Confessions d’un avocat condamné pour meurtre
Delphine Jung
2017-05-18 15:00:00
En septembre 1978, au cours d'une promenade au bord du lac Saint-Jean, à Saint-Gédéon, Serge McNicoll est transpercé d'une balle. Dunn était avec lui. Il s'exerçait au tir au pigeon d'argile.
On a d’abord cru à un accident, puis condamné Dunn pour meurtre non prémédité. Enfin, de nouvelles preuves ont conduit à un second procès. En novembre 1981, au palais de justice de Roberval, l’avocat de Chicoutimi a été condamné à la perpétuité, avec la possibilité de négocier une libération au bout de 20 ans. Il n’avait alors que 26 ans.
L’affaire avait marqué le milieu juridique, mais aussi l’imagination populaire. Comment un jeune avocat devient-il un assassin ?
« Quand j’ai réalisé que m’associer avec Serge était une erreur, je ne me suis pas senti capable de partir. J’aurais perdu l’image positive que les gens avaient de moi. Je devais plutôt éliminer l’échec. C’était pour moi la seule solution », explique aujourd’hui Michel Dunn, âgé de 64 ans.
Alors qu’il s’implique désormais auprès des détenus, Droit-inc l’a rencontré dans le cadre des 15 ans du Centre de service de justice réparatrice qui s’est tenu à l’Espace Canal, événement auquel il participait.
« À l’intérieur, j’étais vide »
Avant le drame, Michel Dunn est un jeune avocat dans la vingtaine. Il vit à travers ses beaux costumes, son argent, ses belles voitures, ses voyages : « mais à l’intérieur, j’étais vide. Et ce qui m’a conduit au meurtre, c’est ce manque de vie intérieure ».
L’ex détenu se montre convaincant, tant il parle avec passion. Pourtant, les premières années derrière les barreaux n’ont pas été faciles.
« J’ai cru que j’allais me désintégrer. Je me disais que les prisonniers étaient arrivés ici parce que leurs avocats avaient perdu leur cause, que je serai pris à parti. Vous savez, en prison, les choses circulent vite », se souvient-il.
Hanté par des idées suicidaires, Michel Dunn se lance dans des jeûnes à répétition. Il nie son implication dans le meurtre de son associé. Se referme sur lui-même.
Mais au fil du temps, par l’entremise de l’organisme Option-Vie, qui a pour but d’accompagner les détenus devant la commission des libérations conditionnelle, il reprend la maîtrise de sa vie. Il propose ses services en tant que traducteur auprès d’une maison d’édition française et apprend l’anglais.
De but en blanc, il l’affirme : ce qui lui a redonné goût à la vie, c’est la prison. Il la quitte après 17 ans. « Pour moi, le retour à la vie extérieure n’était pas si difficile. Ma famille m’a toujours soutenu. Je pense que c’est plus dur pour des jeunes de 18 ans, accusés de meurtre, qui sortent 20 ans après, sans avoir construit de tissu social », dit-il.
« Si tu nies, tu te sauves de toi-même »
Après toutes ces années, Michel Dunn parvient aussi à accepter sa responsabilité : « c’est un élément essentiel qui s’est fait à travers plusieurs rencontres. Si tu nies, tu te sauves de toi-même. J’ai fini par me pardonner. Par être en paix avec moi-même ».
Il aime souligner le travail des nombreux bénévoles qui étaient là pour lui et l’ont aidé dans son cheminement durant ces années d’emprisonnement. « Ce sont des gens qui pourraient avoir un millier d’autres choses à faire. Aller au golf, être en famille, magasiner, et pourtant, ils ont fait le choix d’être là. »
À sa libération, il considère que la société l’a aussi pardonné. Mais il devra attendre de nombreuses années pour obtenir le pardon de la femme de sa victime, Gisèle. Elle prend contact avec lui, 27 ans plus tard. Elle exprimera ses sentiments avec beaucoup de retenu.
Il se souvient et raconte l’événement avec précision : « je me suis levé et j’ai ouvert mes courriels. Il y en avait un de Gisèle. Il disait « J’ai décidé de te libérer de ma colère et de ma haine ». C’était un pas énorme pour cette femme ».
Pour lui, il est évident que ses années passées derrière les barreaux n’ont apporté « aucun soulagement aux victimes » et regrette qu’à son époque, tout le concept de justice réparatrice n’existait pas.
Toujours impliqué dans le milieu carcéral, Michel Dunn aide aujourd’hui des détenus à obtenir une révision judiciaire. « Je ne travaille plus pour les voitures ou les beaux costumes. Plaider pour l’humain, c’est bien plus gratifiant que de plaider pour l’argent. »