« Une belle consécration à l’intérêt des enfants »
Camille Laurin-Desjardins
2021-02-23 15:00:00
Alors que ces changements approchent à grands pas, Droit-inc a demandé à l’avocate et médiatrice Mandy Alessandrini, qui travaille en droit depuis plus de 20 ans, de nous éclairer sur la nouvelle Loi canadienne sur le divorce.
Celle qui oeuvre présentement chez Devichy Avocats est enchantée par la nouvelle loi, qui met vraiment l’intérêt de l’enfant à l’avant-plan.
Droit-inc : Cette réforme change beaucoup d’aspects de la Loi sur le divorce… Quels sont les plus importants?
Mandy Alessandrini : C’est énorme! Mais c’est aussi fondamental. C’est un beau changement! Moi, ça m'inspire vraiment. Et ça risque aussi d'influencer notre droit civil, à nous, pour les enfants de parents non mariés...
Il y a d’abord une nouvelle terminologie qui est plus centrée sur l’enfant. On parle d'« ordonnance parentale », qui va remplacer la notion de garde. On parle aussi d'« ordonnance de contact », pour les personnes autres que les parents. On parle de « responsabilités décisionnelles » – et on dit que ça pourrait correspondre à l'autorité parentale, en droit québécois.
On parle aussi de « temps parental », donc c'est l'enfant à charge qui est avec la personne, le parent, même lorsque cet enfant est à l'école ou à la garderie... On parle aussi beaucoup de violence familiale, alors on est maintenant obligés de tenir en compte la violence familiale que l'enfant subit ou dont il peut être témoin, de façon directe ou indirecte.
On vise la protection des enfants contre les conflits... C'est vraiment une belle consécration à l'enfant et à l'intérêt des enfants. L’intérêt de l’enfant fait l’objet d’une liste très longue et non limitative, donc ça va inspirer même la notion d'intérêt de l'enfant en droit québécois, je crois. On parle aussi d'une ordonnance de contact pour des tiers, autres que les parents...
Ensuite, on parle du « plan parental » : on n’utilise plus des termes de garde et des modalités de garde – c'est un changement énorme. C'est là qu'on voit la différence fondamentale que fait cette loi : le plan parental incarne une dimension relationnelle de l'application d'une loi. La dimension relationnelle, c'est toujours en lien avec l'enfant. Un plan parental, ce sont des modalités de responsabilités parentales ou de soins au sens large, qu'on construit autour d'un enfant. Alors que des termes de « garde » sur un enfant, c'est un enfant qui est l'objet de quelqu'un.
Ça oblige à prendre en compte tout le contexte de l'enfant. Ça introduit une dimension relationnelle du droit, c'est une dimension fluide, qui est très factuelle, il faut prendre en compte beaucoup de faits... Ce n'est pas si simple, ça demande une plus grande analyse, une plus grande rigueur, mais ça prend en compte l'Intérêt de l'enfant, ça prend en compte ce petit être humain... dans tout ce qu'il est.
Et c’est très important, selon vous…
Oui! C'est un être humain, ce n'est pas une chose... En fait, c'est la reconnaissance de l'autre. C'est touchant de voir une législation qui est rédigée comme ça.
L'importance de cet enfant est complètement consacrée dans la nouvelle Loi sur le divorce. Ça oblige les parents à beaucoup considérer l'enfant. Ça les oblige aussi à y penser, de façon oblique. Parce que si on prend un recours, ce sont les facteurs qui vont déterminer les « droits » des parents... Mais au fond, ce n’est pas un « droit » qu'on a sur un enfant - la Loi sur le divorce n'est pas articulée comme ça.
Quand on a une dimension relationnelle, quand on prend en compte l'autre personne, il faut nécessairement prendre en compte le contexte dans lequel elle vit; donc s'il y a de la violence... Avant, ce n'était pas écrit. Là, c'est tout le contexte de vie de l'enfant qui est pris en compte.
Il y a un autre exemple très marquant : on a spécifié le déménagement important, et défini ce que c’était, on décrit aussi les facteurs à ne pas considérer par le tribunal. Et ça aussi, ça va avoir un effet dans notre droit civil, pour des enfants issus de parents non mariés.
Qu’est-ce que ça change, en fait?
Il n'y avait pas d'article comparable dans la Loi sur le divorce, avant… C’était seulement jurisprudentiel. Le législateur est venu encadrer cela.
Cette réforme était très attendue, depuis plusieurs années…
Oui! Ça faisait 20 ans qu’une réforme était demandée!
Et tous ces changements de vocabulaire, de perception... Qu'est-ce que ça va changer concrètement pour vous, dans votre pratique?
Ça va me faire très plaisir (rires)!
Moi, je suis médiatrice, aussi... Et vous savez, ce ne sont pas des concepts nouveaux : ça vient des formations en médiation : la médiation oblige à prendre en compte l'enfant, l'autre, le parent... ce n'est pas d'aller devant le tribunal et de dire : voici mes droits, faites quelque chose pour moi. La médiation, c'est du travail, mais dans ce travail, on a une dimension relationnelle du droit qui s'articule. Ce n’est pas surprenant que ce soient les mêmes termes utilisés...
Donc ça va obliger, si on veut faire un litige, à prendre en compte les intérêts de l'enfant, et à suivre les prescriptions de la loi, tous les critères... Donc de rédiger les procédures en vertu de ces critères, et en pratique, ça oblige aussi – on l'a en droit civil – à considérer la médiation avant d'entreprendre un litige. Et ça c'est pour tout, c'est pas juste en droit de la famille… Il y a donc une consécration importante à la médiation.
On vient décourager le litige entre les parents... mais s'il y a litige, vous allez prendre en compte l'enfant!
C'est énorme. Ce que ça change en pratique, c'est qu'il faut prendre en compte toutes ces choses-là. Et ce sont des choses très fluides, donc il faut être à l'affût. C'est de l'ouvrage, par contre!
Oui, vous ça vous rajoute du travail!
Oui, mais c'est de l’ouvrage! C'est le droit vivant, c'est un droit conséquent et intègre, parce qu'il tient compte de son contexte. Moi, je suis très heureuse de cette belle réforme!