Rencontre avec le juge Richard Wagner
Marie-Pierre Gravel
2018-05-02 14:15:00
Mallette à la main et carte de visiteur au cou, je me suis rendue, un peu fébrile je l’avoue, à la rencontre du juge en chef de la Cour suprême du Canada.
L’Honorable Richard Wagner a généreusement accepté de me rencontrer dans l’optique de partager astuces et conseils pouvant bénéficier à la relève.
Dans l’atmosphère sereine de son bureau empreint d’histoire, j’ai fait la connaissance d’un homme extrêmement chaleureux et accueillant. Son parcours inspirant m’incite à débuter l’entretien sur le thème des objectifs de carrière.
Que penser des objectifs de carrière?
Le juge Wagner admet que l’accession à la magistrature n’était pas nécessairement un objectif de carrière pour lui à la fin de ses études. Il se méfierait d’ailleurs de quelqu’un qui commence en droit en ayant cet objectif en tête. Pour avancer sans se décourager, « il faut se fixer des objectifs clairs et réalistes ».
Une fois les objectifs fixés, quelles sont les qualités pouvant aider un jeune juriste à se démarquer dans le milieu juridique?
Le juge Wagner répond spontanément qu’il faut absolument apprendre à se faire confiance. Selon lui, «l’adversité et la compétition peuvent amener certaines personnes à se décourager trop rapidement. Quelqu’un qui est intelligent et qui travaille fort devrait se faire confiance et ne pas se laisser miner par des gens qui doutent de leur capacité à réussir. » Il renchérit en ajoutant que, pour lui, cela a fait «toute la différence du monde ».
Selon le juge Wagner, pour se démarquer, un jeune juriste doit également être ouvert d’esprit, curieux et créatif en plus de faire preuve d’une intégrité exemplaire. Il est important de « rester à l’affût, de toujours apprendre de nouvelles choses et d’être prêt à sortir des sentiers battus ».
Il cite en exemple son cheminement en tant que juge à la Cour supérieure du Québec : « on m’a catégorisé en tant que juge de droit civil et de droit commercial, mais je souhaitais faire du criminel. Après un an sur le banc, j’ai pris toutes les formations disponibles à travers le pays et après deux ans j’obtenais mes premières assignations en chambre criminelle. J’occupais en permanence à la chambre criminelle juste avant ma nomination à la Cour d’appel du Québec. »
Le juge Wagner conclut en ajoutant que : « de toujours vouloir en connaître plus m’a amené à repousser mes limites et à m’investir dans des domaines qui m’étaient peu connus ».
Poursuivons avec une question concernant l’évolution du rôle traditionnel de l’avocat.
En quoi l’évolution du rôle traditionnel des juristes influencera-t-elle la pratique des avocats de la relève?
Il ne fait évidemment aucun doute pour le juge que la pratique du droit de même que l’environnement et les conditions dans lesquelles un avocat pratique ont énormément changé au cours des 35 dernières années.
Faisant allusion au thème de la conciliation travail-famille/travail-vie privée, il ajoute « qu’heureusement, les jeunes avocats sont plus sensibles à maintenir un équilibre ». Il espère d’ailleurs que cette progression se poursuivra.
Les avocats de la relève devront notamment se préparer à beaucoup plus de médiation et moins de litiges devant les tribunaux.
De plus, le juge Wagner s’interroge sur les changements technologiques constants. Ceux-ci alimentent peut-être la perception qu’un avocat doive posséder une formation plus pointue.
Est-ce que cela peut vouloir dire que les jeunes juristes doivent rechercher une spécialisation?
Pour le juge Wagner, il n’est pas clair que ce soit nécessairement la voie de l’avenir. En revanche, une chose lui semble certaine, « il y aura toujours une place pour des juristes avec une perspective générale ».
Il faut se rappeler « qu’à la base, un avocat est quelqu’un qui parle pour quelqu’un d’autre, qui agit pour quelqu’un d’autre, qui défend ses droits et revendique. Il devient par définition un expert dans le domaine dans lequel il doit représenter cette personne-là. C’est d’ailleurs la beauté de la profession. Il y a toujours une espèce de spécialisation qui se fait par la force des choses ».
Je termine la rencontre en tentant d’obtenir la clé du succès pour une plaidoirie réussie devant la Cour suprême ?
Quels conseils donneriez-vous à un avocat qui prépare sa première audition devant la Cour Suprême du Canada?
Il semble clair pour le juge Wagner que les meilleurs plaideurs sont ceux qui sortent du texte. « Le texte nous l’avons lu. Le côté scientifique et la théorie du droit nous les connaissons. Ce que nous voulons savoir, c’est pourquoi il devrait avoir gain de cause. »
Selon lui, une partie du succès repose donc inévitablement sur la capacité d’un juriste « à communiquer sa conviction aux juges ».
«Après tout, plaider c’est séduire ! Au sens noble du terme évidemment! »