La fabuleuse carrière parisienne d’un avocat québécois
Andréanne Moreau
2021-03-12 15:00:00
Après presque vingt ans au Groupe Optimum, dont dix à la tête de ses sociétés françaises, il a ouvert en 2019 BLV Avocats, un cabinet parisien qui se spécialise en droit commercial et en droit des assurances. Il est également avocat-conseil dans l’une des plus importantes firmes au monde, PWC, et siège au conseil d’administration de six grandes sociétés. Un horaire chargé, bref. « Mais, vous savez, quand on fait ce qu’on aime », s’exclame-t-il.
Il vient d’ailleurs tout juste de recevoir les états financiers de Coface, un prestigieux groupe financier français, au CA duquel il a été nommé administrateur en janvier.
« Ça peut sembler beaucoup, mais ça ne représente que quelques heures par semaine dans mon horaire. Et puis, j’aime beaucoup ces mandats. Ça complète bien mes activités d’avocat », explique le Barreau 1995.
Bien sûr, ces fonctions pourraient lui enlever certaines occasions d’affaires, s’il se retrouvait en conflit d’intérêts, mais il y voit surtout une occasion de rayonnement, une façon d’établir encore plus fortement sa crédibilité et d’élargir son réseau de contacts.
Un carnet d’adresses bien garni
L’important n’est pas ce que tu connais, mais qui tu connais, comme le dit l’adage. Selon les dires d'une de ses amies montréalaises, Anouk Dansereau, Benoît D. Lapointe est justement passé maître dans l’art d’établir des réseaux. « Il a un carnet d’adresses hallucinant, des connaissances partout à l’international », fait-elle valoir.
Me Lapointe admet qu’il a rencontré de nombreuses personnes influentes. Il a pu discuter avec tous les premiers ministres et ministres québécois qui sont passés par la capitale au cours des 18 dernières années, notamment. « Nul n’est prophète en son pays. Je n’aurais jamais eu un lien aussi privilégié si j’étais demeuré au Québec », souligne-t-il. Ayant présidé le Cercle des Dirigeants d’Entreprises franco-québécois, il était une personnalité incontournable lorsqu’il était question d’établir des liens d’affaires ou politiques entre Québec et la France.
Cette capacité de créer des relations et de rapprocher les gens est une des grandes qualités que lui reconnaît son ami David Heurtel, avocat et ancien ministre de l’Environnement du Québec.
« Il était déjà comme ça à l’université. Je me souviens très bien d’un soir où, après un cours, il avait convaincu notre professeur de droit de la faillite, Yoni Goldstein, de venir prendre une bière avec nous au Café Campus. Il est comme ça, Benoit. C’est un grand rassembleur », raconte-t-il en précisant que Me Goldstein avait un horaire incroyablement chargé à l’époque. Il faisait constamment des allers-retours à Toronto et New York pour le cas de la faillite Olympia and York. Double exploit, donc, de l’avoir convaincu.
Vers un retour au Québec?
Le réseautage étant un talent recherché en politique, Me Lapointe songerait-il à imiter son ami des bancs d’école et à siéger à l’Assemblée nationale? « Je vous mentirais si je disais que ça ne m’a jamais traversé l’esprit, avoue-t-il. On verra selon les opportunités, mais je n’ai pas encore eu l’appel du coeur », lance-t-il en riant. Quant à savoir vers quel parti le porterait ce fameux appel, Me Lapointe se contente de répondre qu’il n’a jamais eu de carte de parti et qu’il se considère d’abord comme un nationaliste, sans forcément être indépendantiste.
L’expatrié n’attendra toutefois pas qu’un parti politique le contacte pour revenir au Québec. Parmi ses plans à court terme figure l’ouverture d’un bureau montréalais de BLV Avocats. « J’espérais le faire en 2020, mais la pandémie nous a ralentis. Je vise maintenant 2021 ou, au plus tard, 2022. »
L’objectif est d’accompagner les entrepreneurs québécois qui veulent faire des affaires en France et vice-versa, sur les questions de droit, bien sûr, mais également pour traduire et expliquer les particularités de chaque culture. En effet, les différences culturelles seraient plus importantes qu’on le croit, estime Me Lapointe, et peuvent nuire aux relations d’affaires si elles sont mal comprises.
« Les Québécois, lorsqu’ils sont en affaires, sont comme des Américains qui parlent français. On est pragmatiques, centrés sur le business, alors que les Français sont latins et cherchent d’abord les relations humaines », explique-t-il. Ainsi, l’avocat a vu des marchés tomber à l’eau parce qu’un entrepreneur est arrivé à un lunch d’affaires en parlant business dès la première bouchée.
« On ne peut pas faire ça avec les Français. Il faut parler politique, famille, culture d’abord. Ce n’est qu’une fois au dessert qu’on consacre un petit quinze minutes à la discussion d’affaires », dit celui qui a visiblement bien adopté les coutumes de son pays d’adoption, l’entrevue ayant commencé par une conversation amicale sur la météo, l’opéra, le ski et les mesures sanitaires.
Un parcours atypique
Pour son amie Anouk Dansereau, le chemin parcouru par Me Lapointe est encore plus impressionnant lorsqu’on sait où toute cette histoire a commencé. « C’est tout de même incroyable qu’un jeune garçon de Laval, qui vient d’un milieu modeste, se retrouve dans une position aussi prestigieuse à Paris », souligne celle qui vient d’une famille de juristes.
Déjà sur les bancs de l’Université de Montréal, le jeune Benoît D. Lapointe détonnait. Fils d’une mère infirmière et d’un père policier, arrivant du cégep Montmorency, il était entouré de jeunes de Westmount ayant fréquenté le Collège Jean-Eudes. « Mes collègues avaient presque tous un père ou un oncle associé dans un grand cabinet. Disons que je sortais du lot, mais je me suis bien adapté », se souvient-il.
Me Heurtel confirme : Benoît avait de nombreux amis et pouvait être considéré comme populaire. La gent féminine n’était pas en reste. C’est pendant ses études qu’il rencontre la femme de sa vie, Stéphanie, une étudiante de l’Université de Poitiers, au Québec pour une session d’échange.
Il la suit à Paris, où tous deux étudient à l'Université de Sorbonne, puis travaille dans quelques cabinets de la capitale. Le couple se marie et décide de revenir au Québec. « En général, les gens croient que c’est moi qui voulait revenir, mais c’était une décision qui venait surtout de Stéphanie. Elle trouvait que Montréal était le parfait entre-deux entre la grande ville qu’est Paris et la campagne française, où elle avait grandi », explique Me Lapointe.
C’est pendant ce retour au pays que le jeune avocat est embauché par le Groupe Optimum, alors qu’il n’avait vraiment envisagé se spécialiser en droit des assurances auparavant. « Tous les gens que je connais en assurances sont arrivés là par hasard. C’est que ce n’est pas très sexy, comme domaine, quand on ne connaît pas. Mais, une fois qu’on y est, on réalise que les assurances touchent absolument chaque domaine de la vie. C’est fascinant », dit-il, enthousiaste.
Après quelques années au sein du groupe, il se fait proposer un poste de direction des sociétés françaises d’Optimum, à Paris. « Quand on a 35 ans et qu’on se fait offrir ça, c’est pas mal, comme défi !»
Cette expérience lui a permis de bien s’établir dans la ville lumière et lui a apporté une grande satisfaction professionnelle, mais, voyant la cinquantaine arriver, l’envie de revenir au droit se fait plus forte. « Pendant dix ans, je n’ai pas du tout été avocat. Ça me manquait trop. Je voulais remettre la robe, comme on dit ici », indique-t-il.
Lancer son cabinet était donc à la fois un nouveau défi professionnel et un retour aux sources. Tout comme le sera l’ouverture de BLV à Montréal.