Plaidoyer pour une pratique plus souple
Camille Laurin-Desjardins
2020-07-17 15:00:00
Cette recherche a résonné fort dans la tête de l’avocate Adèle Pilote-Babin et de la notaire Joanie Lalonde-Piecharski. Non seulement parce qu’elle traduisait un mal être chez la majorité de leurs collègues, mais aussi parce qu’elle ne proposait à peu près pas de solutions.
C’était en quelque sorte le début de l’aventure des Consoeurs, un duo de juristes qui offrent du coaching et des formations en ligne… à leurs consoeurs qui rêvent, elles aussi, d’une vie plus équilibrée.
«C’est tellement soulageant de voir qu’il existe autre chose que ce qu’on voit à l’école!» s’exclame Adèle Pilote-Babin.
Des pratiques «marginales»
Pour Adèle Pilote-Babin, cette idée de conciliation et de bonheur au travail a toujours été présente, depuis le début de sa carrière. Un héritage qui lui vient certainement de sa mère, la comédienne, autrice et chroniqueuse Marcia Pilote. Après avoir travaillé à l’international, la Bouchervilloise a finalement décidé de revenir dans sa ville natale. Elle y a fondé la Boîte légale, avec son associé Alexandre Morin.
L’avocate spécialisée dans le conseil aux jeunes entreprises, qui est aussi maman d’un petit garçon de cinq ans, n’a pas un horaire qui ressemble à la majorité de ses consoeurs. Elle ne travaille pas les vendredis et finit ses journées vers 16h ou 16h30. Et après la naissance de son fils, elle a pris un congé de maternité de 10 mois (autant dire une éternité, dans le milieu!).
Évidemment, ça veut dire faire moins d’argent, et vivre plus simplement. Adèle Pilote-Babin avoue avoir opté pour un concept de «décroissance», avec son conjoint qui est lui aussi avocat, mais elle assure qu’ils vivent très bien.
Joanie Lalonde-Piecharski (l’autre moitié du duo, décrite comme la grande brune un peu plus posée), de son côté, a changé sa façon de pratiquer il y a environ trois ans.
«Quand je suis devenue moi-même maman, je me suis rendue compte que je ne pouvais pas garder ce rythme effréné», raconte la maman d’une fillette de quatre ans et demi.
«Je faisais énormément d’anxiété, et je ne savais même pas que c’était ça», ajoute-t-elle.
Elle a vendu son bureau de notaire «traditionnel», pour ouvrir un nouveau cabinet et se concentrer sur un domaine très précis: elle rédige les testaments pour des familles d’enfants à besoins particuliers.
«Ç’a permis que j’aie un rythme beaucoup plus à mon image, plus doux. Ça concilie le fait d’être maman et de travailler.»
Coaching et ateliers
Les Consoeurs ont développé une sorte de module de mieux-être, qui n’existait pas vraiment dans le monde des juristes. Elles offrent du coaching en privé, mais elles viennent aussi de développer une plateforme de formations en ligne, que les participantes peuvent suivre à leur rythme. Leurs clientes sont surtout des avocates et des notaires, mais les services sont ouverts à toutes les professionnelles.
Elle prévoyaient lancer un programme payant le 15 mars dernier… mais la pandémie les a forcées à revoir leur plan. Elles ont décidé de le rendre disponible quand même, mais gratuitement, pour l’été.
Cela comprend des ateliers, des capsules et des exercices. La clé, selon elles, est de pouvoir adapter tous ces conseils à notre réalité et à ce qu’on souhaite. Un des exercices proposés, par exemple, est de fermer les yeux, et d’imaginer la journée idéale, dans le cadre de notre profession. Évidemment, pour des professionnels qui sont employés, il n’est pas possible de tout changer.
«On demande de prendre un élément là-dedans et d’essayer de l’intégrer au quotidien, explique Me Pilote-Babin. Pour certaines, c’est de ne jamais recevoir un client avant 10h pour éviter de se sentir dépassée; pour d’autres, c’est d’aller prendre une marche de 15 minutes pendant l’heure du dîner.»
Chaque mois, un nouveau thème est exploité. Les Consoeurs prévoient fonctionner selon un abonnement mensuel, mais elles développent aussi des programmes à la pièce. Me Lalonde-Piecharski travaille d’ailleurs sur un programme d’une durée de neuf mois pour accompagner une avocate ou une notaire qui tombe enceinte, par exemple.
Réinventer le navire
Les deux juristes ont fait connaissance à travers les réseaux sociaux, parce qu’elles partageaient un peu la même vision de la pratique. Après s’être rencontrées «en vrai» il y a un peu plus d’un an, elles ont fondé les Consoeurs, pour tenter de répondre à toutes celles qui leur écrivaient et leur demandaient conseil. Parce que le besoin est immense, martèlent-elles.
Ensemble, elles veulent partager leurs trucs, leurs outils, leurs expériences.
«En tout humilité, on partage ce qu’on aurait aimé entendre, et recevoir comme modèle en début de pratique, pour prendre des raccourcis vers une meilleure conciliation de toutes les sphères de notre vie», explique Adèle Pilote-Babin.
«Je reçois plein de messages de jeunes notaires et avocates, affirme Joanie Lalonde-Piecharski. Parfois, elles quittent la pratique, parce qu’elles n’en peuvent plus. Quel gaspillage! Au lieu de quitter le navire complètement, est-ce qu’on ne peut pas le réinventer? C’est qu’on essaie de faire.»
Avoir une vie en dehors du travail
Être avocat ou notaire, ça veut dire travailler 70 heures par semaine. Cette façon de voir le métier est encore très répandue… et les Consoeurs essaient de briser le moule.
Me Pilote-Babin se fait souvent dire: «ah toi, tu es toujours en vacances!»
«Ça m’a toujours bien fait rire… Mais j’ai commencé à confronter les gens, parce qu’il faut qu’il sachent qu’on est capable d’avoir une vie et de faire de l’argent quand même!»
Pendant la pandémie, elle explique avoir travaillé des demi-journées, en planifiant tout au quart de tour et en déléguant. D’ailleurs, lorsque nous prenons contact avec elle, elle se trouve «dans le bois». Lorsque nous lui demandons s’il est possible de lui parler, même si elle est en vacances, elle nous répond: «Oh non, je ne suis pas en vacances!» Elle travaille; simplement pas de chez elle.
«Des fois, pendant un mois, il faut que je travaille jusqu’à minuit, une fois que le petit est couché», précise-t-elle.
Mais elle préfère de loin cette pratique plus «libre» et adaptée à son rythme de vie.
Lorsque Me Lalonde-Piecharski a décidé de se lancer dans une pratique plus nichée, plusieurs collègues ont tenté de la décourager, en lui disant que pour être prospère, il faut «absolument» faire de l’immobilier. Ça ne l’a pas empêché d’essayer, et de réussir.
«C’est quelque chose qui moi, me va. Je suis slow life. Les gens qui aiment quand ça bouge peuvent aimer faire de l’immobilier! On a juste à s'adapter face à ce qu’on veut.»