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Marie-claude Girard

2024-07-17 11:15:08

L’auteure revient sur les valeurs fondamentales défendues par la Constitution…

Une Constitution est la pierre angulaire d’un État : en plus de définir ses pouvoirs publics, selon le principe de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, elle reflète ses valeurs fondamentales.

Marie-Claude Girard, retraitée de la Commission canadienne des droits de la personne

Le Canada étant une fédération, la Constitution canadienne permet aux législatures provinciales d’apporter les modifications qu’elles souhaitent à leurs propres constitutions (article 45).

C’est donc ce qu’a choisi de faire le Québec en 2022, en insérant d’abord deux de ses caractéristiques fondamentales dans la loi constitutionnelle de 1897 à savoir : (1) Les Québécoises et les Québécois forment une nation; et (2) Le français est la seule langue officielle du Québec puis, en décrétant qu’il n’est plus requis de prêter serment au roi pour pouvoir siéger au Parlement.

Ces initiatives sont importantes car elles permettent d’affirmer le caractère officiel des particularités du Québec dans un texte constitutionnel dont les juges doivent tenir compte lors du prononcé de leurs jugements.

Mais d’autres spécificités québécoises mériteraient aussi d’être officiellement reconnues.

Suprématie de Dieu versus Souveraineté parlementaire

La reconnaissance de la suprématie de Dieu fait partie de ses valeurs fondamentales inscrites dans la Constitution canadienne.

Or, cet attachement explicite au fait religieux légitime vraisemblablement le maintien, au Canada, a) des privilèges fiscaux appréciables accordés à des Organismes de bienfaisance enregistrés qui n’offrent aucun bénéfice social autre que de « promouvoir la religion » et b) de l’inscription au code criminel de l’exception religieuse quant à la propagande haineuse, lorsqu’elle et prononcée de bonne foi et s’appuyant sur un texte religieux.

La reconnaissance de la suprématie de Dieu ne fait pas partie des valeurs fondamentales du Québec. C’est le Parlement québécois qui détermine, en vertu du principe de la souveraineté parlementaire, les principes et la manière dont les rapports entre l’État et les religions doivent être organisés. Qui plus est, l’importance fondamentale qu’accorde à la laïcité la nation québécoise est explicitement reconnue dans le préambule de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (ci-après Charte québécoise).

Il serait donc fort important et judicieux que le Québec puisse rapidement ajouter cette spécificité à sa propre Constitution. Cela lui donnerait notamment la légitimité nécessaire pour établir, s’il le désire, son propre régime de reconnaissance des Organismes de bienfaisance enregistrés respectueux de la laïcité québécoise, en plus d’offrir des assises supplémentaires pour défendre la laïcité de l’État québécois.

Multiculturalisme versus valeurs citoyennes

Alors que le multiculturalisme fait partie des valeurs fondamentales canadiennes, au Québec, c’est le bien-être général des citoyens qui prévaut tel qu’en fait mention l’article 9.1 de la Charte québécoise qui stipule « que les droits et libertés de la personne s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de la laïcité de l’État, de l’importance accordée à la protection du français, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec ».

Il s’agit d’une différence significative qu’il convient de souligner dans la Constitution québécoise, puisque que cette valeur fondamentale exprime la finalité des droits et libertés des Québécoises et Québécois, permettant ainsi un équilibrage entre les droits individuels et les droits collectifs.

Le droit des femmes à l’égalité

Le droit des femmes à l’égalité fait partie des valeurs fondamentales tant du Canada que du Québec.

Toutefois, le multiculturalisme canadien, jumelé aux accommodements religieux, favorise la pénétration des normativités religieuses au sein de l’État et encourage les interprétations fondamentalistes rarement favorables au droit des femmes à l’égalité.

C’est pourquoi le gouvernement québécois a tenu à préciser, dans sa Loi sur la neutralité religieuse de l’État, que pour être jugé recevable, un accommodement religieux doit impérativement respecter « le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes ».

Il a aussi tenu à rappeler, dans les considérants de sa Loi sur la laïcité de l’État, l’importance que la nation québécoise accorde à l’égalité entre les femmes et les hommes et à inclure l’égalité de tous les citoyens et citoyennes dans ses principes.

Dans son jugement sur la Loi sur la laïcité de l’État, la Cour d’appel a d’ailleurs qualifié d’« innovant » le fait que cette dernière ait expressément inclus l’égalité de tous les citoyens et citoyennes dans ses principes constitutifs. Pour elle, si la Loi relie le principe d’égalité à la laïcité, c’est vraisemblablement en raison des tensions entre les préceptes religieux et l’égalité, tout particulièrement l’égalité des sexes.

Cet attachement particulier à une protection proactive des droits des femmes à l’égalité, souvent malmenés par les religions, doit également être enchâssé dans la Constitution québécoise.

La Charte québécoise

Enfin, la Charte québécoise, qui précède la Charte canadienne puisqu’adoptée à l’unanimité en 1975, se distingue du fait qu'elle ne se limite pas à interdire la discrimination mais qu’elle garantit aussi toute une panoplie de droits et libertés. La protection de la liberté de conscience des citoyens, par l’entremise de la laïcité de l’État, en est un bon exemple.

La Charte québécoise devrait donc aussi se retrouver dans la Constitution du Québec.

À propos de l’auteure :

Marie-Claude Girard est retraitée de la Commission canadienne des droits de la personne.

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