« Procès fantôme » : l’aboutissement d’une dérive judiciaire
Radio -Canada
2022-03-30 10:15:00
En tant que dirigeants des principales salles de rédaction du Québec, nous tenons à exprimer notre indignation et notre vive préoccupation face à la tenue de ce qu’il est convenu d’appeler un « procès fantôme » révélé dans un jugement rendu par la Cour d’appel du Québec.
Il est inacceptable qu’un tel procès puisse avoir eu lieu au Québec et que le public ne soit même pas avisé de son existence et encore moins du tribunal devant lequel il s’est déroulé, et de l’identité du juge et des avocats impliqués.
Bref, le procès s’est déroulé dans le plus grand secret, effaçant d’un trait de crayon du décideur de première instance plusieurs siècles de progrès démocratique et nous ramenant à la triste époque de la Chambre étoilée, ce tribunal arbitraire créé par Henri VII au 15e siècle.
Comment se fait-il qu’une telle mascarade ait pu avoir lieu ici en 2021? En 2022? Malheureusement, le public ignore jusqu’à la date à laquelle ce procès s’est tenu.
Il est pourtant bien établi que la transparence est l’un des fondements de notre système judiciaire. En effet, tel que l’écrivait le philosophe Jeremy Bentham dès le 18e siècle : « Les freins à l’injustice judiciaire ne sont efficaces qu’en proportion de la publicité des débats. Là où il n’y a pas de publicité, il n’y a pas de justice... La publicité est le souffle même de la justice. Elle est la plus grande incitation à l’effort, et la meilleure des protections contre l’improbité. »
Ce principe a été affirmé à maintes reprises par la Cour suprême du Canada : la publicité des débats judiciaires est une règle qui ne devrait souffrir que de très rares exceptions, lesquelles seront elles-mêmes circonscrites afin d’offrir le plus de transparence possible dans chaque circonstance.
Au cours des dernières années, accédant aux demandes du Directeur des poursuites criminelles et pénales et des avocats de la défense, il semble malheureusement que les tribunaux québécois aient accordé de plus en plus d’importance à ces exceptions, érodant peu à peu le principe de la transparence judiciaire. En ce sens, le procès fantôme mis au jour la semaine dernière est l’aboutissement logique de cette lente dérive.
Cette révélation suscite de nombreuses interrogations. Qui étaient les avocats et le juge impliqués? Ce procédé avait-il l’aval d’autres intervenants dans l’appareil judiciaire? Existe-t-il d’autres dossiers qui ont été traités de manière similaire? Ce ne sont que quelques-unes des questions auxquelles les citoyens sont en droit d’obtenir des réponses.
Il en va de la confiance du public envers le système de justice. Celle-ci a été considérablement minée par la manière dont s’est tenu ce procès. Il s’agit non seulement de faire la lumière sur les gestes passés, mais également d’en tirer des leçons afin d’éviter qu’ils ne se reproduisent à l’avenir.
Nous demandons donc un examen en profondeur des pratiques des tribunaux québécois et des procureurs aux dossiers criminels en matière de publicité des débats judiciaires afin, d'une part, que ce genre de procès « fantôme » ne puisse plus se produire et, d'autre part, de vérifier dans les dossiers actuels ce qui peut être amélioré pour assurer le droit du public à l'information judiciaire.
Les médias ont pour rôle d’informer le public et sont donc bien placés pour contribuer activement à ce processus. Ensemble, nous saurons trouver les solutions favorisant la publicité des débats judiciaires et le droit du public à l’information.
Cosignataires :
François Cardinal, vice-président à l'information et éditeur adjoint, La Presse
Luce Julien, directrice générale de l'information, Services français, Société Radio-Canada
Julie-Christine Gagnon, directrice de la programmation du 98,5 FM, Cogeco Media
Karen Macdonald, directrice de l’information, Global News Montréal
Lenie Lucci, rédactrice en chef par intérim, Montreal Gazette
Melanie Porco, superviseure, production des nouvelles, CityNews Montreal (Citytv)
Helen Evans, directrice du journalisme, CBC Québec
Brodie Fenlon, rédacteur en chef, CBC News
Geneviève Rossier, éditrice et directrice générale du Service français, La Presse canadienne
Éric Trottier, directeur général, Le Soleil
Hugo Fontaine, directeur général, La Tribune
Éric Brousseau, directeur général, Le Droit
Christian Malo, directeur général, La Voix de l’Est
Stéphan Frappier, directeur général et rédacteur en chef, Le Nouvelliste
Marc St-Hilaire, directeur général et rédacteur en chef, Le Quotidien
Anonyme
il y a 2 ans"Les grands médias d’information unissent leurs voix ..."
Certains médias de Québecor occupent la part du lion dans leur segment de marché, mais selon Radio-Canada "les grands médias" est une expression adéquate pour désigner un groupe excluant les médias de Québecor!
Anonyme
il y a 2 ansAlors que le fédéral multiplie les étalages de postures vertueuse et les messages moralistes, c'est sa police, sa direction des poursuites pénales, et ses avocats qui ont été à la manoeuvre dans cette "inovation" procédurale.
Ceci dit, il faut aussi noter qu'un juge a quand même marché dans cette combine.
Anonyme
il y a 2 ansJe suis pas un expert en droit criminel, mais comment pouvez-vous dire que le fédéral est impliqué dans tout ça ? Premièrement, on ne connait pas l'identité des personnes impliquées. Deuxièmement, tout indique que c'est le DPCP québécois qui était à l'œuvre. Si une personne qui en sait plus peut nous renseigner tant mieux.
Anonyme
il y a 2 ansC'est intéressant de voir tous les médias déchirer leur chemise sur cette histoire. On parle de procès médiéval et d'obscurantisme, mais on semble oublier que tous les acteurs concernés, y compris l'avocat de la défense et l'accusé, ont accepté de garder ce procès secret. Je veux bien reconnaître l'importance du principe, mais il faut aussi reconnaître que tous ont convenu lors de cette affaire que la vie de l'indicateur de police était sérieusement en danger si l'affaire s'ébruitait. On ne parle pas ici de la condamnation en secret d'un opposant politique, mais plutôt de discrétion judiciaire, poussée à l'extrême certes, pour protéger la vie d'un individu.