J'adore Paris! Prise 4

Isabelle Laflèche
2013-04-26 14:15:00

À la sortie de la station de métro m’attend un chaos total. La rue est bondée, et on y vend de tout : radios satellites, bière chinoise, canard braisé et fausses Rolex. Je passe devant un vendeur qui propose des flacons de parfum Chanel et Dior évidemment contrefaits. Je suis prise de nausées en pensant à leurs ingrédients dégoûtants. Question de rester incognito, je me couvre la tête de ma nouvelle écharpe. Un vendeur qui me voit m’attarder sur le trottoir me saisit le bras.
« Madame, tu veux un sac ? Tu veux du Louis Vuitton ? » Je hoche la tête et il me fait signe de le suivre dans un escalier miteux. J’hésite ; est-il prudent de faire ça toute seule, sans protection policière ni gilet pare-balles ? Et si on me reconnaissait ? Le cœur battant, je décide de le suivre – tant qu’à m’être rendue jusqu’ici, aussi bien continuer.
Au sommet de l’escalier, trois hommes en jean ample et t-shirt noir sont appuyés contre des radiateurs rouillés, et parlent à des clients, allant de jeunes touristes d’Europe de l’Est à des femmes d’âge moyen s’exprimant avec l’accent du New Jersey. Cela me rappelle une chose que Chris m’a dite lors de notre dernière descente : à l’occasion, quand des vendeurs sentent qu’une activité policière se déroule à proximité, ils verrouillent les portes et éteignent les lumières.

En balayant la pièce du regard, je vois de multiples faux : plus récents sacs Gucci et portefeuilles Prada, impers Burberry et bottes UGG. Étonnée de ne voir étalée aucune marchandise Dior, je demande à l’un des vendeurs s’il a des sacs Lady Dior. Il fait signe que oui, et je le suis vers une pièce adjacente.
Ici est présentée la crème de la crème des faux : des sacs Birkin de Hermès, des 2.55 de Chanel, et des Lady Dior de toutes les couleurs imaginables. Je me demande si ces vendeurs sont reliés au groupe que j’ai rencontré à Paris et à Shanghai.
Alors que je recense la marchandise, mon regard est attiré par de la paperasse d’allure officielle qui jonche le plancher. Je plisse les yeux en essayant de la déchiffrer.
Le vendeur s’approche et interrompt ma fouille. « Quelle couleur ? » demande-t-il. Je réfléchis à toute vitesse. Est-ce que je devrais continuer et passer à l’achat ? J’indique qu’il me faut quelques minutes de plus. Pendant que j’essaie de prendre une décision, il allume une cigarette. Je remarque que certains des documents ont été fourrés pêle-mêle sous un sac Lady Dior rouge, et je m’approche de celui-ci. J’enlève mes verres fumés et prends le sac en faisant semblant d’admirer ses coutures. En baissant les yeux, je finis par déchiffrer le bout de papier froissé. On dirait une liste de points de vente à travers la ville.
Je prends le risque de regarder derrière moi, en direction du vendeur. Comme il s’est tourné pour parler à une autre cliente, je sors mon téléphone et prends quelques clichés rapides du document. La voie est libre jusqu’à la porte : il est temps que j’y aille.
Alors que j’essaie de me glisser à côté du vendeur et de sa nouvelle cliente, l’écharpe glisse de ma tête. L’homme me regarde et me reconnaît. Il hurle quelque chose dans une langue que je ne comprends pas. Je panique, me jette vers la sortie, tout en bousculant des vendeurs avec mes sacs d’emplettes. Heureusement, trois femmes se trouvent dans la pièce avant en train de payer des achats, et cela me donne assez de temps pour courir vers l’escalier. Je hurle : « Mesdames, s’il vous plaît, sortez tout de suite ! »
Les périls de la mode, entre le chic et le toc
Isabelle Laflèche
Traduit de l’anglais par Caroline LaRue et Michel Saint-Germain
En librairie depuis le 10 avril
Disponible en version numérique dès le 26 mars
http://quebec-amerique.com/jadoreparis