Les avocats « maison » ont la cote !
Delphine Jung
2017-02-22 10:15:00
Ce sondage a été réalisé auprès de plus de 1 000 cabinets dans 42 pays.
« Effectivement, nous avons remarqué cette tendance depuis la crise, dans les années 2008-2009. Le sujet a d’ailleurs été discuté lors d’une table ronde à l’occasion du congrès du barreau en 2013. Cela va se poursuivre dans les années à venir », estime André Ryan, associé au cabinet BCF.
Plusieurs choses expliquent ce phénomène. « Les avocats en interne ont une connaissance plus approfondie des besoins de l’entreprise », explique Fred Headon, conseiller juridique général adjoint du droit du travail et de l’emploi chez Air Canada.
Iohann Le Frapper, président du conseil d’administration d’ACC ajoute : « Disposer d’un service juridique interne permet à la compagnie d’avoir une meilleure maîtrise des coûts. Si on fait appel à des avocats en externe, ces coûts reposent sur une facturation à l’heure. Ils peuvent être variables et pas conformes au budget initial, sauf si on négocie quelque chose en amont ».
L’expert évoque également le fait que faire appel à des juristes externes peut créer une dépendance vis-à-vis d’eux pour l’entreprise.
Une tendance à traîner les dossiers?
Me Charles Lavoie, l’avocat qui inaugure depuis décembre le service juridique de l’entreprise Huot, spécialisée dans les développements immobiliers et le transport entre autres, a une autre théorie : « recruter des avocats extérieurs à l’entreprise crée nécessairement des conflits d’intérêt. L’avocat, s’il a un bon payeur, a parfois tendance à faire traîner les dossiers, profitant un peu du fait que les connaissances juridiques de la compagnie sont limitées ».
Une accusation balayée d’un revers de la main par Me Ryan : « c’est une pratique regrettable le cas échéant et qui est très bien encadrée par le code de déontologie. J’ai confiance dans la majorité de mes confrères et consœurs. Il y aura toujours des exceptions, mais ce n’est pas une pratique qu’on encourage ».
Pourtant, Iohann Le Frapper confirme que certains avocats peu professionnels tentent parfois de faire traîner les affaires : « Ce sont des choses qui arrivent, surtout en Inde par exemple, mais il y aussi des cas similaires dans les pays développés, même si c’est moins généralisé ».
Une chose est sûre, la « part du gâteau » pour les cabinets diminue, il faut donc « créer un partenariat gagnant-gagnant », d’après M. Le Frapper.
C’est aussi l’avis de Me Ryan qui prône un changement culturel important dans les cabinets: « à travers leur masse salariale, les compagnies peuvent plus maîtriser leurs coûts, alors nous, à l’externe, on doit leur fournir le même type de prévisibilité ».
D’après lui, il faut aussi que les cabinets identifient les domaines et services dans lesquels ils peuvent être concurrentiels.
« On peut penser à revoir le mode de tarification en proposant des honoraires au résultat, des forfaits, des plafonds… », ajoute M. Le Frapper.
Travailler en partenariat
André Ryan estime aussi que l’une des solutions est de créer un partenariat entre les avocats à l’interne et à l’externe pour qu’ils se complètent et qu’ils se répartissent le travail comme s’ils étaient collègues : «L’habitude c’était la prise en charge, aujourd’hui c’est le partenariat. Il faut aussi savoir que souvent, on pense que les avocats en entreprise travaillent moins, ce qui est complètement faux, leur charge de travail a grandi avec l’accroissement des responsabilités qui ont été conservées à l’interne. Nous devons donc leur procurer des outils de travail qui les soulage ».
Chez Air Canada, on semble avoir compris cette complémentarité : « Nous disposons de services en litige, en réglementation ou encore en droit commercial, mais nous faisons appel à l’externe lorsque nous avons besoin d’une expertise plus spécifique », explique Fred Headon.
« Les tendances du marché vont ainsi de plus en plus se refléter sur la conception de nos équipes », conclut André Ryan.