Dégelée pour le juge Casgrain!
Jean-francois Parent
2019-04-23 15:00:00
Par ailleurs, « la crainte réelle d’un déni de justice » justifie qu’un nouveau juge se penche sur l’affaire, peut-on lire dans la décision Desjardins Assurances générales inc. c. 9330-8898 Québec inc, publiée le 3 avril dernier.
Une fraude importante
Début février, Desjardins, par la voix des plaideurs de LCM Avocats, demande à la Cour supérieure de prononcer des ordonnances de blocages et de saisies de comptes avant jugement.
La demande, soumise au juge Kirkland Casgrain, vise un total de 49 défendeurs, impliqués dans 10 dossiers alléguant une fraude de plus de 3,4 millions de dollars.
On demande notamment une ordonnance de type Mareva, invoquée lorsqu’on soupçonne une fraude financière; une telle injonction vise les fraudeurs allégués, et les banques où ces derniers détiennent des fonds.
Le juge Kirkland Casgrain, dans une décision qualifiée par la Cour d’appel d’« informe » et de « contraire à l’intérêt de la justice », a refusé les demandes de la coopérative financière, en février dernier.
Les avocats du cabinet LCM sont donc revenus à la charge devant la Cour d’appel. Mes Sébastien C. Caron, Nicholas Daudelin, Dominique Ménard et Alexandra Rochon Lattion représentent Desjardins dans ce dossier. Me Caron, associé-directeur de LCM, n’a pas donné suite à notre demande de commentaires.
Pour l’essentiel, les fraudeurs obtiennent un maximum de crédit auprès de l’institution financière, en tirent tout ce qu’il y a à en tirer le plus rapidement possible et détournent les sommes empruntées vers d’autres comptes. Ils utilisent également des produits transactionnels leur permettant de faire dépôts et retraits dans d’autres institutions bancaires.
Une fois que tout l’argent disponible est siphonné, les filous font faillite, en conservant le fruit du dol.
C’est pour éviter que les sommes ainsi fraudées ne se perdent dans la nature que les procureurs de Desjardins demandent blocages et saisies avant jugement.
Le refus du juge Casgrain d’accéder aux demandes de Desjardins est mal fondé en droit, et en fait, plaident les avocats du cabinet LCM dans leurs motifs d’appel.
Kirkland Casgrain n’a pas répondu à notre demande de commentaire.
Une décision lapidaire
Les juges François Doyon, Guy Gagnon et Simon Ruel ont « accueilli l’appel, séance tenante et, de manière exceptionnelle, renvoyé le dossier devant un autre juge de la Cour supérieure pour qu’une nouvelle audience soit tenue », peut-on lire dans le jugement publié le 3 avril dernier.
« Le juge a erré », écrit la Cour d’appel, qui ordonne le maintien des saisies et des ordonnances de blocage visant les fraudeurs.
« Premièrement, le jugement est informe et il serait contraire à l’intérêt de la justice qu’il soit maintenu. Il appert aussi des questionnements du juge lors de l’audition et de son jugement qu’il ne comprenait pas » en quoi consistait le dossier.
Ainsi, une dizaine d’interventions du juge Casgrain sont relevées par la Cour d’appel pour illustrer l’incompréhension du magistrat. Cela dénote « un degré d’incompréhension systématique de l’affaire soumise, incompréhension que le juge évoque d’ailleurs directement dans son jugement, soulevant ainsi des questionnements importants quant à l’équité générale des procédures ».
Selon le trio de magistrats, « la lecture du jugement et des échanges entre le juge et les parties suggère fortement que le juge n’a tout simplement pas compris, ou pris le temps de comprendre, les prétentions des parties, en particulier celles des appelantes ».
Par ailleurs, le juge Casgrain « n’a pas adéquatement exposé les critères applicables », aux requêtes de Desjardins, commettant par ailleurs « des erreurs de droit dans son analyse ».
Un jugement manuscrit
Et, pour ajouter l’insulte à l’injure, la Cour d’appel ressent le besoin de se prononcer sur la forme du jugement qu’elle délègue aux oubliettes.
Ce jugement, rendu sur procès-verbal, « rejette sommairement les prétentions des appelantes », sans avoir pris le temps de bien les évaluer par ailleurs, relèvent les magistrats.
Pourtant, il s’agit d’une affaire complexe, impliquant plusieurs personnes et institutions financières. Mais voilà, « certains passages du jugement sont difficilement compréhensibles et sa facture ne peut être qualifiée autrement que de déficiente ».
Pour la Cour d’appel, vu l’importance et les conséquences de l’affaire, la complexité des questions soulevées et l’ampleur de la preuve, « la facture (du jugement) n’est tout simplement pas acceptable ».