Le Far West
Frédéric Bérard
2013-01-23 15:45:00
Quel élu sera exclu cette semaine ? Quelle crapule avouée obtiendra la sympathie du public ? Qui viendra admettre, sous serment, avoir entendu Monsieur Chose dire avoir entendu que Madame Chose, ministre de son ancienne profession, serait allée bouffer au Pacini ? Qui ira ensuite se faire applaudir à ''Tout le monde en parle'' ? Manque seulement la psychanalyse du Doc Mailloux sur chacun des intervenants afin d’afficher complet…
''Disaster waiting to happen'', comme le veut l’expression. Dans le mille. Pas besoin d’être trop malin pour l’avoir prédit, celle-là. Un témoin aurait menti ou à tout le moins exagéré la vérité, néo-vedettariat aidant ? Ben voyons donc.
Mensonges et demi-vérités
Le premier témoignage de Martin Dumont serait ainsi truffé de mensonges ou demi-vérités, dixit le procureur Gallant, doigt accusateur au nez du nouvel accusé. Changer de côté, vous vous êtes trompés…
Rappelons en effet que ce même témoignage du Dumont, ô combien croustillant, fit bien l’affaire de son procureur, ses auditeurs et, il va de soi, des médias. Pourquoi donc ? Parce qu’il provoqua la chute finale du maire moribond, celle-ci orchestrée par quelques chroniqueurs de La Presse. «TREMBLAY SAVAIT !», d’accuser celle-ci, page frontispice à l’appui.
Après maints articles cinglants (on sanglants, c’est selon) en vinrent à convaincre le ministre pertinent (simple expression) de réclamer la tête du maire de la plus importante ville du Québec. « Le statu quo est intenable !», de plaider alors Jean-François Lisée, appuyé comme toujours par la première ministre. En d’autres termes : Tremblay, bon vent. Celui-ci s’est même vu refuser le droit d’être entendu par ladite commission. Du goudron et des plumes. Dehors. Le Far West…
Tout ceci sur la base d’un témoignage de style histoires de taverne, non corroboré, non vérifié, empreint de ouï-dire. Comment ces mêmes procureurs, lesquels se font aujourd’hui un plaisir ironique de trucider la crédibilité de leur ex-témoin vedette, ont-ils pu, en toute connaissance de cause, éluder les vérifications préliminaires quant à celle-ci? Afin de donner un meilleur spectacle? Livrer le croustillant promis initialement ?
Dans tous les cas, les médias vous remercient chaudement. Grâce à vous, non seulement ils ont enfin réussi à clouer au pilori l’élu mal-aimé, mais ils peuvent maintenant, par surcroît, crier le ridicule du témoin Dumont. Deux en deux, bref.
Rigueur journalistique ?
D’aucun souhaiterait que les récents dérapages (pardonnez l’euphémisme) donnent lieu à une plus grande rigueur journalistique. Ceci serait, admettons-le, dans l’ordre des choses. Tut tut. Le Devoir, alors seul rescapé de l’escouade chasse aux sorcières, n’est maintenant plus en reste : «Applebaum au resto de la mafia», titrait récemment le journal d’Henri Bourassa, un intellectuel d’exception. De quoi créer un certain mouvement dans sa tombe.
L’État de droit est-il en si mauvaise posture ? Le simple fait pour un élu de fréquenter un restaurant prétendument accrédité ISO Mafia constitue-t-il en soi une preuve de quelque crime ? Est-ce ces mêmes médias qui gueulent au cynisme populaire envers l’appareil politique ?
La présomption d’innocence et le droit d’être entendu sont, aux yeux de certains, des concepts visant à protéger les bandits. Tirons et posons les questions ensuite, plutôt. Le Far West.
M’est pourtant d’avis que ces concepts possèdent une vertu fondamentale : celle d’éviter de sacrifier inutilement des réputations, des vies professionnelles ou privées, de mettre un frein à la soif de vengeance populaire et médiatique.
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