Cynisme estival et élections à date fixe
Frédéric Bérard
2012-07-25 14:15:00
Remarquons que le premier ministre Charest, seul maître à bord côté déclenchement, refuse de confirmer pour l’instant la plus-que-rumeur. Comme il le dit si bien : « le mois de juillet est fait pour se reposer ». Soit. Mais le mois d’août, lui ?
Quiconque a suivi de près la carrière politique de notre premier ministre sait très bien que ce dernier entre actuellement dans la phase de ses fonctions qui l’excite le plus : le calcul électoral. Comment débobiner l’adversaire, le prendre par surprise, le faire dérailler à grands coups de caricatures manichéennes (quiconque porte le carré rouge encourage la désobéissance civile, par exemple). S’assurer du pouvoir, quoi. Après ? On verra.
On savait le premier ministre calculateur. Cynique aussi, par la force des choses. Sauf que ces élections estivales viennent rappeler à quel point le cynisme est un puissant antidote afin d’assurer l’apathie populaire et, conséquemment, le désintéressement citoyen. Le grand gagnant ? Le gouvernement en place.
Nul besoin d’être très malin pour comprendre la stratégie Charest, laquelle se base sur l’indifférence et l’absentéisme électoral afin de couvrir ses arrières :
#Une élection au mois d’août passe assurément sous le radar, où s’amenuise nécessairement la portée des débats sur le bilan gouvernemental. Celui relatif aux controverses des gaz de schiste, des accusations contre le ministre Tomassi et autres organisateurs libéraux, des retombées réelles du Plan Nord. De l’éternel conflit étudiant, bien sûr, et de la Loi 78 qui en découle.
#Une élection tout juste avant l’envol de la Commission Charbonneau ? Pratique. Pour ne pas dire impératif.
#Une élection pendant laquelle le gouvernement actuel a tout à craindre de la mobilisation étudiante ? Oui. Sauf qu’un vote aussi hâtif permet de croire que bon nombre d’entre eux, c’est-à-dire les étudiants, n’auront pas eu le temps d’effectuer, en plein été, leur changement d’adresse récent auprès du Directeur général des élections. Surtout que plusieurs d’entre eux viendront tout juste de joindre les centres urbains pour fins d’études. Pas trop propice aux devoirs citoyens, on en convient.
En bref, le seul bénéficiaire par cette stratégie électorale est en fait son parrain : le PLQ. L’autre grand gagnant ? Le cynisme ambiant, justement. Parce si personne n’est dupe du calcul libéral, difficile tout de même d’en éviter les contrecoups, voire conséquences. Et lorsque l’impression de se faire berner se juxtapose à celle d’impuissance, en résulte invariablement ceci : l’indifférence populaire totale et complète. A-t-on réellement les gouvernements que l’on mérite, comme le veut l’adage ? Possible. Mais avouons néanmoins que ceux-ci sont parfois fort habiles dans l’art d’assurer leur pérennité, machiavélisme à l’appui.
L’option des élections à date fixe
Jamais été un grand fan de cette avenue, et ce, pour deux raisons. Primo, celle-ci m’a toujours semblé représenter un courant quelque peu populiste, voire simpliste. Une autre illustration de cette propension à imiter systématiquement ce qui se fait au sud de la frontière. Deuxio, notre régime parlementaire étant celui de Westminster où l’Exécutif tient le Législatif en état et vice-versa, il appert que la solution proposée relève plutôt du chien dans un jeu de quilles.
Ironiquement, seul le gouvernement Charest m’a convaincu, ou presque, du contraire. D’abord pour les raisons qui précèdent. Ensuite pour sa propre position sur le sujet. En effet, le premier ministre est contre l’option proposée au motif suivant : des élections à dates fixes équivaudraient à 12-18 mois de campagne, le gouvernement en place visant dès lors à assurer sa réélection.
Argument fallacieux s’il en est un. La preuve ? C’est exactement ce que fait déjà tout gouvernement en place, saupoudrant les comtés gagnés et surtout gagnables de subventions, annonces et autres. La différence ? Seul le premier ministre est maître de l’agenda et conséquemment, des règles du jeu. Drôlement plus facile de déstabiliser l’adversaire, le prendre par surprise. L’empêcher de s’organiser adéquatement, d’assurer son financement. D’attirer des candidats-vedettes, lesquels refuseront de s’assujettir à la merci d’une élection trop incertaine, mettant ainsi en veilleuse inutilement une autre carrière souvent fructueuse.
Ceci est d’ailleurs confirmé par le fait que la majeure partie des provinces canadiennes ont pallié à la situation en adoptant des lois prévoyant des élections à date fixe. Idem pour le fédéral. Évidemment, les limites fonctionnelles imposées par Westminster à cette option demeurent : impossible d’empêcher l’Opposition de renverser l’Exécutif, heureusement d’ailleurs, le principe du gouvernement responsable constituant toujours une pièce maîtresse de notre régime. Ceci permet ainsi à ce même gouvernement de prétexter son caractère minoritaire afin de violer sa propre loi, comme le fit d’ailleurs récemment le cabinet Harper.
Cela dit, paraît qu’entre deux maux, il faut choisir le moindre. À voir les tactiques machiavéliques d’un politicien qui s’amuse davantage de partisanerie, que de ses fonctions de gestionnaire de l’État, je choisis ainsi l’option suivante : celle de limiter un pouvoir discrétionnaire utilisé à grands coups de cynisme autant culotté que désolant.
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