Avocats, comment parler aux médias?
Éric Martel
2019-07-24 15:00:00
Me Anne-France Goldwater témoigne de son expérience. Au cours de sa carrière, le Barreau du Québec a revu plusieurs de ses déclarations, en plus de la réprimander.
Malgré cela, ne parlez pas à Me Goldwater de se retenir de s’exprimer devant les médias…
« Non, jamais je n’aurai peur! » assure-t-elle.
Justement, Gilles Corriveau, vice-président de la firme de relations publiques Enigma, assure qu’il est de l’avantage des avocats de discuter avec les journalistes.
« Même si tu gagnes en Cour suprême, le prix à payer devant le tribunal de l'opinion publique est important. Ton client peut-être blanchi au tribunal, mais l'imaginaire populaire peut garder un mauvais souvenir de toi, une perception négative.»
Au cours des quarante dernières années, le spécialiste en communications a eu la chance de conseiller « la plupart des grands bureaux d’avocats ». Du haut de son expérience, il constate que le juge Pierre A. Michaud a été le premier, à sa connaissance, « à statuer que le tribunal de l'opinion publique était tout aussi important que le tribunal juridique.»
« Dans une certaine mesure, il a légitimé l'intervention publique en sus des actions juridiques. En essence, il a probablement incité les avocats à s'en préoccuper », estime celui qui a enseigné la communication du litige à l’École du Barreau.
Donc, pour s’assurer du bien-être de son client, et de sa perception d’autrui, le spécialiste estime qu’accorder des entrevues aux médias constitue un atout important pour un avocat.
« En tant qu’avocat, il faut s’assurer que sa position va être juridiquement correcte, mais aussi que l’ensemble des parties prenantes perçoivent le client correctement, que ce soit la famille, l’entourage immédiat, les membres d’une profession ou une communauté. »
D’intérêt public
Au-delà de son mandat avec le client, l’avocat peut avoir une plus grande portée par l’entremise des médias: aider le public à comprendre le système de justice.
C’est dans cet optique que Me Anne-France Goldwater n’hésite pas à transposer ses connaissances juridiques dans la sphère publique.
« Je trouve ça positif d’être présente dans les médias, car si on n’engage pas le public dans les processus judiciaires, la population ne se sentira pas connectée au système », explique l’avocate de Goldwater Dubé.
Elle rappelle ses interventions médiatiques dans le cadre du procès de Guy Turcotte, par l’entremise desquels elle estime que le public en a appris davantage sur le système de justice.
« J’ai vu que les gens comprenaient mal comment fonctionnait la Cour d’appel et même un jury. Que son verdict ne doit pas être influencé par l’opinion populaire, mais bien basé sur des faits », relate l’avocate en droit de la famille.
Même dans ses autres interventions, comme ses vidéos Facebook live, ou sa participation à l’émission L’Arbitre, Me Goldwater assure que sa présence lui permet d’inculquer de bonnes valeurs au public.
« Par exemple, dans cette émission, j’ai répété à maintes reprises l’importance de mettre ses ententes par écrit, rappelle-t-elle. C’était une belle façon de donner un enseignement juridique. »
L’image de la profession
Il demeure tout de même crucial pour les avocats de bien choisir leurs apparitions médiatiques. Oui oui, même pour une avocate controversée comme Anne-France Goldwater.
Lorsqu’elle est devenue une figure connue au Québec, on a commencé à lui proposer plusieurs projets. Régulièrement, elle refuse d’en faire partie, puisqu’elle juge que ceux-ci nuisent à l’image de la profession.
Par exemple, Juste pour rire a souhaité l’inclure dans un sketch, où une juge reçoit de l’argent de la part d’un employé de la construction.
« J’ai refusé, premièrement parce que je n’ai jamais vu ça de ma putain de vie, et que je ne veux pas miner la confiance des gens, parce que j’ai de la crédibilité, et que si je joue ce type de rôle, les gens vont se dire "Elle sait quelque chose que l’on ne sait pas!"», justifie-t-elle.
Ne pas perdre en vue l’image de la profession. C’est ce qu’il faut garder en tête lorsqu’on s’adresse aux médias, estime Me Gérard Samet d’Azran & Associés.
Celui que l’on surnomme affectueusement Super Samet a travaillé cinq ans dans les médias, en tant que journaliste. Plus tard dans sa carrière de juriste, il avait fait l’objet d’un article de Droit-Inc dans lequel il discutait de son régime miracle.
« Lorsqu’il s’agit d’une question d’ordre général, ou de mode de vie, il faut rester digne de la profession, et soumis au code de déontologie des avocats », estime-t-il.
Mode d’emploi
D’ailleurs, pour demeurer conséquent au code de déontologie des avocats, Gilles Corriveau rappelle que les avocats ne doivent pas discuter des questions de fond des dossiers auxquels ils prennent part, avant que les causes ne soient entendues. Puis, il rappelle qu’il faut s’abstenir d’intervenir lorsque cela pourrait nuire à son client.
« Mais il ne faut pas dire simplement "pas de commentaires" aux journalistes. Il vaut mieux dire "je ne peux pas me prononcer là-dessus, pour ne pas porter préjudice au processus." Ils sont intelligents, ils vont comprendre », explique-t-il.
Et même si les journalistes sont « intelligents », le spécialiste en relations publiques considère qu’il faut capsuler l’information lorsqu’on s’adresse à eux, en synthétisant l’idée qu’on souhaite véhiculer en 15 mots.
Me Samet partage son opinion.
« Les avocats ne vont pas à l’essentiel. Il faut dire les choses en 15 secondes, trouver les mots justes, immédiats, donner des phrases clés qui serviront aux journalistes. »
Pour ce faire, préparez-vous avant de discuter avec un journaliste.
« Il ne faut pas accorder d’entrevues à froid. Jamais. Même si un avocat est interpellé à sa sortie de cour, ou à la sortie de sa voiture. Il doit être préparé », assure M. Corriveau.
Puis, assurez-vous de bien choisir vos mots. Selon Me Goldwater, le Barreau les écoutera soigneusement…
« Vous devez avoir des tripes pour vous s’adresser au public. Que vous vouliez parler de tricot, ou de glaçage sur un gâteau de fête, vous êtes assujetti à leur supervision », conclut la juriste de 59 ans.
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