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Les PME québécoises dans la mire des géants de l'industrie du logiciel

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Adam Ansari

2024-07-05 11:15:23

Adam Ansari, l'auteur de cet article. Source : Cain Lamarre
Adam Ansari, l'auteur de cet article. Source : Cain Lamarre
Quelles sont les règles juridiques entourant l’installation de logiciels au sein d’une entreprise…?

L’installation et l’utilisation de logiciels s’avèrent souvent indispensables pour permettre l’exploitation d’une entreprise. Or, un logiciel et ses composantes peuvent faire l’objet de droits statutaires (prévus dans une loi particulière) et contractuels dont la violation peut mener à des conséquences indésirables.

Ainsi, toute personne qui exploite une entreprise nécessitant l’installation et l’utilisation de logiciels devrait être sensibilisée à l’existence des droits susmentionnés et des obligations qui en découlent. Le présent article s’inscrit dans un effort de sensibilisation du public à ce sujet.

Recrudescence des allégations formulées à l’encontre des PME québécoises en matière de violation de droits sur des logiciels

Au cours des dernières années, nous avons constaté une recrudescence des démarches entreprises par un grand nombre de multinationales de l’industrie du logiciel pour faire valoir et exercer, à l’encontre d’entreprises exploitées au Québec (principalement des petites ou moyennes entreprises), leurs droits statutaires et contractuels sur les logiciels qu’elles commercialisent.

Ces démarches débutent généralement par l’envoi d’une correspondance écrite renfermant (i) des allégations d’installation et/ou d’utilisation illicites d’un ou plusieurs logiciels, accompagnée de temps à autre d’un rapport étayant les informations sur lesquelles sont fondées ces allégations (ex : nom commercial, numéro de série et version du logiciel qui aurait été installé et/ou utilisé illégalement, nombre d’installations et/ou d’utilisations illicites qui auraient été détectées, date à laquelle (ou période au cours de laquelle) les installations et/ou utilisations illicites auraient eu lieu, noms accordés aux équipements informatiques sur lesquels le logiciel aurait été installé et/ou utilisé, etc.) (un « Rapport d’incident ») et (ii) une offre de règlement faisant miroiter la cessation des démarches en cours moyennant le paiement d’une somme d’argent (souvent substantielle eu égard à l’ampleur des allégations formulées et aux principes de droit applicables en la matière au Canada) avant l’expiration d’un délai.

Cette correspondance écrite est parfois envoyée directement par le titulaire des droits sur le logiciel concerné, mais plus souvent par l’intermédiaire d’un mandataire, à savoir certaines associations internationales œuvrant dans le domaine de la protection du droit d’auteur sur les logiciels à l’échelle mondiale (dont le « Business Software Alliance » (communément désignée sous l’acronyme « BSA ») et la « IT Compliance Association » (communément désignée sous l’acronyme « ITCA »)) ou un cabinet de services juridiques.

Il arrive également que la correspondance écrite soit précédée et/ou suivie d’appels téléphoniques dont l’objet est de recueillir des aveux extrajudiciaires confirmant l’existence d’une violation de droits et/ou d’exhorter au règlement précipité du différend soulevé.

La consultation d’un avocat spécialisé en propriété intellectuelle est hautement recommandée lors de la réception d’une communication, orale ou écrite, invoquant la violation de droits sur un logiciel. Même si le ton de la conversation peut paraître candide, les mandataires d’un titulaire de droits sur un logiciel n’agissent que dans l’intérêt de celui-ci et n’hésiteront pas à se nourrir de tout propos tenu par leur interlocuteur pour négocier le règlement le plus avantageux possible ou, en l’absence d’un tel règlement, pour renforcer leurs allégations dans un acte de procédure judiciaire.

Cadre juridique applicable à l’installation et à l’utilisation de logiciels : Qu’en disent la loi et les contrats ?

Bien qu’il convienne d’effectuer certaines vérifications relatives à la légitimité d’une telle communication, l’ignorer en présumant qu’il s’agit d’une tentative de fraude constitue un pari risqué. En effet, il est bien établi en droit canadien que les logiciels (« programmes d’ordinateur ») sont des œuvres littéraires pouvant être protégées par le droit d’auteur, dans la mesure où elles rencontrent le critère d’originalité et les autres exigences prescrites par la Loi sur le droit d’auteur (la « LDA »).

En conséquence, l’installation et l’utilisation d’un logiciel sur un équipement informatique, sans l’autorisation préalable du titulaire du droit d’auteur sur ce logiciel, constituent une violation de ce droit d’auteur. Le fait que l’installation et l’utilisation non-autorisées du logiciel soient imputables à un employé ayant agi seul ne peut pas être utilisé en tant que moyen de défense exonératoire valide à l’encontre d’allégations de violation du droit d’auteur sur le logiciel concerné.

Par ailleurs, un jugement récent rendu par la Cour fédérale du Canada reconnaît la possibilité pour le titulaire du droit d’auteur sur un logiciel de s’acquitter du fardeau de la preuve applicable pour démontrer la violation de ce droit d’auteur en déposant un Rapport d’incident. Au demeurant, toutes allégations de violation du droit d’auteur sur un logiciel dont la légitimité a pu être établie devraient être adressées de façon sérieuse et diligente.

Lorsque la perpétration d’une violation du droit d’auteur sur un logiciel est confirmée, il ne reste qu’à évaluer, sous réserve de l’existence d’un moyen de défense susceptible de s’appliquer, le montant de l’indemnité monétaire à laquelle le titulaire de ce droit d’auteur pourrait valablement prétendre en fonction des principes juridiques applicables au Canada.

La LDA prévoit que cette indemnité monétaire correspond à (i) des dommages-intérêts et (ii) la proportion (que le tribunal peut juger équitable) des profits réalisés en commettant la violation du droit d’auteur qui n’ont pas été pris en considération pour la fixation des dommages-intérêts.

Afin de déterminer le montant des dommages-intérêts qu’il convient d’attribuer au titulaire du droit d’auteur sur le logiciel contrefait, les tribunaux peuvent se baser sur le prix qui aurait dû être payé par le contrefacteur pour obtenir la concession d’une licence lui permettant d’installer et d’utiliser le logiciel licitement dans le cadre de l’exploitation de son entreprise.

Advenant que la preuve déposée au dossier permette au tribunal de conclure que la conduite du contrefacteur a été malveillante, opprimante et abusive, une ordonnance de paiement de dommages-intérêts punitifs peut également être émise à son encontre.

Plutôt que de réclamer l’indemnité monétaire décrite dans le paragraphe précédent, le titulaire du droit d’auteur sur un logiciel peut choisir de demander au tribunal d’enjoindre au contrefacteur de lui payer des dommages-intérêts statutaires (préétablis par la LDA, sans qu’il soit nécessaire de faire la preuve du préjudice subi).

Dans le cas de violations du droit d’auteur perpétrées à des fins commerciales, les dommages-intérêts statutaires doivent se situer quelque part entre 500 et 20 000 dollars canadiens pour l’ensemble des actes de contrefaçon commis à l’égard d’une même œuvre. Le quantum exact de ces dommages-intérêts statutaires est déterminé par le tribunal sur la base d’une multitude de facteurs, dont la conduite des parties avant l’institution des procédures judiciaires et dans le cadre de celles-ci.

Dans un autre ordre d’idées, la façon d’utiliser un logiciel installé licitement sur un équipement informatique d’une personne exploitant une entreprise peut entraîner l’inexécution de certaines obligations contractuelles liant cette dernière au titulaire du droit d’auteur sur ce logiciel.

En effet, l’utilisation qui peut être faite d’un logiciel pour lequel une licence a été concédée est généralement encadrée par un contrat écrit souvent appelé « licence », « contrat de licence », « contrat d’utilisateur final » (« End User License Agreement »), « conditions d’utilisation », ou encore « contrat de logiciel en tant que service » (« Software as a Service Agreement »).

À titre d’exemple, un tel contrat pourrait prévoir qu’il incombe au licencié (i) d’assurer que le logiciel ne soit pas installé sur un nombre d’équipements informatiques dépassant un seuil spécifique; (ii) d’assurer que le logiciel ne soit pas utilisé de façon concomitante par un nombre d’individus dépassant un seuil spécifique et/ou (iii) de collaborer avec le titulaire du droit d’auteur sur le logiciel et ses mandataires dans le cadre de la réalisation d’un audit visant à vérifier le respect par le licencié de ses autres obligations découlant du contrat.

Dans ce contexte, toute personne exploitant une entreprise qui projette de souscrire à une licence concernant un logiciel devrait se familiariser avec le contenu du contrat qui s’y rattache. En marge de la sollicitation de l’avis et des conseils d’un avocat spécialisé en propriété intellectuelle quant aux implications pratiques de ce contenu, il est une bonne pratique de retenir les services d’un distributeur autorisé du logiciel concerné afin d’assurer son installation et sa configuration de façon à réduire ou éliminer le risque d’inexécution d’obligations contractuelles envers le titulaire du droit d’auteur sur ledit logiciel.

L’importance des politiques et pratiques encadrant l’installation et l’utilisation des logiciels : Il vaut mieux prévenir que guérir!

En définitive, il relève de la responsabilité des personnes exploitant une entreprise d’identifier et de mettre en œuvre les mesures appropriées pour assurer que l’installation et l’utilisation de logiciels sur les équipements informatiques mis à la disposition des employés soient effectuées en conformité avec les dispositions de la LDA et les stipulations de tout contrat conclu avec le titulaire du droit d’auteur sur chacun de ces logiciels (référence est faite à l’Annexe pour une liste non-exhaustive de telles mesures).

Plusieurs titulaires du droit d’auteur sont en mesure de détecter toute installation et/ou utilisation illicites des versions récentes de leurs logiciels en raison de l’intégration de certaines technologies pouvant constituer, ou s’apparenter à, des « mesures techniques de protection » définies dans la LDA, lesquelles s’incarnent généralement sous la forme d’un programme ayant pour fonction de communiquer certaines informations aux serveurs désignés par le titulaire du droit d’auteur lors de l’ouverture du logiciel et/ou son utilisation sur un équipement informatique quelconque (auxquelles il est communément fait référence par l’expression anglaise « phone-home technology »).

Ces informations permettent au titulaire du droit d’auteur de vérifier si le logiciel est associé à une licence valide et, le cas échéant, si son utilisation est conforme aux exigences stipulées dans le contrat afférent à ce logiciel qui lie juridiquement le licencié.

Les enjeux juridiques en matière de confidentialité des informations et des renseignements personnels que soulèvent de telles mesures techniques de protection renforcent l’importance d’une bonne compréhension des conséquences pouvant résulter de l’application des clauses du contrat encadrant l’utilisation d’un logiciel.

Un avocat spécialisé en propriété intellectuelle peut vous offrir un accompagnement professionnel relativement à la révision et/ou la négociation d’un tel contrat.

En cas d’installation et/ou d’utilisation illicites avérées d’un logiciel protégé par le droit d’auteur, la négociation d’un règlement raisonnable dans les circonstances avec le titulaire de ce droit d’auteur ou son mandataire désigné représente souvent l’avenue à privilégier. Tout règlement devrait être consacré dans un contrat de transaction écrit dont les modalités ont été révisées par un avocat spécialisé en propriété intellectuelle.

À propos de l’auteur

Me Adam Ansari pratique le droit des affaires depuis 2020 au bureau de Saguenay chez Cain Lamarre. Il concentre sa pratique du droit dans un domaine qui le passionne : la propriété intellectuelle.

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