Sexisme, grossesse, bataille d’avocats: le parcours d’une workaholic
Céline Gobert
2012-04-05 08:30:00
"J’étais une vraie workaholic, sous payée mais épanouie, je ne comptais pas mes heures, j’avais de l’ambition", confie-t-elle.
Mais, aucun cabinet ne voudra d’elle.
"Probablement je n’avais pas la personnalité adéquate pour fitter dans leur décor", déclare celle qui estime quelques années plus tard que ce fut finalement "une chance".
Pas de regret donc pour cette représentante des victimes du réseau de la santé, dont les missions consistent à intenter des recours pour des personnes en perte d’autonomie, ou à obtenir des dommages et intérêts pour les victimes d'erreurs médicales et hospitalières.
"Je n’aurais pas trouvé cette liberté que je possède, concernant les choix de vies. Dans un grand cabinet, il y a un rendement obligatoire, quelqu’un qui te surveille toujours et si tu veux changer le deal, tu ne peux pas, ils te tiennent avec le salaire."
Difficile effectivement lorsqu'on gagne des 300 000 $ et plus par année de changer son niveau de vie. Elle, avec ses 35 heures par semaine et ses plus de 150 000 $ par an, a trouvé un parfait équilibre.
Pourtant, 12 ans plus tôt, lorsqu’elle décide de lancer son propre bureau en responsabilité médicale, elle se voit bien "bâtir une grosse business".
C’est une grossesse non programmée qui la force à prendre du recul et lui offre un plus beau défi: celui d’être mère.
"Concilier mon travail et ma vie personnelle a été très dur. Ne pas prendre le congé maternité souhaité, ne pas être là tout le temps... Pour la première fièvre, j’étais en procès, une torture épouvantable."
Surtout que, pour rien au monde, elle ne voudrait ressembler à ces avocates qu’elle a croisées par le passé, allaitant leurs bébés tout en négociant un dossier au téléphone.
Au début, fraîchement diplômée et barreau 88, elle pratique d’abord deux ans au centre ville de Montréal, une pratique générale en fiscalité et en droit.
"Un autre monde", dit-elle, où elle croise des adversaires de vieille garde, des collaborateurs machistes, et un associé juif qu’elle aime beaucoup, mais qui est gêné par le fait qu’elle ne soit pas juive.
Épiphanie
Ce n’est que lorsqu’elle s’oriente au Service de Protection de la Jeunesse, où elle œuvre pendant 6 ans à titre de procureur, qu’elle s’épanouit enfin, protège les enfants vulnérables,y développe ses habilités de plaideur, et pratique en litige civil.
Plus tard, une rencontre change tout: celle avec Me Jean-Pierre Ménard, avec qui elle travaille au cabinet Ménard Martin durant 4 ans, à l’époque où le cabinet ne possède encore que 4 avocats.
Quatre années qui lui offrent un bagage d’expérience nécessaire. Toutefois, son envie d’élargir ses horizons juridiques et de plaider des dossiers de longue haleine, plutôt que de faire du volume se fait plus pressante.
En parallèle, elle reprend alors ses études et complète une maîtrise en droit et politique de la santé à l’Université Sherbrooke, où elle donne maintenant un cours sur le "Droit des aînés", en plus d’enseigner à l’École du Barreau.
La révélation est foudroyante: défendre les victimes d’un système trop gros pour les clients est devenu sa raison d’être, professionnellement parlant.
En 2000, en association nominale avec deux avocats, c’est à dire avec des dépenses partagées mais une autonomie au niveau des revenus, elle lance son propre cabinet en responsabilité médicale.
"Une association réelle c’est plus dur qu’un mariage, les questions financières sont toujours sensibles."
À ce moment-là, elle part de zéro, avec deux clients. Ce qui ne l’empêche nullement de les voir entrer de façon régulière par la suite, grâce à la visibilité que lui donne son site internet.
"L’entente avec le cabinet était claire: les clients appartenaient au bureau quelle que soit leur origine", explique-t-elle.
Le plus dur alors, c’est la solitude.
"On se pose beaucoup de questions dans la pratique du droit: l’orientation spécifique d’un dossier, le ton à donner à une lettre adressée à un collègue, une offre de règlement, la suite à donner à un litige avec un confrère. Si l’on a personne à qui s’adresser, cela peut être lourd."
En 2003, les deux avocats laissent leur place au binôme (indépendant) qui fonctionne toujours neuf ans plus tard. Il n’y a plus qu’elle et Me Jean Blaquière.
"Cela offre un plus grand bassin pour séparer les factures et l’on évite la compétition interne qu’il peut y avoir, les situations conflictuelles. On reste également autonomes dans la gestion du temps."
Toutefois, s’ils se partagent conseils et discussions, les clients ne se prêtent pas : chacun développe une notoriété qui lui est propre.
Chicane
Alors que l’on croit que le plus difficile à gérer est l’émotion inhérente aux cas auxquels elle est confrontée, Me Boulet affirme que non. L’ennemi est ailleurs.
"J’ai beaucoup d’empathie, mais je sais prendre du recul. On ne peut pas être avocat si on n'est pas en mesure de faire cette distinction entre les malheurs des gens que l’on représente et les nôtres, sinon on devient dysfonctionnels."
Le plus dur, finalement, c’est lorsqu’elle se bute à “un mur d’incompétence, d’absence de collaboration et de pouvoir”.
À l’image de l’obstacle auquel elle doit faire face en ce moment : le Centre universitaire de santé de McGill lui refuse l'accès à un dossier médical.
"On me dit que c’est confidentiel, ce qui est vrai, mais la loi donne accès sous certaines conditions que je remplis, on a un recours à faire valoir, et on prétend à tort que non."
Au final, ce sont ces pertes de temps et ces batailles d’avocats qui ont le plus raison de ses nerfs.
"Lorsque le comportement d’un fonctionnaire, qui s’assoit sur sa paye et qui oublie de raisonner, a des conséquences sur la vie des autres, c’est cela qui me choque."