Conseillers en immigration VS avocats en immigration
Delphine Jung
2020-12-07 15:00:00
À la rentrée 2021, le diplôme requis ne sera plus un diplôme collégial, mais universitaire. Pressentie pour l'offrir, l'Université de Sherbrooke s'est finalement retirée du projet. « Une nouvelle évaluation du dossier a mené à cette décision », explique-t-on à l'Université de Sherbrooke, sans en dire davantage.
En entrevue à Droit-inc, John Murray, président et chef de la direction du Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada depuis novembre 2018, se félicite de cette nouvelle. Il n’a pas pu confirmer quelle université au Québec se chargera de donner la formation, mais assure que les négociations vont bon train et que la nouvelle devrait être dévoilée « dans le mois prochain ». Une décision motivée par le fait que depuis le 26 novembre 2020, la Loi sur le Collège des consultants en immigration et en citoyenneté est également entrée en vigueur.
Cette loi établit le cadre réglementaire qui régit l’activité des conseillers en immigration et citoyenneté et prévoit que le Collège des consultants en immigration et citoyenneté tienne lieu d’autorité nationale officielle de réglementation de la profession.
Il n’y a pas que de cette nouvelle que se félicite M. Murray : le Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada compte aujourd’hui presque 9000 membres (dont plus de 6000 consultants réglementés en immigration canadienne et 2000 conseillers réglementés en immigration pour étudiants étrangers), un chiffre qui ne cesse de grandir depuis que M. Murray — qui détient d’ailleurs une formation en droit — est en poste.
« Nous pensons que nous allons continuer d’avoir de nombreux nouveaux membres, car il y a présentement beaucoup d’étudiants qui suivent nos programmes de formation », appuie-t-il.
Il explique cette attractivité par le fait que de nombreuses personnes en formation sont elles-mêmes passées par la case « immigration » et veulent désormais aider les gens qui sont dans la même situation. Grosso modo, plus il y a d'immigrés, plus il y aura de conseillers en immigration.
Chasse gardée
Mais l'immigration est pour certains une chasse gardée. Me Stéphane Handfield par exemple, rappelle qu'il a « toujours prôné le côté un peu corporation. Si on parle de droit, cela devrait relever des avocats. On ne devrait pas permettre à des gens autres que les membres du Barreau et les notaires de s'occuper des dossiers en immigration », ajoute-t-il en évoquant certains dossiers complexes qui, s'ils sont mal documentés ou mal préparés, peuvent avoir de graves conséquences sur la vie des personnes.
Un avis que partage Me Julie Lessard, associée responsable du groupe mobilité globale des employés chez BCF. Son équipe se compose de 10 avocats en droit de l'immigration et de 20 parajuristes. Aucun d'entre eux n'a le statut de conseiller en immigration.
Lorsqu'on lui demande si elle compte un jour en embaucher, sa réponse est catégorique: « non, on ne le fera jamais ». Pour quelle raison? « C'est une question de principe et de respect. J'ai un grand respect pour la profession d'avocat. Nous avons un ordre qui nous protège et protège le public. La formation générale des avocats fait une différence », dit-elle.
Par ailleurs, le droit de l'immigration est un domaine de droit complexe, croit-elle. D'autant plus qu'il est souvent lié à d'autres domaines tels que le droit fiscal ou le droit du travail. « Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de bons conseillers en immigration », s'empresse-t-elle toutefois d'ajouter.
M. Murray concède justement que l’une des raisons pour lesquelles certains choisissent de devenir conseillers plutôt qu’avocats c’est bien parce que la formation du Barreau est plus lourde, que le processus est plus long. Il est donc bien plus facile de devenir conseiller.
Le Barreau du Québec soutient les arguments de Mes Lessard et Handfield. Contacté par Droit-inc, le bâtonnier a décliné nos demandes d’entrevue. Sa conseillère en communication nous a toutefois fait parvenir un courriel dans lequel on peut lire : « La compétence et l’intégrité de celles et ceux qui représentent (une clientèle vulnérable) sont des exigences incontournables. Les avocats sont très bien placés pour agir en matière d’immigration grâce à leur formation juridique, leur Code de déontologie, leur compte en fidéicommis, leur assurance responsabilité professionnelle, l’existence du Fonds d’indemnisation et la surveillance du Syndic. Nous croyons que seul un conseiller juridique devrait représenter un client en immigration afin de le protéger adéquatement. »
Coopération
Une avocate en immigration est pourtant ouverte à travailler avec des conseillers en immigration. Me Nadia Barrou travaille avec une consultante accréditée et trois autres qui complètent leur formation.
Elle prône un travail collégial. « Ma consultante a une expérience que je n'ai pas. Par exemple, elle connaît bien mieux que moi tous les programmes qui existent hors Québec. »
Elle soutient également que les entreprises font d'ailleurs de plus en plus appel aux services des conseillers plutôt qu'à ceux des avocats.
Interrogé par Droit-inc, Ubisoft par exemple, qui recrute beaucoup à l'étranger, compte 8 employés permanents dans l’équipe mobilité internationale, dont 3 consultantes réglementées en immigration canadienne.
« Le statut de CRIC convient aux besoins de recrutement d’Ubisoft pour l’embauche de travailleurs qualifiés. Nous travaillons avec deux programmes d’immigration : Programme Travailleurs Étrangers Temporaires (PTET) et Programme Mobilité Internationale (PMI). Les CRIC détiennent l’expertise nécessaire pour traiter les dossiers d’immigration dans ces deux programmes », justifie Antoine Leduc-Labelle, conseiller en relations médias et communication chez Ubisoft.
« Nous collaborons également avec 2 avocats en immigration de la firme BCF pour des dossiers légaux plus complexes », ajoute-t-il.
Dans un article publié en 2017 dans le ''Journal de Montréal'', Chucrallah Tabib, consultant depuis plus de 12 ans à Brossard, en Montérégie assurait qu’un consultant pouvait gagner jusqu’à 100 000 $ par année.
Quoi qu’il en soit, M. Murray estime que la compétition entre avocats et conseillers en immigration est presque anecdotique. Il rappelle que beaucoup de conseillers travaillent directement pour les avocats ou sont embauchés dans des cabinets. Il évoque même des relations très « collégiales ».