Gay comme un avocat
Céline Gobert
2011-07-12 15:00:00
Et pourtant.
Mathieu Bouchard, la trentaine, avocat chez Irving Mitchell Kalichman, ne s’est jamais caché.
« La pire chose à faire est d’en faire un plat », affirme-t-il.
S’il reconnaît que dans certains cabinets, c’est encore parfois un tabou, la meilleure attitude à adopter selon lui tient en peu de mots : être soi-même.
« Si l’on agit naturellement, cela casse l’inconfort que les gens peuvent avoir. Pour la plupart, ils sont simplement curieux », explique-t-il.
Pourtant, il y a la réalité des chiffres.
Selon un nouveau rapport américain de la Human Rights Campaign Foundation, 51% des employés LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) interrogés cachent leur orientation sexuelle au travail, et ce malgré les nombreuses politiques d'entreprise qui interdisent la discrimination, rapporte Vivia Chen dans The Careerist.
Un rapport de The Center for Work/Life Policy, quant à lui, indique que seulement 5% des employés LGBT âgés de 18 à 24 ans sont complètement ouverts au travail.
« Les jeunes hésitent à le dire de peur d’être exclus. J’ai envie de leur répondre que les gens ne demandent qu’à nous accepter si l’on s’accepte soi-même », commente Me Bouchard.
Et au Québec ?
« Oui, je connais certains avocats qui se cachent encore aujourd’hui», confie-t-il.
Les raisons de cette discrétion (mutisme ?) sont nombreuses, selon le rapport.
Les deux tiers affirment que leur orientation sexuelle relève de la sphère privée, et la moitié ne veut pas … embarrasser ses collègues !
Pire : 3 employés sur 10 se taisent de crainte de perdre leur crédibilité professionnelle !
« Il ne faut pas faire de ces chiffres une généralité. Cela varie d’un cabinet à l’autre. Pour ma part, j’ai été privilégié mais ce n’est pas toujours le cas », dit Me Bouchard.
D’ailleurs, il y a plusieurs années, il a été témoin d’un épisode malheureux.
« Je n’ai pas entendu la remarque homophobe mais j’étais présent. Ce que je sais, c’est que la personne a été sévèrement avertie, ce qui prouve une réelle prise de position de la part du cabinet », dit-il.
La réponse doit-elle venir des cabinets ?
Le cabinet McCarthy Tétrault répond à l’affirmative puisqu’il vient tout juste de lancer le premier réseau national pour ses employés LGBT partout au Canada.
David E. Platts, porte parole du cabinet, qui n’a lui non plus jamais dissimulé son identité sexuelle, y voit des conséquences hautement intéressantes pour les cabinets.
« Les études démontrent que ceux qui vont pouvoir s’afficher au travail, s’impliquent davantage dans leur emploi. Ils se sentent plus à l’aise, prêts à nouer des relations franches avec collègues et clients. Cette confiance en soi entraîne une plus grande productivité », nous explique-t-il.
Quels sont donc, concrètement, les différents enjeux du Réseau de la Fierté de McCarthy ?
- Veiller à ce que le cabinet comprenne réellement les besoins de ses clients et de la collectivité.
- Mettre à profit la richesse des idées émanant d’un milieu de travail diversifié.
- Sensibiliser les gens aux questions liées à la communauté LGBT.
« C’est un bureau moderne ! Avant même que les lois l’obligent, le cabinet défendait les droits des personnes LGBT. La diversité est une priorité pour le cabinet», dit Me Platts.
Et en effet, le cabinet demeure très impliqué sur les questions LGBT puisqu’il agit à titre de commanditaire et de conseiller juridique bénévole auprès d’organisations telles que Gris‑Montréal, Out on Bay Street et les Sexual Orientation and Gender Identity Committees de l’Association du Barreau de l’Ontario et de l’Alberta.
Cette année, McCarthy Tétrault est également devenu le deuxième cabinet d’avocats au Canada à s’associer à Fierté au travail Canada, un organisme favorisant l’inclusivité des employés LGBT en milieu de travail.
« Nos employés LGBT représentent, et continueront de représenter, une partie importante de notre équipe et nous souhaitons attirer et maintenir en poste les meilleurs talents afin de pouvoir continuer à offrir d’excellents résultats à nos clients », a affirmé, quant à lui, Paul Boniferro, leader national, secteurs de pratique et capital humain.
Toutefois, pas question pour eux de forcer leur communauté LGBT au coming-out.
« Si une personne n’est pas prête à dévoiler sa sexualité au travail, on respecte son choix. Il n’y a aucune obligation», dit Me Platts.
Travail et vie privée, un bon ménage ?
« Personnellement, j’ai toujours vu mes parents avoir de vrais amis au travail. De la même manière, je souhaite de véritables amis qui me connaissent tel que je suis vraiment », répond David E. Platts.
Par ailleurs, aux Etats-Unis, le site Gaylawyer.com propose même de trouver des avocats gays et lesbiens dans chacun des États. A quand la même chose au Québec ?
« Je ne suis pas sûr que cela soit une bonne idée. On catégorise encore les gens, on les identifie selon des caractéristiques personnelles qui n’ont rien à voir avec leurs compétences professionnelles », répond Mathieu Bouchard.
Selon lui, peu importe que l’on soit blanc, noir, gay, lesbienne, asiatique, l’accent doit être mis sur les compétences au travail.
« Plus que le droit à la différence, je pense que le plus important est le droit à l’indifférence ! » conclut-il.
Voilà qui est joliment dit.