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Les secrets financiers de milliardaires, d’élus et de célébrités exposés au grand jour

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Radio -Canada

2021-10-04 13:15:00

Jacques Villeneuve, Shakira, Tony Blair, le roi de la Jordanie, et un grand cabinet international. Voilà certains noms qu'on retrouve dans les Pandora Papers…
L'ancien pilote canadien de course automobile Jacques Villeneuve. Source : La Presse canadienne/Radio-Canada
L'ancien pilote canadien de course automobile Jacques Villeneuve. Source : La Presse canadienne/Radio-Canada
Les secrets financiers de 35 chefs d’État, anciens et actuels, et plus de 330 politiciens de 91 pays et territoires figurent parmi les révélations contenues dans une nouvelle fuite de millions de documents confidentiels de paradis fiscaux – la plus imposante en son genre.

Une coalition internationale sans précédent de plus de 600 journalistes de 150 médias dans 117 pays lève le voile sur la façon dont différents acteurs internationaux tirent profit des paradis fiscaux en y plaçant leurs avoirs, y compris un bon nombre d'élus et de fonctionnaires qui seraient en position de lutter contre ce système qui prive leurs pays d'importants revenus.

Après les Panama Papers et les Paradise Papers, voici les Pandora Papers. Cette fuite massive dévoilée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), dont Radio-Canada est partenaire, contient plus de 11,9 millions de documents financiers confidentiels provenant de 14 firmes d'incorporation extraterritoriale de 12 pays différents.

Ces firmes servent entre autres à créer des sociétés-écrans pour les clients désireux de dissimuler leurs activités financières.

La fuite inclut près de trois fois plus d’informations sur les activités extraterritoriales de chefs d’État et deux fois plus d’informations sur des fonctionnaires que toute autre fuite précédente concernant des paradis fiscaux.

Les noms de nombreuses figures politiques importantes apparaissent dans les documents : celui du roi de la Jordanie, des présidents de l’Ukraine, du Kenya et de l’Équateur, des premiers ministres de la Côte d’Ivoire, du Liban et de la République tchèque ainsi que celui de l’ancien premier ministre britannique Tony Blair. Des proches du président russe Vladimir Poutine y sont aussi mentionnés.

Si détenir une société dans les paradis fiscaux est légal, la confidentialité qu’ils offrent peut camoufler les flux illicites d’argent, ce qui facilite le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale, le financement du terrorisme et d’autres abus des droits de la personne, selon des experts. Les Pandora Papers permettent d’ailleurs d’éclairer davantage plusieurs scandales internationaux de corruption, dont le Fifagate qui a secoué le monde du soccer en 2015.

Plusieurs Canadiens bien connus, dont l'ancien champion de formule 1 Jacques Villeneuve et l’ancien patineur artistique trois fois champion du monde Elvis Stojko, se trouvent aussi dans les Pandora Papers.

CBC/Radio-Canada et le Toronto Star, les deux médias canadiens faisant partie du consortium, ont jusqu’à maintenant répertorié plus de 500 citoyens ou résidents canadiens dans la fuite.

Les noms de vedettes musicales, dont ceux de Shakira et Julio Iglesias, apparaissent aussi dans les documents.

L'ancien premier ministre britannique Tony Blair. Source : Reuters/Radio-Canada
L'ancien premier ministre britannique Tony Blair. Source : Reuters/Radio-Canada
Une fuite colossale

Les Pandora Papers incluent toutes sortes de fichiers, dont des courriels, des photos, des tableaux Excel, des présentations PowerPoint, des documents Word et des PDF d’enregistrements d’entreprises, de rapports financiers, de déclarations de revenus, de passeports, de rapports de diligence raisonnable et plus.

Ils représentent au total 2,94 téraoctets – ou plus de 3000 gigaoctets – ce qui est plus volumineux que toutes les autres fuites de données de paradis fiscaux précédentes mises en lumière par l’ICIJ.

On y trouve des informations sur les véritables propriétaires de plus de 29 000 compagnies enregistrées dans des paradis fiscaux, soit plus du double que dans les Panama Papers en 2016.

Si ces documents portent sur plus de cinq décennies, la plupart d’entre eux concernent la période allant de 1996 à 2020.

La fuite expose au grand jour les activités financières de plus de 130 milliardaires de 45 pays dans les paradis fiscaux, dont 46 oligarques russes. En 2021, 100 de ces milliardaires avaient une fortune collective de 760 milliards de dollars.

Les Pandora Papers révèlent des détails sur des avoirs et des transactions internationales dans les domaines de l'énergie, de la technologie et de l'immobilier, ainsi que des arrangements successoraux complexes. Des banquiers, de grands donateurs politiques, des trafiquants d'armes, des criminels internationaux, des vedettes de la pop, des espions, des chefs et des athlètes de haut niveau figurent également dans les données de la fuite.

Des milliers de milliards dans les paradis fiscaux

Pour quelques centaines ou quelques milliers de dollars, les firmes au cœur du système peuvent aider leurs clients à incorporer une société extraterritoriale en dissimulant l’identité de son véritable détenteur à l’aide d’un administrateur désigné; en somme, un prête-nom.

Dans le monde des paradis fiscaux, ces gens sont payés pour apparaître sur l’acte d’incorporation d’une entreprise à la place de son véritable propriétaire.

Sinon, pour un montant allant de 2500 $ à 30 000 $, ces mêmes firmes peuvent créer une fiducie qui, dans certains cas, permet à ses bénéficiaires de contrôler leur argent sans que leur nom soit mentionné, grâce à un tour de passe-passe juridique.

Le roi de Jordanie Abdullah II. Source : Reuters/Radio-Canada
Le roi de Jordanie Abdullah II. Source : Reuters/Radio-Canada
La fuite permet de lever le voile sur les véritables détenteurs de jets privés, de yachts, de manoirs et d'oeuvres d'artistes célèbres comme Picasso et Banksy, une vérité dissimulée jusqu'ici dans des sociétés enregistrées dans des paradis fiscaux – des informations souvent hors de la portée des forces de l’ordre et des gouvernements.

Nombreux sont les gens d’affaires œuvrant à l’international qui disent avoir besoin de ces entreprises extraterritoriales pour mener à bien leurs opérations. Mais celles-ci se résument souvent à transférer des bénéfices réalisés dans des pays à taux d’imposition élevés vers des sociétés qui existent seulement sur papier dans des administrations à faible taux d’imposition.

Au moins 14,3 billions de dollars (soit des milliers de milliards) sont détenus dans les paradis fiscaux, selon une étude menée en 2020.

Vu la complexité et la confidentialité de ce système, il est par contre impossible de savoir quelle part de cette richesse est liée à de l’évasion fiscale - ou à d’autres types de crimes - et quelle part est le fruit d'activités légitimes et a été dûment déclarée aux autorités.

Une toile internationale complexe

Le système des paradis fiscaux ne pourrait pas exister sans l’aide d’institutions qui servent les riches et puissants, comme des banques multinationales, des firmes de droit et des bureaux de comptables basés en Europe et aux États-Unis.

Un document des Pandora Papers montre, par exemple, que diverses banques d’un peu partout dans le monde ont incorporé plus de 3900 sociétés extraterritoriales pour leurs clients en recourant aux services d’Alemán, Cordero, Galindo & Lee, un cabinet juridique dirigé par un ancien ambassadeur panaméen aux États-Unis. La firme – connue maintenant sous le nom d’Alcogal – a aujourd’hui des bureaux affiliés dans une douzaine de pays.

Un autre document des Pandora Papers montre qu’Alcogal a incorporé au moins 312 sociétés aux îles Vierges britanniques à la demande du géant bancaire américain Morgan Stanley.

Alcogal a déclaré à l’ICIJ qu’elle se conforme à toutes les lois dans les juridictions dans lesquelles elle opère et qu'elle coopère pleinement avec les autorités gouvernementales. Un porte-parole de Morgan Stanley a pour sa part affirmé que la firme ne crée pas de sociétés extraterritoriales. Ce processus est indépendant du cabinet et à la discrétion et sous la direction du client, a-t-il déclaré.

L'ancien patineur artistique canadien Elvis Stojko. Source : La Presse canadienne/Radio-Canada
L'ancien patineur artistique canadien Elvis Stojko. Source : La Presse canadienne/Radio-Canada
Baker McKenzie

Si des juridictions comme les Îles Vierges Britanniques et le Panama sont communément identifiées comme étant des paradis fiscaux, l’enquête des Pandora Papers montre comment des États américains comme le Dakota du Sud sont également des destinations de choix pour l’évitement fiscal. L’influence du plus important cabinet juridique américain, Baker McKenzie, dans la mise en place du système des paradis fiscaux et de son cadre légal, ainsi que le rôle de premier plan qu’il continue d’occuper, sont également mis de l’avant. Un porte-parole de Baker McKenzie a déclaré que le cabinet cherche à fournir les meilleurs conseils à ses clients et s'efforce de s'assurer que nos clients respectent à la fois la loi et les meilleures pratiques. Le porte-parole n'a pas directement répondu à de nombreuses questions sur le rôle de la firme dans le système des paradis fiscaux, citant la confidentialité des clients, mais il a précisé que Baker McKenzie procédait à de strictes vérifications des antécédents de tous les clients potentiels.

Des acteurs politiques majeurs parmi les documents

De nombreux politiciens de partout dans le monde figurent dans les Pandora Papers.
  • Le roi de la Jordanie, Abdullah II, a utilisé des sociétés-écrans enregistrées dans des paradis fiscaux pour acheter en secret 14 propriétés de luxe aux États-Unis et au Royaume-Uni d’une valeur totale de 134 M$, et ce, alors que son pays dépend de l’aide financière internationale. Le Canada a d’ailleurs donné près de 950 M$ en aide à la Jordanie depuis 2002. La Jordanie s’est engagée en 2020 à lutter contre l’évasion fiscale, alors que des manifestations contre la corruption secouaient la classe politique. Des avocats représentant le roi ont assuré que celui-ci n’a jamais puisé dans les fonds publics ou dans l’aide internationale et qu’il n’a pas à payer d’impôts, selon la loi jordanienne. Ils ont aussi affirmé que certaines des demeures identifiées par l’ICIJ n’appartiennent pas au roi, mais n’ont pas mentionné lesquelles.

  • Le premier ministre de la République tchèque, Andrej Babis, promet depuis son entrée en politique, en 2012, de lutter contre les prétendues élites politiques corrompues et l’évasion fiscale. Or, selon des documents obtenus par l’ICIJ, le milliardaire a utilisé un réseau de sociétés-écrans pour acheter un imposant château valant 28 M$ en France à l’insu de ses concitoyens. Le premier ministre n’a pas répondu aux questions de l’ICIJ.

  • L’ancien premier ministre britannique, Tony Blair, et sa femme, Cherie, sont devenus propriétaires en 2017 d’un manoir victorien à Londres valant plus de 11 M$. Plutôt que d’acheter la demeure elle-même, ils ont acquis une fiducie enregistrée aux îles Vierges britanniques qui détenait le bâtiment. Ce faisant, ils ont pu éviter de payer quelque 507 000 $ en impôt foncier. Alors qu’il briguait la chefferie du Parti travailliste, en 1994, M. Blair déplorait que les riches aient accès à des moyens d’éviter de payer des impôts. Mme Blair a affirmé à l’ICIJ que son mari n’était pas impliqué dans la transaction et que son objectif était de rapatrier la société et le bâtiment dans le régime fiscal du Royaume-Uni.

  • Svetlana Krivonogikh, la maîtresse alléguée du président russe, Vladimir Poutine, est propriétaire d’un condo de luxe à Monaco par l’entremise d’une société-écran basée aux Îles vierges britanniques, rapporte le Washington Post en citant des documents obtenus par l’ICIJ. Cette société-écran a été créée en 2003, quelques semaines après avoir donné naissance à sa fille, alors qu’elle était secrètement dans une relation amoureuse avec M. Poutine, ont rapporté l’année dernière des médias russes. La firme qui a géré les transactions en lien avec le condo a des liens avec d’autres personnages dans l’orbite du président russe, selon le Washington Post. Mme Krivonogikh n’a pas répondu aux questions du quotidien.

  • Konstantin Ernst, un proche allié du président russe Vladimir Poutine un des architectes des cérémonies d’ouverture des Jeux olympiques de Sotchi de 2014, a pu utiliser une série de sociétés-écrans pour participer à un contrat de privatisation financé par l’État russe, qui vise à acheter des propriétés à Moscou. Selon les documents, la part de M. Ernst valait 178 M$. M. Ernst n’a pas répondu aux questions de l’ICIJ.

  • Plusieurs acteurs politiques du Liban apparaissent aussi dans la fuite, dont le premier ministre actuel, Najib Mikati, son prédécesseur, Hassan Diab, ainsi que le gouverneur de la banque centrale, Riad Salameh. M. Diab n’a pas répondu aux questions de l’ICIJ. M. Salameh a assuré à l’ICIJ avoir déclaré tous ses avoirs et s’être souscrit aux lois fiscales du Liban. Le fils de M. Mikati, Maher, a affirmé à l’ICIJ qu’il est chose courante pour les Libanais d’utiliser des sociétés outre-mer “étant donné la facilité du processus d’incorporation” et non pour éviter de payer des impôts.


  • Des Canadiens dans les Pandora Papers

    Des centaines de comptes et sociétés appartenant à des Canadiens apparaissent dans la fuite, mais certains sautent davantage aux yeux que d’autres.
  • L’ancien champion de formule 1, Jacques Villeneuve, possédait des sociétés et des fiducies dans des paradis fiscaux avant même qu’il n’entame sa carrière en formule 1, révèlent les Pandora Papers. M. Villeneuve n’a pas répondu aux questions de Radio-Canada parce qu’il est présentement en litige avec Revenu Québec. Plus de détails seront dévoilés à l’émission Enquête, jeudi à 21 h sur ICI Télé.

  • Le patineur artistique Elvis Stojko a transféré des actifs canadiens valant jusqu’à 6,5 M$ dans une fiducie caribéenne en 2007, alors qu’il vivait au Mexique. Trois fois champion du monde, sept fois champion national et double médaillé d'argent aux Jeux olympiques, M. Stojko a eu de l’aide de Patinage Canada, un organisme financé par l’État, pour transférer ces fonds. Elvis Stojko a répondu à CBC que son avocat s’est occupé de ses finances et qu’il n’avait aucun réel intérêt ou implication dans le processus. Quand mon avocat de longue date a conseillé que je mette en place une fiducie, j’ai eu confiance qu’il agirait dans mes meilleurs intérêts et conformément à la loi.

  • Le cybercriminel allégué Alexandre Cazes a pu utiliser des sociétés-écrans pour acheter des maisons de luxe, dont une maison de 7,6 M$ en Thaïlande. Le Trifluvien de 25 ans avait été arrêté en Thaïlande en 2017 puis accusé par la justice américaine d’être le gestionnaire d’AlphaBay, le plus important marché illégal de l’histoire du web caché. Il avait été retrouvé mort une semaine plus tard en prison thaïlandaise de suicide apparent. Plus de détails seront dévoilés à l’émission Décrypteurs, samedi à 11 h 30 sur ICI RDI.

  • Le millionnaire québécois Firoz Patel purge présentement une peine d’emprisonnement de trois ans aux États-Unis après avoir plaidé coupable d'accusations de complot, de blanchiment d’argent et d’exploitation de services financiers sur Internet sans permis. Le Montréalais et son frère ont fait fortune sur le web grâce aux plateformes Payza et AlertPay, qui ont traité plus de 250 M$ de paiements issus d’activités criminelles. Les Pandora Papers révèlent que Firoz Patel s’est envolé aux Émirats arabes unis pour faire l’acquisition d’une société extraterritoriale alors que les deux frères faisaient l'objet d'une enquête. Depuis la prison, il a déclaré au Toronto Star que celle-ci poursuivait des fins légitimes, pour mener des affaires en Asie, et qu’elle n’avait rien à voir avec les services financiers qu’il offrait sur Internet.

  • L’ancien avocat britanno-colombien Fred Sharp était le Canadien le plus souvent cité comme intermédiaire pour des sociétés qui faisaient affaire avec le géant panaméen de la constitution de compagnies Mossack Fonseca, la firme au cœur de la fuite des Panama Papers en 2016. M. Sharp et plusieurs de ses associés ont intenté des dizaines de poursuites contre l’Agence du revenu du Canada (ARC) après que celle-ci eut entamé des audits à leur sujet, qui n’ont toujours pas porté leurs fruits. Lui et quelques-uns de ses clients ont été accusés de fraude en valeurs mobilières par le FBI, en août. Le nom de M. Sharp apparaît en moindre mesure dans les Pandora Papers, qui montrent que lui et sa firme Corporate House se sont chargés de tâches administratives de sociétés extraterritoriales. Fred Sharp n’a pas donné suite aux demandes d’entrevue de CBC.


Avec les informations de Frédéric Zalac, Benoit Michaud, Paul-Émile d'Entremont, Zach Dubinsky, Charles Rusnell, Alex Shprinsten, Terence McKenna, Jonathon Gatehouse, Dexter McMillan, Robert Cribb, Marco Chown Oved, Fergus Shiel, Emilia Díaz-Struck, Delphine Reuter, Will Fitzgibbon, Agustin Armendariz, Jelena Cosic, Jesús Escudero, Miguel Fiandor, Mago Torres, Karrie Kehoe, Margot Williams, Denise Hassanzade Ajiri, Sean McGoey, Margot Gibbs et Kathryn Kranhold


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