Collège des médecins du Québec c. Le Sieur : l’enregistrement d’une consultation par un enquêteur privé peut-il être utilisé en preuve?

François Daoust
2025-04-01 11:15:19
Résumé d’une décision de la Cour du Québec…
Débutons tout d’abord par un exposé sommaire des faits pertinents. Dans le cadre d’une enquête en exercice illégal de la médecine visant un ostéopathe, le Collège des médecins du Québec mandate un enquêteur privé afin qu’il se présente au lieu où le défendeur exerce ses activités pour mener les vérifications qui s’imposent tout en procédant incidemment à l’enregistrement de cette consultation. Tout cela doit alors se faire à l’insu dudit ostéopathe. En amont de cette démarche, le Collège des médecins n’obtient pas de mandat de la part d’un juge de paix magistrat afin de l’autoriser au préalable à avoir recours à une telle technique d’enquête.
Une fois le constat d’infraction signifié et les procédures instituées contre le défendeur, celui-ci présente de façon préliminaire une requête en arrêt des procédures ou, subsidiairement, en exclusion de toute preuve émanant de cette même visite. Il s’appuie notamment sur les articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que sur l’article 141.1 du Code de procédure pénale en prétendant que cette technique d’enquête est une intrusion dans sa vie privée ou encore une technique déloyale et que ledit article 141.1 impose l’obtention d’une autorisation judiciaire préalable.
Voyons désormais les principales déterminations du Tribunal. À l’occasion de son jugement, la Cour du Québec rappelle tout d’abord que l’enquête d’un ordre professionnel en pareille matière en est une qui est de nature réglementaire et non pas quasi criminelle. En effet, le juge retient que l’enquête menée par le Collège des médecins vise à contrôler l’exercice d’une activité réglementée et à assurer la protection du public et qu’elle ne conduit pas à des accusations criminelles. Partant du constat que cette enquête est incontestablement règlementaire, le juge en vient à la conclusion que l’application des dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés doit être modulée en conséquence, en ce qu’un pareil contexte règlementaire permet une approche plus flexible et moins contraignante.
Ceci étant dit, le juge vient à la conclusion que la communication entre l’enquête et le défendeur qui fait l’objet de l’enregistrement n’a pas un caractère privé, notamment en ce que le défendeur rencontre un client afin de lui offrir un soin réglementé qu’il offre dans une clinique ouverte au public. Par conséquent, puisque le défendeur ne peut revendiquer un intérêt privé, le Tribunal conclut que les articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés ne sont pas violés en l’espèce. De plus, le Tribunal détermine qu’aucun stratagème n’est créé par l’enquêteur; le défendeur ne fait qu’accueillir, sur rendez-vous, un client. Le Tribunal n’y voit aucun piège, aucune ruse, ni aucune situation pouvant mener à méprise sur les gestes que le défendeur ne posera ni sur les paroles qu’il prononcera. Le défendeur ne saurait donc soutenir avec succès qu’il a été victime d’« entrapment ».
De plus, le jugement offre des précisions quant à la portée de l’article 141.1 du Code de procédure pénale en matière d’enquête règlementaire. Sans en exclure purement et simplement l’application, celui-ci mentionne qu’il pourrait être nécessaire d’obtenir un tel mandat préalable s’il était question d’autres cas de figure, comme par exemple si l’enregistrement se faisait ailleurs que dans le cabinet du praticien ou encore en présence d’un client autre que l’enquêteur. Dans de tels cas, l’enquête pourrait devenir intrusive au point d’impliquer une perquisition tout autant intrusive.
Tout cela dit, il faut donc en retenir que l’esprit de l’article 141.1 du Code de procédure pénale a été respecté dans cette enquête, et ce, car l’enregistrement visé se fait dans un contexte où le défendeur n’a aucune expectative de vie privée et que cette même captation n’est ni une fouille ni une perquisition abusive.
À propos de l’auteur :
François Daoust est avocat chez Cain Lamarre. Dans le cadre de sa pratique, il met son expérience et ses compétences au service de dossiers touchant la déontologie des professionnels de la santé, la gouvernance des ordres professionnels, les conseils aux diverses instances des ordres professionnels et l’aide à l’enquête.