Un pas de plus vers un tribunal spécialisé pour les crimes sexuels
Andréanne Moreau
2021-02-09 14:15:00
La création de cette nouvelle instance était l’une des 190 recommandations du rapport sur l'accompagnement des personnes victimes d'agressions sexuelles et de violence conjugale, déposé à l’Assemblée nationale le 15 décembre dernier.
En théorie, un tribunal spécialisé permettrait de mieux accompagner les victimes d'agressions sexuelles ou de violence conjugale, qui se sentent souvent lésées par le processus judiciaire ou qui renoncent d'emblée à porter plainte, car elles ne font pas confiance au système de justice.
« Notre gouvernement tient à renforcer la confiance du public envers le système de justice et cela passe par un meilleur accompagnement des personnes victimes et par l’amélioration de leur parcours », affirme le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, ajoutant que l’instauration d’un tribunal spécialisé est une piste de solution qui mérite d’être étudiée.
S'il voit le jour comme prévu, le tribunal spécialisé fournira une aide accrue aux victimes à toutes les étapes du processus, soit avant, pendant et après les procédures judiciaires.
Un groupe trop restreint
Le groupe de travail sera formé de représentants des ministères de la Justice et de la Sécurité publique, du Directeur des poursuites criminelles et pénales, de la Commission des services juridiques et de la Cour du Québec. L’absence d’intervenants du milieu communautaire qui travaillent directement auprès des victimes a rapidement été critiquée.
En entrevue avec La Presse canadienne, la porte-parole du Regroupement des maisons d'hébergement pour femmes victimes de violence conjugale, Louise Riendeau, s'est montrée déçue. « Si on veut être sûr que ça réponde aux besoins des victimes, qu'on rebâtisse la confiance des victimes, on pense que des groupes comme le nôtre devraient être là », fait-elle valoir.
En réponse à cette critique, le ministre Jolin-Barrette a indiqué que son gouvernement n’exclut pas d’ouvrir le groupe de travail à davantage de représentants, mais souhaitait dans un premier temps rassembler les acteurs qui travaillent chaque jour dans le système de justice.
Passer à l’action
La porte-parole du Parti Québécois en matière de justice et députée de Joliette Véronique Hivon a quant à elle déploré que le ministre ne se soit pas engagé formellement à créer le tribunal spécialisé. « La première étape, c'est que le ministre adhère vraiment, clairement, à l'idée, sans faux-fuyant », a-t-elle déclaré en entrevue avec La Presse canadienne.
Mme Hivon, membre du comité d’élues transpartisan qui propose depuis un an la création d’un tribunal spécialisé, estime que l’heure n’est plus aux études et qu’il est temps de passer à l’action.
Pour l'avocate Sophie Gagnon, directrice générale de l'organisme Juripop, la création d’un groupe de travail est au moins le signe que le rapport du comité d’expert remis en décembre ne sera pas tabletté.
À quoi ressemblera ce tribunal
On ne doit pas s’attendre à ce que ce tribunal spécialisé repousse la limite des règles de droit, ce qui ne serait d'ailleurs pas souhaitable, estime Me Gagnon. « Les accusés de crimes sexuels doivent bénéficier des mêmes protections, des mêmes garanties que les accusés des autres types de crime », rappelle-t-elle.
D'ailleurs, il ne faudra pas juger du succès d'un éventuel tribunal spécialisé en matière d'agressions sexuelles et de violence conjugale en fonction du nombre de condamnations, affirme à son tour Rachel Chagnon, professeure au Département des sciences juridiques à l'UQAM et membre de l'Institut de recherche et d'études féministes.
« Il ne s'agit pas ici de condamner davantage », spécifie-t-elle. « Le critère d'efficacité, c'est vraiment de voir si la victime a au moins eu le sentiment qu'à quelque part, elle a obtenu justice. »
C'est ce qui s'est produit en Afrique du Sud et en Nouvelle-Zélande, lorsque ces deux pays ont créé leur propre tribunal spécialisé, explique la professeure Chagnon. « Il y a une constante dans ces deux expériences-là, c'est le niveau de satisfaction des victimes, qui est nettement plus élevé », observe-t-elle.
Avec Radio-Canada