Un expert est-il moins contraint qu'un avocat ?
Jean-francois Parent
2018-01-22 11:15:00
La Cour supérieure a dit non, et ce jugement vient d'être confirmé en appel, où le juge Robert Mainville a rejeté de faire déclarer inhabile un témoin expert, à la fois comptable et avocat.
C'est le Groupe Jean Coutu, représenté par Me Yves Martineau, de Stikeman, qui s'en prenait à l'expertise comptable de Raymond, Chabot, (RCGT) déposée en preuve pour soutenir une demande d'autorisation d'une action collective déposée par un groupe de franchisés, Sopropharm.
Lorsque la Pharmacie Jacques Bourget Inc. et plusieurs affiliées réunies sous l'appellation Sopropharm intentent une action collective, en 2016, c'est parce qu'elles s'estiment lésées par le montant des redevances inscrites dans les contrats de franchise.
Les calculs du manque à gagner présentés en preuve par les requérants sont établis par le cabinet RCGT. Mais voilà, le cabinet comptable vient d'embaucher un juriste, également juricomptable, Luc Marcil. Et Me Marcil vient tout juste de quitter les juricomptables Naviguant, qui ont été les témoins experts de Jean Coutu dans une autre demande d'action collective intentée par des franchisés, regroupés cette fois par le pharmacien Michel Quesnel.
L'action collective Quesnel a été rejetée, mais l'action Sopropharm en est toujours au stade de l'autorisation.
Une demande de jugement en déclaration d'inhabilité est déposée par Jean Coutu contre RCGT l'an dernier, qui soutient que les règles de conflits s'appliquant aux cabinets d'avocats devraient aussi s'appliquer aux cabinets comptables. La demande cite notamment Succession MacDonald c. Martin, pour appuyer sa position, selon laquelle la règle des conflits s'appliquent d'autant plus lorsqu'un avocat est partie au dossier.
La Cour supérieure rejette la requête de Jean Coutu, estimant que les règles de conflit applicables aux avocats ne s’étendent pas aux experts-comptables. C’est plutôt l'arrêt 149644 Canada inc. c. St-Eustache qui s'applique et ce, même si Luc Marcil est membre du Barreau.
D'autant que Me Marcil n'a pas contribué à l'expertise commandée par Sopropharm, et que des mesures ont été prises par RCGT pour maintenir la confidentialité du dossier dans l'enceinte de RCGT.
« Il y a un contexte très précis dans lequel les règles de conflits s'appliquent », rappelle Sarah Woods, qui a représenté RCGT à la Cour d'appel.
L'associée du cabinet Woods estime qu'on « a tenté de pousser la règle un peu loin. Un expert doit être impartial et objectif, on ne peut pas lui demander d'avoir une loyauté ».
Groupe Jean Coutu a plaidé qu'il fallait appliquer l'obligation de loyauté imposée aux avocats aux témoins experts, et a perdu.
Dans sa plaidoirie, Me Woods cite l'article 22 du C.p.c, qui dispose que l'expert doit « éclairer le tribunal dans sa prise de décision. Cette mission prime les intérêts des parties ».