Il est peut-être temps de passer au recrutement lent !
Camille Dufétel
2023-03-09 14:15:00
Elle propose même à ses employés un nouvel avantage social, l’accès à un condo à Miami pour faire du télétravail ou prendre des vacances, afin d’attirer de nouvelles recrues.
Un fait qui n’étonne pas Didier Dubois, stratège marketing RH, fondateur de la firme québécoise HRM Group. Il a déjà observé ce type d’avantages proposés.
Pour lui, la clé est de passer au recrutement lent, qui implique de prendre son temps. Droit-Inc l’a questionné à ce sujet.
À quoi ressemblent les actuelles difficultés de recrutement ?
Le taux de chômage au Québec est de 3,9 %, c’est le plus bas depuis 1976. C’est peut-être même le plus bas depuis plus longtemps, mais on a les chiffres depuis cette année-là. Au Québec, le taux d’activité est le plus haut au pays.
Quand on fait le ratio entre la population active disponible et les gens qui sont effectivement au travail, c’est ici, au Québec, que les gens qui sont les plus actifs.
Le creux de la vague va être en 2030. La main d’œuvre disponible va diminuer, pour se rééquilibrer un peu en 2040. Donc on a une problématique qui est sur le long terme.
Dans ce contexte, on observe que des entreprises vont avoir tendance à être un peu en panique et à vouloir augmenter leurs efforts de recrutement, ce qui est tout à fait louable.
Que faut-il mettre en avant pour tirer son épingle du jeu comme employeur ?
Si je ne donne aucun autre élément que le salaire concernant l’expérience de travail, la rémunération prend le dessus.
Si vous magasinez des chaussures de sport et que vous hésitez entre deux paires, mais qu’on ne vous donne pas les qualités de l’une versus l’autre... L’élément différenciateur sera le coût, si vous les trouvez comparables.
À partir du moment où on montre d’autres éléments comme le potentiel de développement, l’apprentissage, les collègues, l’environnement de travail, le salaire va être relatif.
Pourquoi déconseillez-vous de recruter vite ?
Face à la situation actuelle, des employeurs vont éliminer complètement des étapes de recrutement en se disant que les candidats vont appliquer à différents endroits et faire des processus en simultané.
On veut être le premier qui dit oui. Le danger de cela, c’est de faire de mauvais recrutements, des deux bords. Le candidat ne choisit pas l’entreprise pour les bonnes raisons, et vice-versa.
Quand on accélère à outrance le processus de sélection, on atteint l’objectif de combler le poste, mais on nuit à sa capacité à offrir de la stabilité et de la qualité.
Il est important de regarder les chiffres de ce mauvais recrutement, incluant les départs volontaires et involontaires. Ce coût est établi par l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec. Il est de 75 % du salaire annuel de l’employé, en moyenne.
On y inclut la productivité de l’employé qui n’a pas été bonne avant de partir, les employés déprimés d’avoir perdu leur collègue et qui vont devoir en faire plus, les coûts de recrutement et de formation du nouvel employé…
Quand on cumule tout cela, les études disent que ça varie entre 30 % et 250 % du salaire annuel de l’employé, avec cette moyenne de 75 %.
Il faut faire un choix rationnel des deux bords, et donc prendre le temps de recruter.
Comment fait-on quand le besoin est urgent ? Cela consiste en quoi, le recrutement lent ?
Il y a quand même des étapes nécessaires à respecter. Oui, il faut optimiser le processus, mais il faut quand même prendre le temps de dialoguer avec le candidat, de bien lui présenter l’offre.
Je vais faire une comparaison outrancière. Les gens qui cherchent quelqu’un avec qui partager leur vie peuvent faire du speed dating. Mais ça ne veut pas dire qu’ils doivent se marier de suite ! On va leur conseiller de se fréquenter un peu avant…
Déjà, il ne faut pas attendre qu’un poste s’ouvre pour commencer à faire du recrutement. En tant qu’entreprise, je sais que 15 à 20 % de la masse d’employés va quitter. Je ne sais pas lesquels, mais je sais que j’aurai des départs.
Donc je dois être en permanence me faire connaître sur le marché, être en mode séduction, faire des contacts avec des candidats potentiels…
De manière à ce que le jour où quelqu’un va m’annoncer qu’il quitte, ce ne soit pas la panique. J’aurai déjà une réflexion en tête et des personnes intéressantes en vue.
On sait que le marché est extrêmement difficile et qu’il va se dégrader dans les prochaines années. Il faut être proactif. Il faut aussi revoir son processus pour éliminer les délais qui ne sont pas pertinents.
Prendre son temps des deux côtés serait donc la clé ?
Je parlais de cela avec un dirigeant d’entreprise récemment, qui disait préférer que le candidat donne son retour en 48 heures plutôt qu’en 24 heures. Une fois qu’on va “se marier”, ce sera pour de bon, et on veut que ce soit sur du long terme.
C’est un message très respectueux par rapport au candidat. On est mieux d’attendre et d’avoir un coût relié à l’absence d’une personne pour le poste, que d’accélérer et d’avoir le coût des conséquences d’avoir embauché la mauvaise personne.
Prenons l’exemple d’un client qui a absolument besoin d’un support au niveau juridique. Je n’ai personne pour le combler. J’accélère et je prends la personne qui n’est pas parfaite. Je me rends compte que la personne n’a vraiment pas les compétences. En bout de ligne, je risque de perdre le client et non pas juste un contrat !
Prendre le temps de dialoguer avec le candidat est déjà un facteur de succès. Si je m’assure qu’on apprend à se connaître et qu’on ne fait pas de raccourci sur la compréhension des besoins mutuels, je suis capable de présenter l’entreprise comme il se doit et de manière plus juste.
En prenant le temps d’explorer mutuellement l’offre, c’est là qu’on arrive à un mariage fonctionnel.