afin de restaurer la confiance des victimes, sérieusement mise à mal ces derniers jours.
Dans les deux affaires, les jugements ont été rendus à partir de l’analyse minutieuse des témoignages des deux parties. Un duel parole contre parole, en somme, où les versions relatées font office de preuve pour convaincre le juge hors de tout doute raisonnable, explique Céline Lacerte-Lamontagne, ancienne juge à la Cour du Québec, en entrevue avec Isabelle Richer sur les ondes de RDI.
« Pendant les témoignages, on regarde les contradictions, mais il y a aussi les hésitations à considérer », explique Céline Lacerte-Lamontagne.
Face au parcours du combattant, souvent résumé en ces termes par les victimes, un accompagnement juridique et psychosocial s’impose.
« La preuve ne reposant que sur le témoignage de l’un et de l’autre, il faut accompagner les victimes dès le début », insiste la députée péquiste et avocate Véronique Hivon en entrevue avec Alain Gravel à l'émission de radio Les faits d'abord. Elle siège au Comité transpartisan sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale.
C’est d’ailleurs l’une des principales recommandations du rapport d’experts mandatés en 2019 pour améliorer le traitement des plaintes des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale. « Il faut leur dire dans quoi elles entrent », évoque à son tour la députée libérale Isabelle Melançon, qui prône aussi une formation adaptée aux policiers présents à la réception des plaintes, ainsi que la mise en place d’un tribunal spécialisé en matière d’agressions sexuelles et de violence conjugale.
Replacer la plaignante au centre des procédures
« Les deux jugements ont montré qu’il faut avoir à la base une preuve solide, donc une victime qui se sent en confiance, accompagnée, qui sait dans quoi elle s’embarque, qui sait aussi qu’elle peut donner des compléments (d’information) par la suite », fait valoir Mme Hivon.
Elle déplore que, trop souvent, la victime se sente instrumentalisée. Il faudrait, selon elle, qu’elle puisse faire face à des juges spécialisés qui connaissent les impacts du traumatisme d’une victime sur sa mémoire, sur son comportement, qui savent aussi comment mettre de côté mythes et stéréotypes.
Cette absence d’encadrement et d’information a été dénoncée par Annick Charette, qui a accusé le fondateur de Juste pour rire, Gilbert Rozon, de viol et d'attentat à la pudeur. Mme Charette a parlé ouvertement de son expérience malheureuse aux premières étapes de la procédure judiciaire.
« Elle avait l’impression qu’on faisait surtout le procès de ce qu’elle avait dit dans sa première déclaration aux policiers », relate Mme Hivon. L'importance de la constance entre la première plainte et le témoignage en cour fait aussi écho à l’expérience de Donald Duguay, qui accusait Éric Salvail d'agression sexuelle, de séquestration et de harcèlement. Dans son cas, le juge a reproché un décalage avec la version des faits déposée auprès des policiers en 2017.
Tout ne commence pas et ne finit pas avec le dossier Rozon
Ces deux acquittements, à quelques jours d’intervalle et auxquels s’ajoutent des accusations visant le député de Rimouski Harold LeBel, confortent l’urgence et la nécessité du rapport du Comité transpartisan.
« Toutes les victimes ne cherchent pas forcément une condamnation, mais une justice réparatrice », dit Isabelle Charest, ministre responsable de la Condition féminine.
Si la justice s'avère défaillante, le risque est de voir une recrudescence des plaintes sur les réseaux sociaux, alerte le comité.
« Même s’il est difficile à comprendre, [notre] système de justice est le seul qui rende imputable un agresseur quel que soit son statut public, et c’est la grande différence avec la dénonciation sur les réseaux sociaux », rappelle Me Rachelle Pitre, procureure en chef adjointe responsable des dossiers d'agressions sexuelles remis par le SPVM.
Le dossier Rozon n’est pas différent des centaines d’autres qu'elle reçoit, précise Me Rachelle Pitre. Il faut remettre en perspective, et c’est important pour les victimes : tout ne commence pas et ne finit pas avec le dossier Rozon.