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Harcèlement psychologique et violence à caractère sexuel en milieu de travail

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Laurence Bourgeois-hatto Et Michel Cobti

2024-09-13 11:15:57

Laurence Bourgeois-Hatto et Michel Cobti, les auteurs de cet article. Source : Langlois
Laurence Bourgeois-Hatto et Michel Cobti, les auteurs de cet article. Source : Langlois
Focus sur les principales modifications législatives du projet de loi 42 ainsi que de leurs répercussions sur les employeurs…

Le 21 mars 2024, l’Assemblée nationale du Québec a adopté à l’unanimité le très attendu projet de loi 42, Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail (la « Loi »).

Alors que certaines modifications législatives ont pris effet le 27 mars 2024, date de la sanction royale de la Loi, un délai de six mois a été prévu pour l’entrée en vigueur d’autres changements importants à la Loi sur les normes du travail (la « LNT »), la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la « LATMP »), la Loi sur la santé et la sécurité du travail (la « LSST ») et le Code du travail (le « CT »). Cette échéance a été fixée le 28 septembre 2024.

Le présent article vise à faire un bref survol des principales modifications législatives ainsi que de leurs répercussions sur les employeurs.

Modification au contenu obligatoire des politiques de prévention et de prise en charge du harcèlement psychologique

Depuis 2019, tout employeur a l’obligation d’adopter une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes et de la rendre disponible à ses salariés. Par l’adoption de la Loi, le législateur québécois balise désormais le contenu d’une telle politique en ajoutant à l’article 81.19 LNT qu’elle devra notamment prévoir ce qui suit :

  1. les méthodes et les techniques utilisées pour identifier, contrôler et éliminer les risques de harcèlement psychologique, incluant un volet concernant les conduites qui se manifestent par des paroles, des actes ou des gestes à caractère sexuel;
  2. les programmes d’information et de formation spécifiques en matière de prévention du harcèlement psychologique qui sont offerts aux personnes salariées ainsi qu’aux personnes désignées par l’employeur pour la prise en charge d’une plainte ou d’un signalement;
  3. les recommandations concernant les conduites à adopter lors de la participation aux activités sociales liées au travail;
  4. les modalités applicables pour faire une plainte ou un signalement à l’employeur ou pour lui fournir un renseignement ou un document, la personne désignée pour en prendre charge ainsi que l’information sur le suivi qui doit être donné par l’employeur;
  5. les mesures visant à protéger les personnes concernées par une situation de harcèlement psychologique et celles qui ont collaboré au traitement d’une plainte ou d’un signalement portant sur une telle situation;
  6. le processus de prise en charge d’une situation de harcèlement psychologique, incluant le processus applicable lors de la tenue d’une enquête par l’employeur;
  7. les mesures visant à assurer la confidentialité d’une plainte, d’un signalement, d’un renseignement ou d’un document reçu ainsi que le délai de conservation des documents faits ou obtenus dans le cadre de la prise en charge d’une situation de harcèlement psychologique, lequel doit être d’au moins deux ans.

Nombreux sont les employeurs qui devront réviser leurs politiques pour se conformer à ces nouvelles exigences.

Confidentialité des ententes de règlement

La Loi introduit également le nouvel article 123.17 LNT, qui vise les ententes de règlement intervenant entre des parties à la suite d’une plainte relative à une conduite de harcèlement psychologique. Alors qu’il est généralement d’usage dans ce type d’entente de prévoir des clauses de confidentialité relativement à ce qui a été dit, écrit ou fait dans le cadre du processus de règlement, la Loi ajoute dans la LNT que les parties s’engagent à préserver cette confidentialité.

Toutefois, en vertu de l’article 123.17 LNT, les parties pourront désormais convenir de la levée de cette obligation de confidentialité par le biais d’une entente écrite précisant les éléments qui en font l’objet et le moment où celle-ci prendra effet.

Deux nouvelles présomptions de lésion professionnelle

Un autre changement important est l’introduction de deux nouvelles présomptions facilitant la reconnaissance d’une lésion professionnelle en lien avec la violence à caractère sexuel :

  • 28.0.1 LATMP : Une blessure ou une maladie d’un travailleur est présumée être survenue par le fait ou à l’occasion de son travail lorsqu’elle résulte de la violence à caractère sexuel subie par ce dernier et commise par son employeur, l’un des dirigeants de ce dernier dans le cas d’une personne morale ou l’un des travailleurs dont les services sont utilisés par cet employeur.
  • 28.0.2 LATMP : Une maladie d’un travailleur qui survient dans les trois mois après que ce dernier a subi de la violence à caractère sexuel sur les lieux du travail sera présumée être une lésion professionnelle.

Il importe de mentionner que le projet de loi initialement présenté prévoyait une exception à la présomption de l’article 28.0.1 LATMP lorsque la violence à caractère sexuel survenait « dans un contexte strictement privé ». Or, de nombreux groupes ont décrié une telle exception à la présomption lors des consultations particulières, soulignant que cela imposerait à la victime le fardeau de démontrer le contexte dans lequel surviennent les violences. Ce faisant, la présomption introduite par la Loi trouvera vraisemblablement application, même si l’événement survient dans un contexte strictement privé.

Dans le cas de la nouvelle présomption prévue à l’article 28.0.2 LATMP, l’accent est mis sur le lieu de la violence à caractère sexuel et non sur l’identité de l’agresseur. Ainsi, il est raisonnable de croire que cela pourrait potentiellement viser des tiers tels des clients ou des fournisseurs.

Prolongation du délai pour le dépôt d’une réclamation pour une lésion professionnelle

La Loi modifie également les articles 270, 271 et 272 LATMP afin de faire passer de six mois à deux ans le délai dont dispose un travailleur pour produire une réclamation à la CNESST lorsqu’il est victime d’une lésion ou d’une maladie professionnelle résultant de la violence à caractère sexuel.

Par cette modification, le législateur arrime le délai pour soumettre une réclamation pour lésion professionnelle à celui prévu par la LNT pour déposer une plainte de harcèlement psychologique.

Droit d’accès restreint au dossier médical d’un travailleur

Dès le 28 septembre prochain, il est raisonnable de croire qu’il sera beaucoup plus difficile pour un employeur d’avoir accès au dossier médical d’un travailleur ayant soumis une réclamation pour lésion professionnelle, peu importe la nature de celle-ci, et même pour des réclamations n’ayant aucun lien avec du harcèlement ou de la violence à caractère sexuel.

Actuellement, l’article 38 LATMP prévoit que l’employeur a un droit d’accès au dossier de la CNESST au sujet de la lésion professionnelle dont a été victime le travailleur alors que celui-ci était à son emploi (dossier administratif), et l’article 39 LATMP prévoit qu’un professionnel de la santé désigné par cet employeur a un droit d’accès au dossier médical du travailleur et peut en faire un résumé à l’employeur afin de lui permettre d’exercer ses droits. Or, la Loi restreindra considérablement ce droit d’accès, car les modifications à l’article 39 LATMP prévoiront que le professionnel de la santé ne peut communiquer à l’employeur « que les informations nécessaires » pour lui faire un résumé du dossier et lui donner un avis pour lui permettre d’exercer ses droits.

Par ailleurs, de sévères sanctions pouvant aller jusqu’à une amende de 10 000 $ sont prévues afin de punir tout accès illicite à un dossier médical par l’employeur ou le professionnel de la santé désigné.

Cela aura certes une incidence majeure sur la gestion des dossiers en matière de lésions professionnelles par les employeurs, et il est, à notre avis, à prévoir que de nombreuses contestations deviendront nécessaires afin de protéger les droits des employeurs, dans l’attente de pouvoir obtenir un accès au dossier médical du travailleur au stade du Tribunal administratif du travail.

Modifications déjà en vigueur

Bien que cet article ait pour but d’exposer les principales modifications législatives qui entreront en vigueur le 28 septembre prochain, nous vous rappelons que les modifications suivantes sont en vigueur depuis le 27 mars 2024 :

  • Inclusion d’une définition de « violence à caractère sexuel » dans la LSST et la LATMP;
  • Obligation pour l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour prévenir ou faire cesser le harcèlement psychologique provenant de toute personne;
  • Les clauses d’amnistie prévues dans de nombreuses conventions collectives ne trouveront plus application en matière de violence physique, psychologique ou à caractère sexuel. Cela signifie qu’une telle clause ne pourra avoir pour effet d’empêcher un employeur, lorsqu’il impose une mesure disciplinaire à une personne salariée en raison d’une inconduite relative à de la violence physique ou psychologique, incluant la violence à caractère sexuel telle qu’elle est définie dans la LSST, de tenir compte d’une mesure disciplinaire qui a précédemment été imposée à cette personne en raison d’une inconduite relative à l’une de ces formes de violence, bien qu’un certain délai soit dépassé (art. 97.1 LNT);
  • Imputation aux employeurs de toutes les unités du coût des prestations dues en raison d’une lésion professionnelle qui résulte de la violence à caractère sexuel subie par un travailleur (art. 327 al. 4 LATMP).

Force est de constater que la Loi opère une réforme majeure des lois du travail au Québec et que tous les employeurs devront en tenir compte afin de mettre à jour leurs pratiques et de se conformer aux nouvelles exigences.

Si vous avez des questions ou si vous désirez obtenir des conseils pour la révision de vos politiques en matière de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes, vous pouvez communiquer avec un membre de notre groupe de droit du travail et de l’emploi.

À propos des auteurs:

Laurence Bourgeois-Hatto est associée chez Langlois. Elle agit depuis plusieurs années pour le compte d’employeurs en matière de santé et de sécurité du travail, de droit du travail et de l’emploi, et de droit scolaire.

Michel Cobti est avocat chez Langlois. Il exerce le droit du travail et de l’emploi. Il s’intéresse plus particulièrement aux questions juridiques concernant les normes du travail, les droits et libertés de la personne ainsi que le harcèlement au travail.

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