Un juge fustige un procureur du DPCP
Didier Bert
2022-04-14 13:15:00
À la suite de l’accident automobile dans lequel sa fille a subi des blessures, Michel Gauvin s’était vu opposer un refus du procureur du DPCP d’autoriser des accusations criminelles. La jeune femme avait percuté un tracteur de déneigement durant une nuit de décembre 2013. Après avoir mené sa propre enquête, le père avait déposé une plainte de nature criminelle contre deux conducteurs de déneigeuse et cinq policiers présents sur les lieux de l’accident.
Lors de la préenquête, Michel Gauvin avait relevé les lacunes de l’enquête des policiers, qui n’avaient pas mentionné la présence d’une deuxième déneigeuse sur les lieux de l’accident, ni le fait que l’une d’elle avait franchi la ligne médiane de la route. Il est représenté par Alexandra Longueville, avocate criminaliste chez Raby, Dubé, LeBorgne, Avocats, tandis que Claude Girard est défendu par Nicolas Glendenning et Daphné Godin-Garito, du DPCP.
Parallèlement, Michel Gauvin avait entrepris une poursuite civile de 3,5 millions $ en dommages-intérêts contre les chauffeurs de tracteurs, cinq policiers, le service de police de Roussillon, un médecin et l’hôpital Anna-Laberge.
De son côté, le procureur du DPCP mandaté sur la préenquête a fait preuve de complaisance envers les policiers et les conducteurs de déneigeuse, tout en s’en prenant à la crédibilité des témoins de Michel Gauvin, selon ce qu’on apprend dans la décision du juge Daniel Royer rendue le 15 mars dernier.
Trois affidavits allèguent même que Claude Girard discutait avec les avocats des policiers et des conducteurs de déneigeuse, le 30 janvier 2019, avant le début de la préenquête, alors que la cause civile procédait. Un affidavit émanait du journaliste spécialisé dans les affaires judiciaires Claude Poirier. Un affidavit de l’avocat de Michel Gauvin dans la poursuite civile, Me Damien Pellerin, précise que le procureur du DPCP rassurait les avocats des policiers et des conducteurs de déneigeuse quant à la préenquête.
Me Claude Girard a d’abord assuré ne pas avoir été présent sur les lieux… avant de dire ne plus en être certain.
En juin 2019, le juge Pierre Bélisle de la Cour du Québec avait autorisé des accusations de tentative d’entrave à la justice contre les deux chauffeurs de déneigeuse, Robert Trudeau et Robert Boudreau.
Mais cinq mois après cette décision, Claude Girard mettait fin aux poursuites criminelles en invoquant une insuffisance de preuve. L’arrêt du processus judiciaire vise même Michel Gauvin, montré du doigt pour avoir voulu « se servir du mécanisme de plainte privée afin de servir les fins de son importante poursuite civile ».
La décision du procureur du DPCP était un abus de procédure, affirme à présent le juge Daniel Royer, qui ordonne la poursuite des accusations criminelles. Le juge montre du doigt, à son tour, le procureur du DPCP, sans ménagement.
« Le Tribunal est conscient que l’exercice du pouvoir discrétionnaire du poursuivant public ne peut être contrôlé qu’en présence d’abus de procédure, démontré par un cas des plus manifestes de conduite répréhensible, ce qui est extrêmement rare. C’est cependant le cas ici », écrit le juge Daniel Royer dans son jugement.
« Une seule inférence peut être tirée du comportement du mis-en-cause dans cette affaire : il avait un parti pris pour les défendeurs dans la plainte privée et a agi avec une partialité évidente », poursuit le juge.
Or, « un poursuivant public a l’obligation constitutionnelle d’agir indépendamment de toute considération partisane et d’autres motifs illégitimes. La conduite du mis-en-cause lors de la préenquête, confirmée par son opinion juridique, constitue une inconduite flagrante discréditant le régime des plaintes privées », martèle Daniel Royer dans sa décision.
Le juge de la Cour supérieure en conclut que « le comportement du mis-en-cause dans son ensemble dans cette affaire constitue une inconduite flagrante discréditant le régime législatif régissant les plaintes privées ». Il casse l’ordonnance d’arrêt des procédures dans le dossier de l’accident. L’affaire est amenée devant la Cour du Québec… « avec un procureur aux poursuites criminelles et pénales autre que le mis-en-cause ».
Le juge n’a toutefois pas retenu le critère de la malveillance, qui aurait pu conduire à imposer des dépens.
Joint par Droit-inc, Me Claude Girard indique que le DPCP a déposé un appel de la décision du juge Royer devant la Cour d’appel, au motif que « le tribunal a erré dans sa décision d’accueillir la requête en certiorari et de casser les ordonnances d’arrêt des procédures. »
Le DPCP considère que « le juge de la Cour supérieure a erré dans son évaluation de la nature et de la portée du rôle du poursuivant public en contexte de plainte privée, notamment lors de la préenquête; » (...) qu'il « a erré en concluant que l’appelant a commis un abus de procédure culminant par le dépôt des ordonnances d’arrêt des procédures; » (...) et qu'il « a erré en rendant une ordonnance impliquant qu’un procureur aux poursuites criminelles et pénales soit tenu d’assumer la continuation des poursuites dans les dossiers. »
Le DPCP se réserve la possibilité d’ajouter d’autres motifs.
Dans cet appel, le DPCP est représenté par Me Julie Nadeau et Me Nicolas Abran.
Anonyme
il y a 2 ans"Le juge de la Cour supérieure en conclut que "le comportement du mis-en-cause dans son ensemble dans cette affaire constitue une inconduite flagrante discréditant le régime législatif régissant les plaintes privées""
Le juge aurait plutôt dû écrire que l'inconduite flagrante au terme de laquelle poursuivant s'est discrédité, en décidant initialement de ne pas porter d'accusations, autorise à conclure que le processus de plainte privé avait été utilisé à bon escient par Michel Gauvin.
C'est dans le nolle prosequi intervenu par la suite, après que le poursuivant public se soit substitué à Gauvin, que réside le discrédit, et non pas dans le processus de plainte privé, qui a bien rempli son rôle de soupape de sécurité anti-corruption, et qui a pris fin au moment de la substitution de procureur.