Au-delà des turbulences
Dominique Tardif
2014-06-04 14:15:00
Je ne peux pas dire que c’était « de famille » : mon père était économiste à la Banque du Canada et ma mère, travailleuse sociale. Au fil du temps, tant au secondaire qu’au cégep, des professeurs et camarades m’ont encouragé à prendre le chemin du droit, qui m’intéressait par ailleurs puisqu’il me permettrait de mieux comprendre les règles de base régissant la société. Au collégial, un test d’orientation a lui aussi indiqué que la profession d’avocat était l’un des métiers qui pouvaient bien me correspondre.
Je suis donc entré, venant de l’Outaouais, à l’Université d’Ottawa. En troisième année, j’ai été jumelé dans le cadre d’un cours au Juge Louis-Philippe Landry, que j’ai suivi pendant un an. Ce fut une année et un apprentissage extraordinaires : mon goût pour la pratique du droit s’est accru, et l’expérience m’a fait comprendre toute l’importance de la recherche, de l’écriture et de la rigueur. Lorsque mon intérêt pour le droit des affaires s’est développé, j’ai opté pour un stage chez De Grandpré Godin (aujourd’hui De Grandpré Chait), dont je garde un souvenir extrêmement positif.
Il n’y a toujours pas un matin depuis où je ne suis pas heureux d’aller travailler : j’aime beaucoup ce que je fais et sais que je suis vraiment choyé!
2. Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
Je pense spontanément à une période de crise vécue chez Transat, où le concept de force majeure qu’on étudie sur les bancs d’école a cessé d’être une application théorique…! Tout a commencé en août 2001, avec l’événement du vol plané aux Açores; un de nos avions a volé sans carburant. La crise ainsi créée a déclenché la mise en place de plans opérationnels d’urgence pour rapatrier les passagers et membres de l’équipage, sans compter la nécessité de gérer la crise sur le plan médiatique.
Le 11 septembre survenait un mois plus tard. Pris au sol, des milliers de passagers voulaient rentrer chez eux alors que l’espace aérien était complètement fermé. Il fallait décider de reporter ou annuler des vols, d’héberger les voyageurs, etc. Dans des circonstances comme celle-là, le droit n’apporte pas toute la solution, il faut savoir aller au-delà.
Une fois les considérations opérationnelles gérées, d’autres sont apparues. En effet, le carnet de commandes a de beaucoup diminué. Il existait une perte soudaine de confiance envers l’industrie. Les gens ne voyageant plus, nous nous sommes retrouvés, en novembre 2001, avec des revenus de 60% inférieurs à ceux de l’année précédente. Malgré cela, il fallait continuer de payer nos employés et de rencontrer nos obligations. La perte de confiance s’étendait aussi à d’autres : les banquiers frappaient à nos portes, les assureurs excluaient certaines couvertures et augmentaient les primes, les bailleurs d’avion étaient nerveux, etc.
Fin septembre 2001, les membres de la direction se sont assis ensemble : nous avons dû prendre des décisions extrêmement difficiles. Nous avons mis au sol’sept appareils, réduit les effectifs de 1300 personnes, diminué ou gelé les salaires, réouvert des conventions collectives, etc. Les attaques, en bref, étaient sur tous les fronts pendant la période d’août 2001 à février 2002. Il était impératif de développer un plan d’action et d’affaires qui soit réaliste, en demandant à tous de faire des concessions importantes. Les financements ont suivi et, couplés aux décisions que nous avons prises, nous ont permis de faire face à l’avenir!
Je tiens à souligner que les équipes comprenant le juridique et les finances ont fait, lors de cette crise, un travail remarquable empreint d’ardeur, d’acharnement, de rigueur et de dévouement.
3. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
Je m’assurerais de favoriser en tout temps l’accessibilité. Il est nécessaire de trouver une méthodologie (et des méthodes alternatives de facturation) qui permette de faire en sorte que les avocats, qui ont beaucoup à apporter de par leur vécu et leur expérience, demeurent accessibles à leurs clients. Lorsqu’on travaille comme avocat d’entreprise, cela implique de pouvoir continuer au quotidien cette relation d’affaires qui existe avec les avocats externes, au-delà des transactions qui surviennent à certains moments de la vie d’une entreprise.
Les cabinets sont d’ailleurs prêts à travailler pour restructurer les choses et ainsi permettre ce rapprochement très nécessaire et cette relation continue avec le client.
4. Que pensez-vous de la perception du public envers la profession et les avocats en général?
Je suis d’avis que la perception envers les avocats est un peu ébranlée, même si elle souffre probablement moins que certaines autres professions à l’heure actuelle. Je crois que la perception d’accès était plus grande à mes débuts en pratique.
Les campagnes d’accessibilité et de sensibilisation au travail de l’avocat nous aident à rester près du public. Il n’en demeure pas moins qu’il est nécessaire de rappeler que nous avons des connaissances à partager, une rigueur dans le travail et un sens de l’éthique qui apportent de la valeur et qui peuvent beaucoup aider – dans la mesure où les coûts restent raisonnables. Il est impératif de trouver le juste équilibre, même si ça semble parfois être un combat de tous les instants.
5. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière et souhaitant devenir vice-président des affaires juridiques et membre actif du comité de direction d’une entreprise, comme vous?
Je crois qu’il est extrêmement important de se développer en tant que généraliste. Se doter de connaissances dans les différents secteurs du droit est ce qui permet, d’avoir les réflexes nécessaires pour « appuyer sur le bouton rouge » en entreprise et consulter à l’externe quand un enjeu le nécessite. Dans mon cas, je constate que le fait d’avoir fait du litige dans le passé m’a été bien utile.
Il faut aussi éviter de sous-estimer l’importance de devenir un gestionnaire. C’est quelque chose que nous n’apprenons pas en droit. Prendre des cours de gestion, plutôt que de simplement laisser le temps faire son œuvre et l’apprentissage se faire de lui-même, peut nous aider à répondre aux complexités des situations. Pourquoi ne pas ajouter des cours de leadership au cursus universitaire? Qu’on travaille en cabinet ou en entreprise, il faut savoir gérer un dossier et le travailler en équipe.
En vrac…
• Un bon livre qu’il lit en ce moment – ‘Le Casse du siècle’ (traduction de ‘The Big Short’) (auteur : Michael Lewis), sur la crise financière. Un ouvrage très bien vulgarisé par rapport à d’autres ouvrages techniques, nous indique-t-il. Il a aussi lu, récemment, ‘Onze Minutes’ (auteur : Paulo Coelho).
• Un film qu’il aime beaucoup – La vie est belle (réalisateur : Roberto Benigni).
• Ses restos préférés – Le Saint-Amour (Rue Sainte-Ursule, à Québec) et Graziella (rue McGill, à Montréal).
• Sa chanson fétiche – ‘We are the champions’ (Queens), qui lui rappelle de bons souvenirs!
• Une expression qui le guide au quotidien– ‘Il n’y a que des solutions!’; ‘ A winner never quits, and a quitter never wins.’
• Son péché mignon – Le gâteau au chocolat!
• Les pays où il retournerait – La Grèce et la Turquie.
• Le personnage historique qu’il admire le plus– Winston Churchill, notamment pour sa détermination, son sens de la répartie et sa remarquable plume.
• S’il n’était pas avocat, il ….travaillerait comme financier et en développement des affaires.
Me Bernard Bussières est vice-président, affaires juridiques et secrétaire de Transat depuis mars 2001. Né à Londres en Angleterre, il a obtenu son baccalauréat en droit à l’Université d’Ottawa et a complété l’École du Barreau du Québec au centre de formation d’Ottawa.
Avocat et membre du Barreau du Québec depuis 1986, Me Bussières a fait ses débuts chez de Grandpré Godin (actuellement De Grandpré Chait) comme avocat de litige civil et commercial et avocat en droit des affaires et valeurs mobilières.Ensuite, il s’est joint à Martineau Walker (actuellement Fasken Martineau s.r.l.), où il a œuvré au sein de l’équipe de droit des affaires et valeurs mobilières de 1990 à 1994.
En 1994, il a intégré le service juridique de la Caisse de dépôt et placement du Québec, en tant qu’avocat. En 1995, il a réintégré le bureau de Fasken Martineau comme associé principal et a œuvré au sein de l’équipe de droit des affaires et valeurs mobilières jusqu’en 2001.
En mars 2001, Me Bussières a joint l’équipe de la direction de Transat A.T. inc. et a été nommé vice-président, affaires juridiques et secrétaire de la Société.
Me Bussières est membre du conseil d’administration de la Fondation de l’Hôpital Douglas (2003 à ce jour); Membre du Barreau de Montréal et membre du Barreau du Québec; Membre de l’Association du Barreau Canadien; Membre du conseil d’administration de l’Association des Tours Opérateurs (ATOQ); Membre de la chambre de commerce de Montréal; et Membre du comité consultatif des agents de voyages de l’Office de la protection du consommateur (nommé par le ministre de la justice du Québec, en date du 1er mai 2013 pour une période de 3 ans).