L’association méconnue qui influence les grandes décisions juridiques

Sophie Ginoux
2025-03-05 14:15:09

Marie-Ève Arbour était doctorante en Italie quand elle a compris à quel point le droit comparé pouvait lui donner un éclairage sur sa propre culture.
« J’ai vécu une sorte de psychanalyse inversée ! lance-t-elle. En me penchant de là-bas sur certains sujets comme le Code civil du Québec ou la Charte des droits et libertés de la personne, et en les comparant avec leurs pairs en Europe, j’ai été confrontée à la fameuse question : "D’où venons-nous ?" Et du même élan, à la portée juridique de notre vivre ensemble. Ce sont des sujets vraiment passionnants. »
Au terme de cette expérience, Dre Arbour n’a plus jamais quitté le droit comparé. Elle est devenue professeure dans cette spécialité à l’Université Laval, et s’est impliquée au sein de l’Association québécoise de droit comparé (AQDC), dont elle est aujourd’hui présidente.
Une mission et une communauté plurielles
Le droit comparé, une science qui étudie et confronte les différents systèmes juridiques du monde, a une connotation tout à fait particulière au Québec, dont la tradition civiliste française remonte à l’Acte de Québec de 1774 et tranche avec la common law en vigueur dans les autres provinces canadiennes.
Cette différence historique et légale suscite depuis longtemps la curiosité de juristes de tous les continents. Pour y répondre, l’AQDC a vu le jour (sous un nom un peu différent) en 1960, ce qui fait d’elle une des plus anciennes associations de la province.
Dès le départ, elle a été très dynamique au sein de l’Académie internationale de droit comparé (AIDC), mais elle a pris une dimension supplémentaire – d’aucuns diraient même identitaire – à certains moments de notre histoire, par exemple lors de tiraillements juridiques entre le Québec et la Cour suprême du Canada.
Aujourd’hui, l’AQDC est constituée d’avocats, de juges, de professeurs et d’étudiants qui souhaitent établir un dialogue entre leur corpus juridique et celui d’autres États. L’association respecte scrupuleusement la pluralité des points de vue et ne prend pas de posture politique.
« Nous accueillons donc des personnes de tous les horizons, indique Dre Arbour. Les comparatistes, c’est une sorte de famille à l’échelle mondiale, dit-elle. Malgré la distance, on se connaît et on se nourrit tous. »
L’AQDC compte quelques dizaines de membres au Québec, dont les professeures Shana Chaffai-Parent (Université de Montréal) et Anne-Françoise Debruche (Université d’Ottawa), qui collaborent étroitement avec Dre Arbour. Mais ce nombre se multiplie par 10 dès que des activités ont lieu.
« Beaucoup de problèmes d'actualité peuvent bénéficier de l'éclairage du droit comparé, explique-t-elle. De plus, les praticiens qui ont des perspectives professionnalisantes, par exemple en combinant des diplômes canadiens et européens, sont très intéressés à apprendre les rudiments de différents droits internationaux, ainsi que les mentalités qu’ils reflètent. »

Les activités de l’AQDC
L’association est tout d’abord connue pour ses colloques, qui ont lieu une fois par an et s’intéressent à une panoplie de sujets, qui vont de l’élargissement de l’aide médicale à mourir, à la procréation et à la situation de vulnérabilité.
Elle organise également, en présentiel ou sous forme virtuelle, des ateliers de droit comparé pour les doctorants qui ont beaucoup de succès. C’est d’ailleurs pour cette relève qu’elle mène aussi un concours annuel destiné aux étudiants des 1er, 2e et 3e cycle.
« Il s’agit d’un concours écrit, avec la remise de textes en droit comparé qui vont de 50 pages à plusieurs centaines s’il s’agit de thèses, explique Dre Arbour. Gagner ces prix apporte beaucoup de prestige – et une bourse en argent – aux jeunes qui y participent. »
Enfin, l’AQDC sélectionne les rapporteurs nationaux qui assistent aux congrès de l’Académie internationale de droit comparé, dont la prochaine édition aura lieu à Berlin en 2026. Avis aux intéressés !