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Quelle analyse juridique de la religion?

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Safa Ben Saad

2016-02-12 11:15:00

Comment le droit canadien se saisit de l’Islam dans ses différentes expressions ? Quelle analyse juridique de la religion? Une avocate chercheure se penche sur ces questions…
Safa Ben Saad est chercheure postdoctorale et chargée de cours à l’Université de Sherbrooke
Safa Ben Saad est chercheure postdoctorale et chargée de cours à l’Université de Sherbrooke
Dans les sociétés occidentales, l’Islam ne cesse de susciter l’intérêt. Il s’agit là d’une religion récemment implantée dont la régulation juridique s’impose aux différentes expériences laïques. Mais la gestion juridique du phénomène religieux nécessite-t-elle une connaissance préalable de la religion?

Dans un État neutre où la jurisprudence a adopté une définition expansive de la religion, les manifestations identitaires, normatives et idéologiques de l’Islam relancent le double défi de la neutralité et de la liberté religieuse dans un contexte de diversité. La recherche que je mène sous la supervision des professeurs David Koussens et Sébastien Lebel-Grenier a pour objectif de tenter de comprendre comment le droit canadien se saisit de l’Islam dans ses différentes expressions et la conception de la religion qui pourrait s’en dégager.

La revendication de l’islamité est matière à analyse juridique, car le passage massif des problématiques du religieux au champ de la régulation jurisprudentielle marque un passage de la garantie de liberté religieuse à la réclamation d’une identité collective.

De même, l’octroi d’avantages fiscaux à des associations à vocation religieuse ou encore l’identification des contours juridiques du concept de l’islamophobie, sont autant de cas qui requièrent une définition de l’islamité.

Double problème

La normativité islamique pose quant à elle un double problème : d’une part, le droit national se trouve devant la régulation d’un aspect normatif qu’il ignore, d’autre part, cette normativité religieuse véhicule une conception du bien différente de la conception majoritaire.

Ainsi, par le rejet d’un arbitrage religieux dans les conflits familiaux, ce n’est pas la possibilité d’existence de normes et de justice religieuses qui est rejetée, mais bien la nature présumée de la norme islamique et la conception du bien qu’elle véhicule (oppression des femmes vs principe d’égalité des sexes).

La loi intervient dès lors pour contrer l’application de normes concurrentes jugées contraires aux valeurs majoritaires. La définition de la normativité islamique est aussi un défi eu égard à la diversité au sein de l’Islam.

La montée d’une manifestation idéologique de l’Islam impose une réflexion sur les difficultés éthiques et juridiques que suscite « l’Islam radical ». En effet, si l’on évoque une « pratique radicale de la religion », cela suppose qu’on se réfère à une pratique normale ou modérée (O.Roy, 2011), qu’il existe une définition précise de la religion incluant les pratiques qui s’y rattachent « normalement ». Cet exercice délicat n’est pas sans conséquence sur la neutralité et sur la liberté de conscience et de religion.

Indigénisation de la norme religieuse

De son côté, l’Islam au Canada se transforme, il s’accommode aux limites de l’exercice religieux dans un État laïc, de même que l’identité musulmane évolue dans le cadre du multiculturalisme. Ceci est visible dans le discours des autorités religieuses, mais aussi via le phénomène de l’indigénisation de la norme religieuse.

L’impératif de l’intégration « civique » a modifié le discours religieux, de même que le dialogue normatif contribue à modifier les contours de la norme islamique. La construction d’une identité musulmane au Canada se fait en se désolidarisant des mouvements islamiques globalisés.

Des considérations tout à la fois éthiques, culturelles et religieuses entravent la normalisation de l’Islam au Canada, car si la société est sécularisée, elle n’en demeure pas moins imprégnée du christianisme.

Si le droit n’est pas en rupture avec la société, l’État est tenu de garantir la liberté de religion et de conscience. L’impact des représentations sociales de l’Islam sur l’analyse qu’en fait la jurisprudence reste dès lors à vérifier.

Safa Ben Saad est chercheure postdoctorale et chargée de cours à l’Université de Sherbrooke. Elle est titulaire d’un doctorat en droit, d’un master en droit international et droit comparé de l’université Toulouse 1 et d’une maîtrise en sciences juridiques de l’université Tunis-Carthage.

Avant de rejoindre le Centre d'études du religieux contemporain (CERC) et la Chaire de recherche Droit, religion et laïcité, elle a enseigné le droit public à l’université de Toulouse 1 et à l’université Tunis-El Manar. Elle est aussi membre du Barreau de Tunis, en situation de non exercice.

Sa thèse de doctorat porte sur L’évolution du droit constitutionnel des droits de l’Homme dans les pays musulmans. Les exemples de l’Arabie Saoudite, l’Iran, le Pakistan et le Soudan. Ses travaux de recherche portent principalement sur la relation entre la normativité islamique et les droits humains et le droit comparé.
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