Une carrière alternative!
Camille Dufétel
2024-01-31 13:15:21
Un avocat considéré comme un potentiel leader de demain mène une carrière bien différente de nombre de ses pairs…
Replaçons-nous en fin d’année 2023. Les noms des neuf avocats JBM de l’année étaient dévoilés par le Jeune Barreau de Montréal, qui fêtait au passage ses 125 ans d’histoire.
Il s’agit de jeunes avocats inscrits à la section de Montréal, qui se sont distingués dans leur domaine de droit respectif « grâce à l’excellence de leur dossier, leur implication sociale, leurs réalisations personnelles et professionnelles, mais aussi leur vision et leurs perspectives ».
Parmi ceux-ci, dans la catégorie « Carrière alternative », Me Étienne Chénier-Laflèche, avocat québécois qui travaille pour Convention against Torture Initiative (CTI) à Genève, et œuvre ainsi en faveur de la prévention de la torture. L’avocat a représenté des victimes de violations des droits humains devant des instances internationales.
Droit-inc a cherché à savoir à quoi ressemblait le quotidien de ce dernier. Il espère d’ailleurs que cette reconnaissance encouragera les jeunes avocats et les étudiants en droit à explorer des carrières alternatives, en particulier dans le domaine des droits humains à l’étranger.
Car pour le Barreau 2014, il est tout à fait possible de s’épanouir dans ce type de parcours.
Expérience internationale
Avant son baccalauréat en droit obtenu à l’UQAM, il y a suivi un autre baccalauréat en relations internationales et droit international. « J’ai toujours été intéressé par les questions des droits humains », pointe-t-il. Aussi très intéressé par la réalité des Amériques, il a pris une pause d’un an dans le cadre de ce premier baccalauréat, durant lequel il a fait un passage à la Commission interaméricaine des droits de l’homme.
Il a effectué un échange au Brésil durant sa dernière année d’études et c’est là qu’il a décidé de suivre un baccalauréat en droit pour comprendre de façon plus technique et complète la question des droits humains.
« Il y a évidemment le côté international, mais il y a aussi le côté national dans chaque juridiction, note-t-il. J’ai débuté ma carrière à la Cour Suprême du Canada, avec le juge Richard Wagner, qui n’était pas juge en chef à ce moment-là. »
Il a été auxiliaire juridique auprès de ce dernier durant une année, avant de suivre une maîtrise à New York en droits internationaux. Il a alors rencontré, à l’Université de New York, un procureur brésilien travaillant sur de gros dossiers de droits humains dans l’État de São Paulo.
« J’ai toujours eu un intérêt pour la prévention de la torture et la question des droits humains pour les personnes qui sont en détention, remarque l’avocat. Le procureur m’a aidé à faire le premier pas au niveau professionnel, une fois mes études terminées. » Il a en effet travaillé durant une année avec les avocats de l’aide juridique de l’État de Rio de Janeiro.
« Ils font de l’aide juridique pour littéralement toutes les personnes détenues dans l’État », explique-t-il entre autres. L’avocat s’occupait pour sa part de l’aspect du litige international. « On a fait par exemple un recours à la Commission interaméricaine des droits de l’homme, j’y avais participé ».
Entre 2016 et 2018, durant environ un an et demi, l’avocat a travaillé comme coordonnateur du programme Amériques de Franciscans International dans la région de Genève, en Suisse. « On faisait du plaidoyer auprès des mécanismes onusiens de défense des droits de l’homme et je m’occupais des Amériques, pointe l’avocat. On travaillait sur des enjeux variés. »
Il a ensuite rejoint le Comité international de la Croix-Rouge. Sa première mission était basée au Myanmar. Il effectuait notamment des visites de prisons partout au pays. Une autre mission l’a mené par la suite en Éthiopie, où l’avocat effectuait également des visites de prisons. « L’idée était d’aller rencontrer les détenus, de faire des entretiens en privé, de voir s’il y avait des interventions à faire, et de voir de quelle façon la Croix-Rouge pouvait leur porter assistance ».
En 2020, l’avocat est parti travailler au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Il était alors basé en Haïti. « Cette année-là, on a fait beaucoup de travail sur la question des personnes privées de liberté et sur plusieurs autres enjeux », explique-t-il.
De retour en Suisse
C’est en mai 2022 qu’il a rejoint Convention against Torture Initiative, à Genève, où il travaille toujours. Il explique que son épouse travaille en Suisse à la Croix-Rouge et qu’il a cherché activement un emploi à Genève une première fois en 2015/2016 afin d’être à ses côtés. Il y est revenu pour les mêmes raisons.
« Et Genève, c’est quand même l’endroit où il y a énormément d’ONG, il y a l’Office des Nations Unies, il y a énormément d’opportunités en matière de droits humains, remarque-t-il. C’était un peu naturel pour moi de venir ici. »
En quoi consiste d’ailleurs son poste actuel? Il rappelle que le CTI est une initiative des gouvernements du Chili, du Danemark, du Ghana, de l’Indonésie et du Maroc.
« Ils se sont mis ensemble pour faire la promotion de la ratification de la Convention contre la torture et pour en assurer une meilleure mise en œuvre », explique-t-il.
« Moi, je suis surtout en charge de la question de la promotion de la ratification pour les États des Caraïbes, du Moyen-Orient et d’Asie, poursuit-il. On rencontre les diplomates, on évoque les questions autour de la ratification de la Convention contre la torture, eux peuvent avoir des questions de nature politique, de nature juridique… »
De façon plus concrète, il explique qu’un État peut par exemple leur dire: « Écoutez, on n’est pas certain que notre cadre juridique est conforme à la Convention et aux obligations qui en découlent, pouvez-vous nous aider à ce niveau? »
Il peut alors faire une analyse préliminaire de sa législation et lui dire de quelle façon il peut la réformer pour que son cadre juridique respecte la Convention.
Il évoque aussi des activités de mise en œuvre de la Convention. Après le Gala du JBM, il s’est par exemple rendu à Antigua-et-Barbuda dans les Caraïbes, dans le cadre d’une formation menée en matière d’enquête policière conforme aux droits de l’Homme.
« On peut aussi recevoir à Genève des délégations d’États qui pensent ratifier la Convention, pointe-t-il. On les rencontre pour discuter de leurs préoccupations, juridiques, politiques, etc. »
Quels défis pour ce type de carrière?
La carrière de Me Chénier-Laflèche se déroule ainsi, jusqu’à présent en tout cas, bien loin des cabinets d’avocats québécois. Quels sont les conseils de celui qui espère inspirer les jeunes avocats intéressés par ce type de parcours alternatif et par les droits humains?
« Premièrement, ce qu’il faut savoir, c’est que c’est possible et que ça existe, souligne-t-il. Je viens de l’Outaouais et personne de mon entourage n’avait ce genre de carrière à l’international. Je ne connaissais pas ça et je sais que ça peut être intimidant. »
Il estime qu’il faut orienter ses choix au niveau des baccalauréats et des cours à option. Il ajoute qu’au niveau international, les langues sont importantes. Ce qui va différencier deux candidats, ce sont les langues maîtrisées. En dehors du français et de l’anglais, il parle pour sa part surtout l’espagnol et le portugais.
Tout se complexifie dans le monde au niveau des relations entre le droit interne et le droit international, selon lui. Il affirme donc que les besoins juridiques ne manquent pas! « Avoir quelqu’un avec une formation solide comme on en a dans nos facultés au Québec, c’est vraiment important ».
Il évoque la possibilité, pour un étudiant qui termine par exemple une maîtrise en droit international, de prendre part au programme de Volontaires des Nations Unies.
Le meilleur conseil qu’il a à donner est surtout de saisir les opportunités qui se présentent.
Pour Me Chénier-Laflèche, il faut simplement être ouvert et ne pas avoir d’idées préconçues. Mais aussi connaître ses valeurs et ses limites. « On peut être poussé à aller dans des environnements dans lesquels on n’est pas confortable, remarque-t-il. Par exemple, un endroit où il y a un conflit armé et des enjeux de sécurité liés à cela. Ce qui est important, c’est que les personnes se fassent confiance et soient capables, pour elles-mêmes, de dire ce qu’elles feront et ce qu’elles ne feront pas. »
Selon l’avocat, s’il faut être parfois flexible et prêt à repousser ses limites, il faut aussi être extrêmement conscient de soi.
« C’est une carrière qui a un impact tellement grand au niveau personnel, qui nous enrichit vraiment en tant que personne, assure-t-il. Humainement, c’est challengeant, mais on peut énormément apprendre de ça. Quand on voit certaines situations difficiles, on veut continuer à s’impliquer! »