Encore de la grogne par rapport à l’examen du Barreau
Camille Laurin-Desjardins
2020-12-02 15:00:00
Mardi, la directrice de l’École du Barreau, Jocelyne Tremblay, a fait parvenir un message aux étudiants, les informant que l’examen porterait finalement sur cinq sujets au lieu de six (alors que les étudiants en demandaient quatre) et qu’il se tiendrait en présentiel.
Selon les témoignages recueillis par Droit-inc, force est de constater que ce message ne passe pas auprès des étudiants...
Tout a commencé cet automne, quand les associations étudiantes de l’École du Barreau ont fait des demandes d’accommodements au Comité de formation professionnelle (CFP) du Barreau pour l’examen final, en raison de la situation particulière vécue cette année. Le CFP leur a alors répondu que, comme le programme de formation est le même pour les étudiants de l’automne 2020 que pour les sessions antérieures, le format de l’évaluation finale demeurerait standard.
Disons que cela a mis le feu aux poudres, chez les étudiants.
Une trentaine de pages de témoignages
Les associations étudiantes ont entrepris de sonder leurs membres sur la formation qu’ils reçoivent. Et les réponses furent abondantes, insistant toutes sur le même point : non, la formation reçue cet automne n’est pas la même. Les associations étudiantes ont donc fait parvenir une nouvelle lettre au CFP, demandant de faire passer de six à quatre le nombre de sujets pour l’examen. Cette lettre, que Droit-inc a pu consulter, contient une centaine de témoignages d’étudiants, s’étendant sur une trentaine de pages.
« On savait qu’il y avait beaucoup d’inquiétudes chez les étudiants, et on trouvait que notre rôle était de les transmettre au CFP. Disons que le contenu ne nous a pas étonnés, mais la quantité, oui! » raconte Justine Sara, présidente de l’Association des étudiant.es de l’École du Barreau de Montréal (AEEBM), qui parle aussi au nom de ses collègues des autres régions.
Dans ces témoignages, beaucoup d’étudiants soulignent que les problèmes techniques, notamment, les empêchent de recevoir une formation complète. Hormis le fait que plusieurs ne posent tout simplement plus de questions, puisque cela est difficilement gérable, la plateforme Via, utilisée pour les cours en ligne, semble poser plusieurs soucis.
« Nous sommes la cohorte cobaye pour cette méthode d'apprentissage pour le Barreau, souligne un étudiant. Nous sommes donc clairement désavantagés par rapport aux années antérieures et celles à venir. »
Selon de nombreux étudiants, chaque fois qu’un enseignant utilise une aide visuelle, certains d’entre eux se font automatiquement éjecter de la plateforme et doivent ensuite se reconnecter, ce qui leur fait manquer plusieurs minutes de cours.
« Dans notre cours de droit pénal, on a ouvert nos caméras pour permettre un cours plus dynamique, nous a écrit Antoine Duranleau-Hendrickx. Résultat, le VIA du professeur a buggé pendant une bonne vingtaine de minutes, l'expulsant même du cours. Un incident similaire s'est reproduit hier, qui nous a encore fait perdre à peu près 45 minutes de cours. (...) Ces événements ne sont pas isolés. Imaginez perdre environ 5-10 minutes par cours (ce qui est le cas de certains étudiants), multiplié par 70 jours, ça fait presque 8 heures de cours perdues à la fin de l'année. »
Dans sa réponse, Jocelyne Tremblay affirme que le Barreau travaille de pair avec son fournisseur pour régler ces problèmes « dès que possible ».
Problèmes de santé mentale
Plusieurs autres étudiants énumèrent les problèmes de santé mentale auxquels ils font face en raison de la pandémie et de l’isolement, qui entraînent une baisse du niveau de concentration, par exemple, alors que d’autres estiment que leur apprentissage est fortement amoché par l’impossibilité de pouvoir échanger avec leurs collègues et d’étudier en groupe.
Les associations étudiantes estimaient donc que faire passer le nombre de sujets de six à quatre était un bon compromis.
« Depuis le début du mois de mars, nous sommes des étudiants dociles et conciliants, le Barreau nous demande de faire preuve de flexibilité et de compréhension à leur égard, ce que nous faisons sagement, note cet étudiant. Or, ce que je trouve le plus frustrant c’est que le Barreau ne nous rend pas la pareille. »
« Réduire le nombre de sujets à l’examen final, ce n’est pas un cadeau, ce n’est pas une faveur, ce n’est certainement pas une injustice, écrit un autre étudiant. C’est offrir une bouffée d’air à des postulants qui étouffent. C’est offrir une perche à de futurs collègues qui ont manqué de chance. C’est un vrai moyen d’améliorer le bien-être de notre communauté. »
« On ne saute pas de joie, mais... »
Justine Sara estime que la décision communiquée hier, de faire passer le nombre de sujets à cinq, est relativement bien reçue.
« Pour le moment, ce que je ressens, c’est que c’est un compromis qui semble leur convenir, précise-t-elle. Disons qu’on saute pas de joie, mais c’est quand même satisfaisant. »
Pourtant, de nombreux étudiants mécontents de ce compromis ont écrit à Droit-inc. Cet étudiant anonyme estime que la réponse de l’École du Barreau est « inacceptable et gênante ». Il fait notamment référence au passage du message de Me Tremblay qui aborde les difficultés techniques de la plateforme Via, et qui invite les étudiants à utiliser l’assistant de configuration de la plateforme.
« La diminution à 5 sujets, et non 4 conformément à la demande de l'asso, n’est justifiée par aucun argument. L’École rejette les revendications légitimes quant à la piètre qualité de l'enseignement et de l’expérience d’apprentissage sur la plateforme VIA par un paragraphe javellisé où elle dit avoir fait de son mieux et nous rappelle d’utiliser l’assistant de configuration de Via. Or, ce n’est pas l’assistant de configuration de Via qui permet à un professeur d’apprendre à lire le clavardage pour prendre connaissance et répondre aux questions des personnes qui ne peuvent pas utiliser leur caméra et/ou micro pour poser leurs questions. Ce n’est pas l’assistant de configuration non plus qui nous donne accès à nos profs au-delà des heures régulières de classe comme cela serait le cas après les cours en présentiel. (...) Enfin, ce n’est pas l’assistant de configuration qui me permet de m’assurer de ne pas être victime d’un énième problème technique (expulsion inexplicable de Via, son qui coupe, caméra qui gèle, etc.) qui m’empêche de prendre des notes de qualité des corrigés des annexes qui sont essentielles à mon étude de l’examen final. »
Une autre étudiante à qui Droit-inc a parlé trouve « totalement incohérent » le fait qu’au printemps dernier, alors que les étudiants avaient obtenu la majorité de leurs cours en présentiel, leur examen final ne portait que sur deux sujets.
Une décision « irresponsable »?
C’est toutefois la décision de tenir l’examen en présentiel qui semble inquiéter le plus les étudiants, même si les mesures respectent le décret gouvernemental. Dans son message, la directrice précise que l’examen s’étendra sur quatre jours (deux jours pour la première partie et deux autres pour la deuxième), et que des groupes de 25 à 50 personnes seront formés. Plusieurs lieux sont aussi envisagés, et les étudiants ne devraient pas avoir à trop s’éloigner de leur lieu de résidence.
« On a beaucoup de questions pour l’examen, affirme Justine Sara. Comme ça se tiendra sur quatre jours, est-ce qu’il y aura plusieurs versions? Est-ce que ce sera équitable? Est-ce qu’on devra porter un masque tout le long? Qu’est-ce qui arrivera pour ceux qui ont des symptômes ou qui sont en attente d’un résultat de test? “J’ai peur d’attraper la COVID”, ça revient beaucoup, aussi, surtout pour ceux qui sont immunosupprimés ou qui vivent avec des proches qui ont des problèmes de santé, par exemple. »
Les étudiants sont aussi inquiets de savoir ce qui se passera si jamais les directives du gouvernement du Québec et des autorités sanitaires changent, d’ici janvier, et que la tenue d’un examen en présentiel n’est plus possible… Est-ce que la date sera repoussée, comme cela avait été le cas pour l’examen de déontologie prévu en octobre dernier? Ce changement de date a bousculé bien des choses dans l’échéancier des étudiants, qui déplorent avoir accumulé du retard et ne pas avoir vu convenablement certains pans de la matière...
Certains étudiants jugent cette décision « irresponsable », dans les circonstances actuelles.
« Je doute que les membres du comité de la formation professionnelle accepteraient d'être enfermés dans une salle avec 25 à 50 inconnus pour aussi longtemps, écrit un étudiant qui a demandé de ne pas être identifié. C'est l'examen le plus important et stressant de notre vie. »
« Nous comprenons très bien que le mode présentiel est favorable pour toutes sortes de considérations, mais le Barreau se ferme les yeux sur la situation sanitaire actuelle (...) alors qu'il est totalement prévisible et même probable que la situation sanitaire se dégrade après les fêtes », poursuit-il.
Plusieurs étudiants ont aussi été insultés par le fait que la direction de l’École utilise les termes « difficultés d’adaptation » pour revenir sur les nombreux témoignages de détresse psychologique, en référant les étudiants à l’ « Espace Bien-être psychologique », sur son site web, ou au service d’aide aux étudiants.
Justine Sara affirme que l’AEEBM est en train de travailler à un plan d’action en santé mentale. Au sujet de l’examen, elle espère avoir quelques réponses ce jeudi, à l’occasion de sa rencontre hebdomadaire avec la directrice générale du Barreau, Catherine Ouimet, et la directrice de l’École du Barreau, Jocelyne Tremblay. De plus amples détails devraient également être communiqués aux étudiants le 7 décembre, alors qu’ils recevront l’avis relatif à l’évaluation finale.
Questionné par Droit-inc, le Barreau s’est fait avare de commentaires. La directrice des communications, Hélène Bisson, a mentionné par courriel que les élèves avaient reçu par courriel les directives relatives à leur examen final. Elle a aussi assuré que le Barreau prenait très au sérieux le bien-être psychologique de ses étudiants.
« En tout temps, les étudiants peuvent demander, pour divers motifs, des accommodements, a-t-elle ajouté. L’École traite chaque demande au cas par cas et déploie, le cas échéant, des mesures d’accommodement adaptées aux situations particulières. »