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La torture fait mal (à l’État de droit)

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Frédéric Bérard

2012-02-22 14:15:00

Après le registre des armes à feu, le protocole de Kyoto, le chroniqueur Frédéric Bérard revient sur l'utilisation d'informations obtenues sous le coup de la torture.
''"Quoiqu'il y ait peu d'articles de jurisprudence dans ces honnêtes réflexions alphabétiques, il faut pourtant dire un mot de la torture, autrement nommée question ; c'est une étrange manière de questionner les hommes ; ce ne sont pourtant point de simples curieux qui l'ont inventée."''

Voltaire

On croyait, à tort, avoir tout vu : abolition du registre des armes à feu, réouverture insidieuse du débat sur l’avortement, violation de l’entente avec Khadr, abandon illégal du protocole de Kyoto, propos pro-lynchage, loi omnibus pro-prison et anti-réhabilitation, etc.

Un tel menu législatif suffirait d’ordinaire à nous convaincre de l’évidence : nous sommes ici en présence d’un gouvernement assurant une droite clairement idéologique. Sauf que la majorité citoyenne, dixit de récents sondages, approuve les récentes orientations fédérales. Sympathie ou apathie? Allez savoir.

Histoire de profiter de cette accalmie sociétale à l’asphyxie croissante, le ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, vient d’en ajouter une couche. Fort jolie, au demeurant. À vrai dire, il ne manquait que celle-ci afin de compléter le tableau d’une droite qu’on croyait, naïvement, révolue : la torture. Oui, vous avez bien lu. La torture.

L’hypocrisie à la sauce canadienne

Excellent pour dispenser des leçons de respect de droits de l’Homme, le gouvernement fédéral. Superbe aussi dans ses habits de promoteur des libertés civiles et de respect des conventions internationales. Allures de paon, enfin, en ce qui a trait à la sauvegarde des valeurs erronément identifiées comme canadiennes(1). Tout ceci relève, mes excuses aux nationalistes, de la pure hypocrisie.

Me Frédéric Bérard
Me Frédéric Bérard
Dans une directive adressée le 23 août dernier au directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, le ministre Toews indique que :
« Dans des circonstances exceptionnelles, le SCRS pourrait devoir partager l'information la plus complète qui se trouve en sa possession, incluant de l'information provenant d'une entité étrangère qui est probablement dérivée de mauvais traitements, afin de mitiger une menace sérieuse de perte de vie, de blessure ou de dommage substantiel ou de destruction d'un bien.»

Là où le bât blesse

Le problème avec le fait d’utiliser de l’information issue de torture, nonobstant la cause en jeu ?

D’abord, le fait d’utiliser de telles preuves en vient, hypocritement encore, à encourager implicitement la pratique de celle-ci. Qu’on la pratique soi-même ou non n’y change rien, n’en déplaise aux puristes.

Deuxièmement, la torture contrevient aux ententes internationales en la matière, auxquelles le Canada est d’ailleurs signataire(2). Par conséquent, une nouvelle violation de nos obligations s’enregistre d’elle-même.

Dans la même veine, il est convenu que la torture constitue un traitement cruel en vertu de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. Dixit la Cour suprême dans l’arrêt Suresh : la torture est « si intrinsèquement répugnante qu’elle ne saurait jamais constituer un châtiment approprié, aussi odieuse que soit l’infraction ». Elle ajoute enfin que « la perspective de la torture provoque la peur et les conséquences de la torture peuvent être dévastatrices, irréversibles, voire fatales ».

Quatrièmement, la cohérence politique. Ce même gouvernement, jadis minoritaire (donc ralenti dans ses ardeurs idéologiques), affirmait que « s'il y a une quelconque indication qu'on a eu recours à la torture, l'information est mise de côté. C'est aussi simple que cela ». Qu’est-ce qui a bien pu depuis justifier la nouvelle directive ? Occupy Square-Victoria ?
Ensuite, le rejet systématique de la torture par toute société de droit réside en ceci : la preuve obtenue, par définition, est défaillante. Parlez-en à Khadr, lequel aurait admis sa culpabilité après avoir été torturé par ses bourreaux de Guantanamo. Aveu recueilli par des agents canadiens, faut-il le rappeler.

Enfin, sans être un spécialiste de la torture (mes étudiants risquent ici de se porter en faux, prétextant mes examens longs et pénibles(3)), il va de soi que la torture comporte également l’inconvénient suivant : ça fait mal.


(1) Il s’agit en fait de valeurs humanistes qui, aux dernières nouvelles, n’ont aucune appartenance nationale.

(2) Par exemple : la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Canada ayant signé (août 1985) et ratifié cette dernière (juin 1987).

(3) Calomnies, ceci dit. Mes examens relèvent plutôt du pur délice intellectuel…

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