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Le clair-obscur de la clarté référendaire

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Frédéric Bérard

2013-02-20 14:15:00

Frédéric Bérard revient sur la Loi sur la clarté référendaire, son éventuel amendement relatif à la majorité requise, et le seuil de 50%+1 que le NPD souhaite y inscrire.
''«Qu’importe ce qu’ont voulu dire les juges de la Cour suprême, une majorité de 50%+1 n’est pas une majorité claire quand il s’agit de faire ou non un pays. […] Qu’est-ce que ce machin, cet oued, ce ruisseau à 50%+1? Qu’est-ce qu’on cherche? Un raccourci au débat ? Une issue simpliste à une situation extrêmement complexe ? […] La démocratie est le contraire de cette horrible expression que l’on entend parfois des vainqueurs au lendemain des élections : la démocratie a parlé. La démocratie a parlé, donc fermez vos gueules, les perdants»''

- Pierre Foglia -


Ainsi donc, le NPD souhaiterait éventuellement amender la Loi sur la clarté référendaire afin d’y inscrire le seuil de 50%+1 à titre de majorité requise lors d’un prochain référendum. Coup d’éclat publicitaire ? Tentative de renforcer ses assises québécoises ? Obliger les conservateurs et libéraux à se mouiller sur cette question d’ordinaire explosive ? Ceci tombe sous le sens.

D’aucuns plaideront que ce débat appartient, du moins en un sens, au passé constitutionnel, houleux et douloureux, du Canada. Sauf que rien ne s’avère plus faux. Au moins pour deux raisons.

La règle du 50%+1 ne constitue pas la règle universelle en matière de sécession, rappelle Frédéric Bérard
La règle du 50%+1 ne constitue pas la règle universelle en matière de sécession, rappelle Frédéric Bérard
D’abord, parce que l’actuel gouvernement élu des Québécois se veut, à son article premier, résolument souverainiste. Bien que ses élans soient naturellement freinés par son statut minoritaire en Chambre, rien ne laisse envisager que la question d’indépendance nationale ainsi que son porteur de ballon numéro un soient sur le point de plier bagages.

Ensuite, parce que malgré le déni de la classe politique provinciale dont semble être victime la Loi sur la clarté référendaire, reste que cette dernière demeure, en lieu et place, une loi. Pas une résolution. Pas une allocution de politicien. Pas un mémo. Pas un courriel. Une loi. Dans le sens de norme applicable.

Il est évidemment possible de conspuer celle-ci, de remettre en cause sa légitimité, de gueuler contre l’intrusion du fédéral à même le processus référendaire québécois (ce que fit d’ailleurs l’Assemblée nationale, de façon unanime, par l’entremise de la Loi 99). Sauf que tout régime démocratique fondé sur l’État de droit requiert le respect de la règle de droit, même si celle-ci est contestable.

Loi ordinaire

Comme affirmait Locke : « il n’est pas toujours nécessaire de faire des lois, mais il l’est toujours de faire exécuter celles qui ont été faites ». D’accord avec lui. Reste qu’une loi ordinaire, ce qui est le cas de la présente, peut être amendée en tout temps. Et c’est exactement ce que le NPD, sous réserve d’une approbation à son prochain congrès, souhaiterait faire.

À tort ou à raison ? Euh. Rappelons d’abord certains faits. La Loi sur la clarté référendaire constitue une résultante directe du Renvoi relatif à la sécession du Québec, lequel pose quelques postulats fondamentaux sur le sujet :
• Dans l’éventualité où une majorité claire de Québécois, en réponse à une question claire, souhaitaient faire sécession du Canada, le fédéral et les autres provinces se verraient dans l’obligation de négocier celle-ci, en toute bonne foi;
• À l’inverse, le Québec ne peut procéder unilatéralement à l’indépendance, celle-ci devant être issue d’une modification à la Constitution canadienne;
• Seuls les acteurs politiques seront en mesure de qualifier les concepts de majorité claire et de question claire établis par la Cour.

Le fédéral, prenant la balle au bond, adopta prestement la loi aujourd’hui en cause. Bien que la majeure partie de ses aspects soient calqués littéralement sur divers passages de la décision de la Cour, l’enjeu de la majorité claire, lui, relève d’une interprétation des plus ''ad lib''.

Majorité claire

Prévoyant d’abord que la Chambre des communes s’arroge le droit de déterminer si la majorité obtenue est suffisamment claire afin de donner lieu aux négociations (ceci étant d’ailleurs conforme au Renvoi, le fédéral étant nécessairement un «acteur politique» spécifié par celui-ci) l’article 2 de la loi prévoit ensuite que :
2.((2) Dans le cadre de l’examen en vue de déterminer si une majorité claire de la population de la province a déclaré clairement qu’elle voulait que celle-ci cesse de faire partie du Canada, la Chambre des communes prend en considération :
a) l’importance de la majorité des voix validement exprimées en faveur de la proposition de sécession ;
b) le pourcentage des électeurs admissibles ayant voté au référendum ;
c) tous autres facteurs ou circonstances qu’elle estime pertinents. (nos soulignements)

Juge et partie

En d’autres termes, nous vous dirons, après la tenue du référendum, quelle est la majorité requise afin d’enclencher les négociations. Si vous avez gagné ou perdu, quoi. Un peu comme si l’issue d’un match de hockey était déterminé par l’une des équipes, après le match, selon sa propre évaluation de celui-ci. Comment dit-on, déjà ? Juge et partie ?

Pourquoi alors ne pas requérir l’avis de la Cour sur ce qu’elle entendait par « majorité claire », concept original de droit canadien inventé sur mesure par cette même Cour d’ailleurs ? Parce que celle-ci, flairant le piège qui aurait pu se retourner contre elle, a candidement indiqué que seuls les acteurs politiques pourront et devront définir le concept nouvellement créé par le plus haut tribunal du pays. Bien sûr. Assez évident que souverainistes et Stéphane Dion allaient trouver un terrain d’entente sur une question aussi dynamite…

Est-ce à dire que nous devons saluer l’initiative possible du NPD ? Oui et peut-être pas.

Oui, dans le sens où le fait de restreindre le pouvoir purement arbitraire du fédéral prévu à l’article susmentionné ne peut qu’être une bonne affaire. Si celui-ci souhaite s’immiscer à même le processus référendaire (ce que lui permet la Cour, rappelons-le), et bien qu’il le fasse en vertu de paramètres clairs, justement.

Peut-être pas, pour quelques raisons. On comprend bien sûr l’intérêt du NPD de protéger ses fragiles assises en sol québécois, ce qui explique partiellement sa volonté de sacraliser la règle du 50%+1. Il plaidera, et plaide déjà, que cette règle est absolue en matière démocratique. D’un point de vue gouvernance, force est de lui donner raison. Mais quant à l’accession à l’indépendance ? Pas si sûr.

Aventures sécessionnistes

En fait, une analyse de l’histoire des diverses aventures sécessionnistes indique plutôt que la règle de majorité applicable se trouve plutôt à géométrie variable :
• L’Australie occidentale : majorité de 66,2% en faveur de la sécession. Échec.
• Les Îles Féroé : majorité de 50,72% en faveur de la sécession. Échec.
• Nevis : majorité de 61,7% en faveur de la sécession. Échec.

Rappelons aussi que certains succès récents en matière d’indépendance ont été obtenus avec les résultats suivants :
• Norvège : 99,95%
• Islande : 98,65%
• Slovénie : 95,7%
• Lituanie : 93,2%
• Estonie : 79,7%
• Lettonie : 74,9%

Précisons enfin que diverses ententes institutionnelles prévoyaient la nécessité d’une majorité des électeurs admissibles à voter (Lituanie, Lettonie et Slovénie), une majorité de 75% des voix (Danemark), une majorité des 2/3 de celles-ci (Nevis). Règles distinctes de celles de la simple majorité, ainsi donc.

Adopter le 50%+1 ?

Par conséquent, est-il interdit ou impossible d’adopter, au Canada, cette même règle du 50%+1 ? Pas du tout. Seulement qu’il est faux de prétendre que cette dernière constitue la règle universelle en matière de sécession, et qu’il serait d’une candeur absolue d’ignorer, à cet effet, l’importance du consentement de l’État prédécesseur. Autrement, entre en ligne de compte la valse de la diplomatie internationale. Et c’est habituellement à ce niveau que le tout se corse (sans mauvais jeux de mots), pour les États en quête d’indépendance.

Dernier truc : bien que la Cour suprême se soit volontairement délestée de la tâche éventuelle de déterminer le concept de majorité claire, ceci n’a pas empêché le juge en chef Lamer, rédacteur de la décision, d’affirmer lors d’une entrevue au Devoir que le seuil requis serait de l’ordre de… 60%.

Les acteurs sont-ils liés par un tel propos postérieur au Renvoi ? Bien sûr que non. Sauf que ceci tend à faire réfléchir sur l’intention même du tribunal. À cet effet, demeure toujours l’interrogation suivante : si 50%+1 relève d’une majorité claire, que constitue alors une majorité non claire ? Euh. Suis-je ainsi, dans les faits, d’accord avec Foglia ? Pas clair non plus.


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