L’auto-pendaison
Frédéric Bérard
2012-02-08 14:15:00
Une simple déclaration maladroite, l’auto-justification d'un sénateur repentant. Et celui-ci d’ajouter que son erreur réside dans le fait d’avoir tenu ses propos en public plutôt qu’en privé.
Les commentaires en question ont fait les manchettes nationales, à raison d’ailleurs : « (…) il faudrait que chaque assassin aurait (sic) droit à sa corde dans sa cellule pour décider de sa vie ».
À ceci s’ajoute une nouvelle perle : « Vous savez, les Shafia, les trois qui seront emprisonnés, vont coûter 10 millions à l'État québécois, à l'État canadien. Il y a un problème économique là aussi, lorsque les 10 millions, on ne le met pas ailleurs (…)».
Du joli, non ? Davantage encore lorsqu’on se rappelle que le contexte de la déclaration maladroite, ô ironie, visait à confirmer que le premier ministre Harper n’avait aucune intention de rouvrir le débat sur la peine de mort. Si monsieur le sénateur avait voulu, adroitement ou non, provoquer le contraire, impossible d’imaginer mieux.
Plusieurs éléments méritent d’être ici considérés.
D’abord, la déclaration en cause n’est pas réellement maladroite, mais plutôt morbide, revancharde et peut-être même illégale. À son article 241, le Code criminel prévoit que :
Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque, selon le cas :
a) conseille à une personne de se donner la mort;
b) aide ou encourage quelqu’un à se donner la mort, que le suicide s’ensuive ou non.
N’est-ce pas l’essence même du propos ?
Deuxièmement, comment fait-il pour conclure, de son siège de sénateur, à l’impossibilité de réhabiliter les Shafia ? Psychiatre à temps perdu, maintenant ? Si oui, il pourrait d’abord débuter par l’auto-psychanalyse de ses déclarations. Ceci serait davantage utile.
Tertio, a-t-on avisé le sénateur des coûts afférents à la mise en place de la peine capitale ? Pour sa gouverne, plusieurs États américains songent actuellement à abolir la pratique : moratoire en Oregon, débats législatifs dans neuf États, abolition pure et simple en Illinois. Les motifs ? Les coûts, justement(1).
Ensuite, que le sénateur considère avoir dû tenir ses propos en privé et non en public, ne fait qu’offrir une preuve supplémentaire de sa bêtise ambiante. Et pourquoi donc ? Parce que, fort malheureusement, le sénateur n’est plus un citoyen ordinaire : il est le responsable gouvernemental au Sénat des questions afférentes à la Justice. Le problème ne réside pas dans le fait d’exprimer des inepties pareilles, il réside dans le simple fait de les penser(2).
Enfin, les défenseurs du sénateur plaident que l’on doit analyser la teneur de ses propos à la lumière de son expérience personnelle, éprouvante, il va de soi. Il s’agit précisément de l’endroit où le bât blesse. Pourquoi le sénateur a-t-il accédé à ses présentes fonctions ? Parce que, du fait de la tragédie vécue, justement, il devenait un candidat de choix afin de se faire le porte-étendard des politiques conservatrices en matière criminelle et ce, dans tout ce que celles-ci ont de plus passéistes : abolition du registre des armes à feux et refus de transférer ses données aux provinces, durcissement des peines, punition plutôt que réhabilitation. J’en passe.
Brillant stratège, Harper savait très bien ce qu’il faisait en nommant le sénateur à ce poste névralgique : utiliser ce dernier et surtout son histoire, à des fins vilement politiques.
Suite aux déferlements ayant suivi la déclaration maladroite, le gouvernement a d’ailleurs déclaré, par la bouche de son ministre Blaney : « c'est un manque de compassion envers le père d'une victime d'un acte odieux. Vous savez comme moi ce qui est arrivé à la fille du sénateur. »
Évidemment.
(1) S’ajoutent également des préoccupations relatives au nombre inquiétant d’erreurs judiciaires, évidemment. Comme disait Victor Hugo : « La peine irréparable suppose un juge infaillible».
(2) Même si le fait de les exprimer quelques jours avant la Semaine de prévention du suicide dénote un manque flagrant de jugement, politique ou autre.