«Les adultes, je ne suis plus capable !»
Marie Pâris
2016-05-19 14:15:00
Si cette pratique devient courante, elle ne l’était pas il y a une vingtaine d’années. Quand Me Valentin Molpeceres, avocat en droit de la famille à son compte dans le Vieux-Montréal, se fait demander par un confrère de représenter un enfant dans un de ses dossiers en 1983, il ne savait même pas que ça se faisait. « Et quand des avocats étaient nommés, la Cour ne prenait pas forcément l’opinion de l’enfant en compte », ajoute-t-il.
« Par la suite, les enfants ont pris - avec raison - une importance de plus en plus grande dans notre société. » L’avocat s’est découvert un intérêt grandissant pour la représentation d’enfants, jusqu’à ne faire pratiquement plus que ça aujourd’hui. C’est aussi le cas de sa consoeur Me Isabel Brault, qui pratique depuis 25 ans et se consacre aux enfants depuis une quinzaine d’années.
L’effet « Chat de Shrek »
Si la relation client-professionnel change un peu par rapport à la représentation d’adultes, l’enfant reste « un client normal », insiste l’avocate : « On ne peut pas aller à l’encontre du mandat. On doit représenter l’enfant, et non pas donner son opinion, car on est son porte-parole. On n’est pas là pour se substituer à l’autorité parentale ni aux désirs de l’enfant. »
Me Molpeceres représente des enfants « de 7 à 17 ans », mais sa consoeur dit qu’il ne faut parler d’âge, car aucun chiffre n’est prévu dans la loi. D’autant que l’âge est relatif… « J’ai déjà rencontré un enfant de 7 ans qui venait de se remettre d’un cancer et avait plus de maturité que vous ou moi », se souvient l’avocate.
En résumé, l’enfant est apte à avoir sa propre représentation quand il est capable de donner un mandat à son avocat. Pour Me Molpeceres, « un enfant a la maturité nécessaire quand il peut comprendre les enjeux, faire part de ses volontés et me donner des instructions en conséquences ». Et également quand il est constant dans ses désirs, ce qui n’est en général pas le cas des jeunes enfants.
C’est aussi pour vérifier cette constance que l’avocat rencontre au moins deux fois son client mineur, une fois avec chaque parent. « Il y a beaucoup de chantage émotif des parents sur les enfants, indique-t-il. Le plus dur, ce sont les cas d’aliénation parentale… » Dans 95% des dossiers, Me Molpeceres fait témoigner l’enfant à la Cour, car une image vaut mille mots : « Quand le juge a l’enfant en face de lui, il lui est plus difficile d’aller contre son avis - c’est comme avec le chat dans Shrek, on ne peut pas résister ! » rigole l’avocat.
« Les adultes, je ne suis plus capable ! »
Le tribunal, compliqué pour un enfant ? Pas du tout, selon Me Brault, qui explique que les enfants comprennent assez vite. Mais ils pose souvent la sempiternelle question : “Quand est-ce que ça va finir ?”. Quant à la question de savoir si une troisième partie n’alourdit pas la procédure, les deux avocats répondent unanimement non. Au contraire, ils apportent des éléments pratiques, sont neutres dans le dossier et peuvent amener la solution. « Notre intervention va souvent régler le dossier », ajoute même Me Brault.
Aujourd’hui, les avocats trouvent leur jeune clientèle beaucoup plus facile à représenter que les adultes : « Les enfants sont tellement plus raisonnables, plus structurés. Ils n’emmènent pas avec eux le passé négatif des parents, explique Me Brault. Les parents n’ont parfois tellement pas de bon sens… Les adultes, je ne suis plus capable ! La plupart n’ont pas à coeur le bien-être de l’enfant. »
Pour Me Molpeceres, être l’avocat d’un enfant est aussi plus agréable. « C’est une clientèle très reconnaissante, qui me donne beaucoup de plaisir et qui me maintient jeune et enthousiaste. Les enfants apportent une fraîcheur même dans les cas lourds, car ils n’ont ni à coeur de gagner ni de faire perdre une partie. » En somme, ils sont finalement plus adultes.