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Un avocat en guerre contre le Barreau

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Julien Vailles

2018-07-30 15:00:00

Régulièrement blâmé par le Comité de discipline, un avocat s’explique… et fourbit ses armes pour contre-attaquer. Droit-inc lui a parlé…
Me Jean Petit, avocat criminaliste qui exerce à son compte à Québec
Me Jean Petit, avocat criminaliste qui exerce à son compte à Québec
Me Jean Petit, avocat criminaliste qui exerce à son compte à Québec, est connu à la fois dans la communauté juridique et au sein de la population en général. En 2017 notamment, il avait été le premier avocat d’Alexandre Bissonnette, auteur de l’attentat à la mosquée de Québec.

Et il fait régulièrement les manchettes pour des accrocs déontologiques souvent assez mineurs, mais nombreux.

Au total, il a été déclaré coupable de plus de vingt chefs d’infraction, dont plusieurs n’ont pas encore fait l’objet de sanctions.

Me Petit réplique en attaquant, entre autres, la validité constitutionnelle même du Comité de discipline qui le châtie si souvent. Il estime que ses membres sont inhabiles à agir et qu’ils n’ont pas les qualifications nécessaires pour rendre des décisions…

Série d’infractions déontologiques

D’abord, une accusation, en 1988, d’avoir payé un témoin 2 000 dollars pour qu’il rende un témoignage et d’avoir tenté d’influencer deux autres témoignages lui a valu six mois de radiation. Cette décision a été confirmée en appel devant le Tribunal des professions mais cassée en contrôle judiciaire parce que le Tribunal des professions a omis d’évaluer une preuve nouvelle.

La décision de la Cour supérieure a été confirmée en appel et l’affaire renvoyée devant le Tribunal des professions, qui a à nouveau déclaré Me Petit coupable. Mais à la fin de cette saga, en 2001, la Cour d’appel a prononcé un arrêt des procédures considérant l’administration de la nouvelle preuve et le long délai écoulé.

Plus récemment, en 2014, un jugement a été rendu sur trois chefs d’infraction, soient le défaut de déposer dix sommes en fidéicommis pour un client, quatre sommes pour un autre et d’avoir reçu une somme de plus de 7 500 dollars en espèces sans faire de reçu officiel. Me Petit a été condamné à 1 000 dollars d’amende sur chaque chef.

En 2016, Me Petit a à nouveau fait défaut de déposer dix sommes en fidéicommis, a pris un repas avec à la fois un accusé et un coaccusé avec lequel l’accusé n’avait pas le droit de communiquer, et a menti à la Cour en disant qu’un juge l’avait obligé à procéder sur deux affaires le même jour, alors qu’il était lui-même responsable de la confusion. Verdict : respectivement 2 000 dollars d’amende, sept jours de radiation et quinze jours de radiation pour les trois chefs.

En 2017, Me Petit a fait défaut de répondre à trois demandes du syndic; il a été sanctionné à 3 000 dollars d’amende pour chacun des trois chefs.

La même année, après avoir fait défaut de déposer une somme en fidéicommis, il s’est fait imposer 5 000 dollars d’amende. Dans la même affaire, il a fait défaut de rendre des services professionnels à un client pour une avance d’honoraires reçue, ce qui lui a valu une radiation de trois mois. Cependant, le Tribunal des professions a accepté d’accorder un sursis concernant cette radiation, car Me Petit en a appelé de la décision du Comité.

Toujours en 2017, il a encore une fois été déclaré coupable du défaut d’avoir déposé une somme en fidéicommis et de ne pas avoir rendu de services professionnels pour un montant reçu dans trois dossiers différents, pour un total de six infractions. La sanction n’est pas encore connue.

Encore l’an dernier, il a fait défaut de rendre des services professionnels pour des montants reçus dans deux dossiers différents et a fait défaut de déposer une somme en fidéicommis. Là non plus, la sanction n’est pas connue.

Enfin, en 2018, il a été déclaré coupable d’avoir retiré 100 000 dollars sans autorisation de son compte en fidéicommis.

Deux autres plaintes indépendantes ont également été déposées contre lui, mais n’ont pas encore fait l’objet de décisions.

Forfait ou avances?

Que se passe-t-il avec Me Petit? Ces condamnations sont-elles justifiées, ou le Barreau est-il en guerre contre lui? « Le Comité de discipline a décidé d’y aller au compte-gouttes avec ces infractions, plutôt que de tout juger d’un seul coup, ce qui aurait été préférable », déplore Me Petit, joint par Droit-inc.

Celui-ci a d’ailleurs la ferme intention de contester ses dernières condamnations. Tout d’abord, Jean Petit nie être réellement coupable de plusieurs infractions qu’on lui reproche. « Je travaille généralement à forfait. Donc, ces sommes peuvent être directement encaissées sans passer par le compte en fidéicommis », plaide-t-il.

L’avocat se base sur le paragraphe 54(2º) du Règlement sur la comptabilité et les normes d’exercice professionnel des avocats, qui prévoit qu’un avocat n’a pas à déposer dans son compte en fidéicommis « l’argent qui lui est versé pour s’assurer de sa disponibilité quand, dans une entente écrite, il est convenu qu’il lui sera acquis, même s’il n’est pas appelé à rendre des services ou encourir des débours ».

Partant, toutes les infractions de ne pas avoir déposé des sommes en fidéicommis et de ne pas avoir rendu des services devraient tomber, plaide Me Petit.

Pourtant, cet argument a été présenté devant le Comité de discipline à quelques reprises, mais a été rejeté chaque fois, alors qu’on disait que les factures ne s’apparentaient pas à des conventions d’honoraires; de plus, rien n’indiquait effectivement qu’à défaut de rendre les services, Me Petit conservait quand même l’argent.

Inconstitutionnalité?

Mais ce n’est pas tout : il remet aussi en question la conformité même du Comité de discipline avec les Chartes canadienne et québécoise. Premièrement, Me Petit est d’avis que le principe d’indépendance judiciaire devrait s’appliquer aux tribunaux administratifs. Ce faisant, comme le président et le président adjoint du Comité de discipline prêtent serment au gouvernement, il considère que l’indépendance judiciaire est ainsi compromise. Il demande donc que les dispositions pertinentes du Code des professions soient déclarées invalides.

Deuxièmement, Me Petit en a contre le fait que les membres du Comité de discipline ne prêtent pas serment avant d’entendre les causes qui leur sont soumises, contrairement aux tribunaux judiciaires, au Tribunal des droits de la personne et aux tribunaux administratifs du Québec. Il clame donc que les membres, n’ayant pas prêté serment, sont inhabiles à agir sur un Comité de discipline.

Troisièmement, il se plaint de trois choses chez les membres du Comité. D’abord, il n’est pas d’accord avec la rémunération du président, qu’il juge trop basse pour un décideur, et il ne comprend pas que les autres membres ne reçoivent qu’une compensation, sans rémunération. De plus, il croit que les membres n’ont pas les qualifications nécessaires pour rendre des décisions en discipline. Enfin, il estime que la formation des membres après leur nomination est déficiente.

En somme, il croit que de nombreux éléments sont « livré[s] à la conjecture et à l’arbitraire » et privent les avocats d’un procès juste et équitable. En conséquence, il en appelle au Tribunal des professions pour faire déclarer constitutionnellement invalides certains articles du Code.

Reste à savoir s’il aura gain de cause…
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8 commentaires
  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Avocat
    "il fait régulièrement les manchettes pour des accrocs déontologiques souvent assez mineurs, mais nombreux."

    Si tenter d'influencer des témoignages, mentir à la cour et mettre en contact un accusé et un co-accusé avec qui il n'a pas le droit de communiquer sont des accrocs mineurs pour un avocat criminaliste, qu'est-ce que l'auteur juge comme étant un réel accroc déontologique?

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Salaire
    Il a raison pour une chose: les salaires des président(e)s sont ridiculement bas. Pour s'assurer d'une indépendance, il faudrait leur assurer un salaire décent considérant les responsabilités et l'impact des décisions prises. Je ne parle pas d'un salaire de juge de la Cour du Québec, mais peut-être un peu plus. Un comité devrait se étudier cette question.

  3. LK
    Et les gros cabinets?
    Il est quand même piquant de constater à quel point ce ne sont que les petits bureaux qui sont visés par ce genre d'accusation. Ils font l'objet d'inspections par des perdants, des avocats manqués qui n'ont pas de dossiers et qui s'en prennent à leurs semblables. Par ailleurs, jamais que les grands cabinets ne font l'objet de pareilles accusations. Statistiquement ça ne me paraît pas normal.

  4. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Cher LK
    On sent la rancune dans votre commentaire...

    Il me semble logique de croire que les grands cabinets possèdes une structure et les moyens pour éviter les fautes déontologiques liées aux comptes en fidéicommis.

    Quant aux autres fautes de Me Petit, tel que les tentatives d'influencer un témoignage, je ne vois pas en quoi les avocats qui représentent le syndic et qui poursuivent les auteurs de ces graves manquements déontologiques seraient des "perdants" ou des "avocats manqués". L'inverse serait plutôt vrai.

  5. Me Stéphane Lacoste
    Me Stéphane Lacoste
    il y a 6 ans
    Pas des manquements mineurs
    Je ne considère pas les manquements rapportés comme étant mineurs.

    Le syndic et son équipe jouent un rôle essentiel. Il arrive sûrement des erreurs, des injustices mêmes, mais je ne crois pas que ce soient des avocats "manqués". Personne n'est parfait. Sans discipline, on ne peut justifier l'existence des ordres professionnels et la protection de l'exercice exclusif. Ce travail est au coeur de l'existence du Barreau du Québec, bien plus que tout le système de formation continue, des interventions en commissions parlementaires ou autre prises de position au nom de la protection du public.

    La question de l'indépendance des conseils de discipline est toutefois bien intéressante. Je considère que nos cours, la Cour suprême au premier chef, ont négligé de reconnaitre la réelle importance du régime de réglementation professionnelle. Attendons voir.

  6. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    LK a raison
    Je suis d'accord avec LK. C'est évident que le Barreau s'en prend aux petits pour des niaiseries - je ne parle pas de lacunes déontologiques significatives. J'avais 0,02$ de trop dans mon compte en fidéicommis pour des raisons inexplicables. L'inspecteur m'envoye une lettre disant que j'avais des sommes des clients non remis sans préciser le montant. L'insinuation est à l'effet que suis mauvais gestionnaire ou meme un bandit. C'est agaçant. Pour rien.

    D'ailleurs, ces perdants auxquels il réfère ne travaillent pas pour le syndic mais pour le service de l'inspection professionnelle. C'est différent. Avant de vanter les prétendues structures des grans bureaux, il faudrait savoir de quoi on parle.

  7. Me Redoute
    Me Redoute
    il y a 6 ans
    Me Petit a de grands besoins
    Me Petit a de grands besoins. Toute sa plaidoirie est de l'argumentation de Ti-Coune voleur. Les manquements sont graves et démontrent que Me Petit fait à sa tête de cochon. Pour lui, un avocat criminaliste peut tout se permettre, n'a pas à écrire un mandat clair avec ses clients (il ne serait même pas capable de le composer)et n'a pas à les représenter. Tout est un forfait et on n'a même pas à représenter le client à la limite et l'argent est dû.

    Vous savez pourquoi Me Petit est si petit, c'est qu'il représente une clientèle pour qui il n'a aucun respect: des petites criminels...

  8. MK
    Expérience
    Je suis d'accord avec le journaliste concernant les manquements mineurs. Par expérience, un témoin peut être difficile à contraindre de dire ce qu'il doit dire. N'est-ce pas de que les tribunaux cherchent, la vérité? Pour le reste, le barreau nous dit de revoir notre mode de rémunération. Un pas dans la bonne direction et un coup de règle sur les doigts.

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