Les avocats, ces mal-aimés

Martine Turenne
2016-05-03 15:00:00

L’Enquête sur le sentiment d’accès et la perception de la justice au Québec, réalisée auprès d’un millier de Québécois cet hiver par la firme INFRAS, montre aussi que tous les professionnels ne sont pas mis dans le même bain.
Pas conscients de leur travail
Ainsi, les notaires reçoivent la confiance de 84% des Québécois, les policiers et le personnel administratif de 77%, et les juges, de 72%. Les avocats sont loin derrière, avec 51% de vote de confiance. « Les gens ne sont pas conscients de notre travail », dit la criminaliste Me Julie Couture.
Un sondé sur cinq avait fait appel aux services d’un avocat au cours des cinq dernières années. Sur ce nombre, 70% se disaient satisfaits. En comparaison, la moitié des répondants avaient eu affaire à un notaire, et 97%, -une quasi unanimité!- en étaient contents.
Comment expliquer un tel décalage?

Mal informés

« Notre système est incompris par les citoyens », dit Me Lu Chan Khuong. Cela tient en partie aux contraintes de la profession, dit l’ex-bâtonnière : les juges ont un droit de réserve, et les avocats ne peuvent guère commenter non plus. « Si personne ne le fait, ni n’explique les règles, comment les gens peuvent savoir ce que nous faisons? », demande-t-elle.
« Lorsqu’un juge prend la parole publiquement, il risque de se retrouver avec une plainte au conseil de la magistrature », dit le criminaliste Me Daniel Rock.
Me Khuong estime que c’est le rôle du bâtonnier -ou de la bâtonnière- d’occuper l’espace publique. Et que le Barreau doit changer d’attitude. « Il a une relation de méfiance envers les médias. Il ne comprend pas que c’est donnant-donnant. La communication est unidirectionnelle. Il n’y a pas de collaboration.» Le sondage en est la preuve flagrante, dit-elle.
« Oui, il y a un genre d’omerta », dit Me Marie-Pier Boulet, vice-présidente de l’Association des avocats de la défense de Montréal (AADM). « La justice est publique. Mais il y a des choses qu’on n’a pas le droit de dire. »
Le pouvoir de la télé

« L’image de la justice est celle qui est présentée dans les médias. La chose la plus négative est aussi la plus attirante », dit le criminaliste Me Daniel Rock.
« Quand parle-t-on des histoires qui finissent bien? », demande Me Boulet. Elle croit que c’est la nature même des causes médiatisées (crimes spectaculaires) qui fausse les cartes. Lorsqu’il est question de deux représentants de la justice qui arrivent à une entente, on parlera de « peine réduite », comme s’il s’agissait d’un cadeau offert à un criminel. « Ce n’est jamais le cas, dit Marie-Pier Boulet. Mais les gens vont demeurer avec cette impression. »
Une donnée troublante du sondage, tout de même : 23 % des sondés avaient déjà participé à un procès, soit parce qu’ils étaient poursuivis ou qu’ils poursuivaient. Or, 55 % avaient jugé l’expérience négative. Il ne s’agit donc pas ici de méconnaissance du système de justice.
« Les gens qui font face à la justice sont souvent dans des moments difficiles de leur vie », dit Me Julie Couture.
Assainir les relations entre avocats

Les procureurs ont davantage de directives, et moins de marge de manœuvre. « Et nous avons des contraintes de temps, et plus d’attentes de la part de nos clients», ajoute la criminaliste.
Pour renverser la vapeur, l’AADM organise des événements réunissant les avocats et les procureurs. « Il faut se parler à nouveau. On a la perception d’être des adversaires. Et c’est ce que le public reçoit comme message.»

Avec la moitié des Québécois qui disent avoir peu ou pas confiance dans le système de justice, l’un des trois piliers d’une démocratie, est-ce à dire que rien n’a été fait depuis pour corriger le tir? Pas du tout, rétorque à Droit-inc la ministre Vallée.
Elle cite plusieurs initiatives prises depuis, comme la création du directeur des poursuites pénales, celle des centres de justice de proximité, et ce virage vers la justice participative. « On a posé des gestes importants. »
Alors pourquoi les Québécois semblent tout aussi insatisfaits? Une question de communication, dit la ministre Vallée. « On doit mieux faire connaître les outils qui améliorent l’accès à la justice et mieux informer la population. Bien des gens ne connaissent pas les nouvelles mesures. »
Le ministère commande ce sondage à chaque décennie afin de mieux orienter les décisions des prochaines années. Il permet aussi, croit la ministre, d’ajuster les flûtes. « On n’a pas le choix de travailler ensemble. »
Et dans dix ans? « Je suis de nature optimiste. Je suis persuadée qu’on va réussir à renverser la vapeur. » Pas trop le choix, dit-elle. « La justice, c’est la base de la démocratie. Et c’est l’affaire de tous. »